"Je me présente, Max Schultz, fils illégitime mais aryen pur souche, de Minna Schultz..." Ainsi débute
le Nazi et le Barbier, un roman tout à fait irrévérencieux, provocateur, cru et vulgaire, mais ô combien intelligent et salvateur... Un roman qui raconte l'extermination des juifs du point de vue du bourreau (Max Schultz), bien avant l'indigeste Bienveillantes de
Jonathan Littel.
Sous-titré "Histoire d'une vengeance" ; c'est exactement cela qui est mis en scène : la vengeance du fils de pute, et du boucher, ou du serrurier, ou du majordome, ou que sais-je encore ? mais pur aryen. le petit Max nait avec des yeux de grenouille, un nez crochu, des cheveux bruns... alors que son petit voisin, et pour un temps meilleur ami : Itzig Finkelstein, fils de Chaïm Finkelstein, pur juif, lui, nait blond, élancé et beau... C'est par cette première inversion que nous, lecteurs, nous rentrons de plein pied dans cette histoire de morts, de meurtres, de guerres, de marché noir ; dans
L Histoire aussi : celle de l'Europe, de l'Allemagne à l'Ukraine en passant par la Pologne - forcément, la Pologne ! - mais aussi dans l'Histoire de la création d'Israël et du sionnisme.
Alors comment en arrive-t-on jusque là ?
Et bien en suivant le petit bonhomme de chemin de Max Schultz, génocidaire, fils illégitime mais aryen pur souche. Quand Minna, sa mère, se fait mettre à la rue par son employeur (parce que tout de même, cinq pères potentiels pour cet enfant c'est trop, "les bonnes choses vont par trois"), elle empoigne ses baluchons et le petit, se fait aider par les cinq géniteurs, et immédiatement rencontre le bon gros coiffeur Slavitski. (il parait que c'est lui qui a la plus grosse de la rue... Minna n'y résiste pas !) le petit grandit, parfois violé par son beau-père, souvent battu... il va à l'école, devient très ami d'Itzig et vagabonde souvent chez les Finkelstein. Quand vient l'heure de trouver un métier, il devient apprenti coiffeur chez Chaïm Finkelstein (parce qu'il est le meilleur coiffeur de la ville, parce que c'est lui qui a écrit la bible des nouveaux coiffeurs "La coupe moderne sans escaliers", et puis aussi un peu pour emmerder Slavitski...)
Le temps passe, la crise fait rage, Hitler débarque... Par conviction Max s'enrôle dans les SS. Et il est bon ! En Pologne, il flingue à tout va, y compris son ami Itzig et les parents Finkelstein. Mais la vie est parfois cruelle... l'Allemagne perd la guerre, et Max devient alors criminel de guerre, recherché, très recherché...
Qu'importe ! Il a grandit, élevé par la communauté juive ; il connait les prières, parle Yiddish, et connait quelques morts... c'est ainsi qu'il va usurper l'identité de son "ami" Itzig, devenir un bon barbier, et même émigrer en Palestine, afin de lutter pour la création de l'Etat d'Israël... un pur aryen sionniste...
Je ne vous dis pas comment tout cela s'achève ; je vous laisse savourer ces 500 pages de pure parodie loufoque où perce tout de même la tragédie, l'horreur de la guerre, et ses cohortes de morts.
Pourquoi est-ce que j'ai particulièrement aimé ce livre ? Pourquoi est-ce que je le mets tout en haut de mes chefs d'oeuvre ? Parce que c'est un livre brillant, intelligent, drôle - alors que le sujet ne s'y prête pas - ; parce que ce n'est pas juste une bonne farce bien grasse, mais un vrai livre sur la Shoah, sur les mécanismes de la destruction de masse ; parce que l'empathie que l'on ressent pour Max Schultz est dérangeante : ce monstre peut m'émouvoir... et puis aussi parce qu'il y a derrière l'apparente légereté, la description de l'horreur absolue, mais sans jamais rentrer dans la fascination morbide. Parce qu'il y a au bout du compte un appel à chacun d'entre nous, chaque lecteur, qui nous dit "n'oubliez pas" ; non, n'oubliez pas que cela est arrivé, que c'est arrivé aussi simplement que ça, que les clichés véhiculés, d'un côté comme de l'autre, sont toujours les mêmes : ceux-là qui vous font rire, ce sont ceux-là qui nous ont fait mourir.
Je recommande la lecture de ce livre à tous ; même les plus sensibles, ceux qui pensent que l'on ne peut pas rire de tout. On peut ; et cela est salvateur de le faire. Cela permet de prendre une distance critique, qui manque souvent dans notre façon d'aborder
L Histoire.