« Je travaillais depuis trois semaines dans une usine de plastiques dans le Mississipi lorsque le contremaître – un bouseux à la dentition en décapsuleur du nom de Cyrus Broadway – commit l'erreur de me traiter de connard feignant. Alors bon, je suis peut-être feignant, mais je suis aussi méchant comme une teigne.«
Après avoir rossé le bouseux, et quitté la ville, nous retrouvons Paul, deux jours après, dans une station-service, en quête d'argent facile. Lorsque Geoffrey Webb, un homme obèse se présente à la station, il voit là une victime facile. Mais le holdup tourne mal… La victime n'est pas près de se laisser dépouiller si facilement. Plus surprenant encore, il lui propose tout son argent liquide, soit 3000 dollars, en échange de 4 à 5 heures de son temps, sur le chemin de Little Rock, Arkansas
.
« – A partir d'un certain niveau d'ennuis, on ne peut pas s'en tirer par la parole. Certains ennuis sont comme un cancer. Ils grandissent à l'intérieur, rien ne les arrête. Ils poussent sans arrêt, bouffant tout ce qu'ils touchent.
– Et alors ?
– Alors on meurt…. Je vis déjà comme si j'étais mort depuis des années. Je suis une ombre en marche, comme l'a décrit
Shakespeare. »
Et, Geoffrey Webb de dévider l'écheveau de ses souvenirs, et les circonstances qui l'ont conduit jusqu'ici :
Son enfance passée auprès d'un père violent, ivrogne, qui en plus de le battre, abusait de ses deux soeurs. A l'âge de 15 ans, alors que son père est en prison, son oncle le conduit à l'Église, et là il a une révélation. Non, pas la révélation de la foi, mais que l'Église baptiste peut lui permettre de se réaliser, qu'il pouvait enfin être accepté dans un groupe et s'intégrer dans un collectif.
« Après 15 ans, j'avais enfin trouvé ma voie.
J'avais aussi découvert une profession. le Frère Léonard devint mon modèle, et en le regardant travailler pendant les années qui suivirent je commençai à comprendre que son boulot était une arnaque écoeurante. »
A la fin de ses études, Frère Léonard le recommande auprès de Frère Card, le pasteur de l'Église Baptiste pour une Vie Meilleure, à Little Rock, Arkansas pour occuper le poste d'aumônier des jeunes. Lors de l'entretien avec Frère Card, il dupera le pasteur sans aucune difficulté, étant passé maître dans l'art de dire aux gens ce qu'ils veulent entendre, et il obtiendra le poste.
Lors de sa première rencontre avec les jeunes, il rencontre Angela, la fille du pasteur. Grosse, sans attrait, mal fagotée, « aussi sensuelle qu'un plaque de plâtre ». Et contre toute attente, chose merveilleuse et terrible, il va tomber amoureux fou de cette jeune fille de 16 ans.
Jake Hinkson nous embarque dans un road movie, absolument noir, complètement déjanté et loufoque, vu à travers le prisme d'une petite communauté religieuse de prêcheurs bigots et fondamentalistes, comme il en existe des dizaines aux États-Unis.
Geoffrey le narrateur est un antihéros honnête avec lui-même. Il nous livre une confession sincère sans chercher à tricher. Il raconte son histoire sans se chercher d'excuses, il énonce simplement des faits. Au départ, ce n'est pas un mauvais gars, il cherche simplement à manipuler les gens, sans méchanceté, pour se faire une place au sein de cette congrégation baptiste qu'il a l'ambition de diriger un jour.
Mais les choses ne tournent pas en sa faveur et ses actions, au fur et à mesure de l'histoire, deviennent de plus en plus horribles. le premier crime, presque par maladresse, en entraînant un autre, et puis un autre dans un crescendo de l'horreur. Il n'est pas le moins du monde sympathique, mais il est très convaincant, et pourrait même s'attirer un peu de bienveillance de la part du lecteur, car les autres personnages de la congrégation ne sont pas des parangons de droiture ou d'honnêteté.
Hinkson a créé des personnages parfaitement marqués dans un environnement morne et noir , qui ne doit pas lui être tout à fait étranger. Ce n'est pas un roman autobiographique, mais l'auteur, fils de prêcheur baptiste élevé dans les montagnes de l'Arkansas, a dû puiser pas mal dans sa propre expérience pour nous décrire la communauté religieuse et la population de Little Rock. L'auteur tire à boulets rouges sur les faux-dévôts et la religion, vidée de sa substance pour n'être que mercantile.
C'est un roman noir, sanglant, dépravé et obscène, délicieusement transgressif et non dénué d'humour.
Selon le Los Angeles Review of Books, « L'union impossible de Sinclair Lewis,
Jim Thompson et
Charles Willeford… Un roman sauvagement psychotique et pourtant bizarrement rempli de compassion. »
Un O.L.N.I dans la production littéraire de ce début d'année, et un auteur à suivre, assurément.
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