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3,6

sur 69 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce livre est une prouesse, bien entendu, mais avant tout ce livre est un miracle.

La chose la plus difficile à faire dans la création d'une mythologie est de lui donner du poids, la densité et le poids qui viennent des siècles. Quelque chose, je ne sais pas, qu'on pourrait qualifier "d'utile." Il n'est certainement pas surprenant de lire que Russell Hoban a écrit des centaines et des centaines de pages avant de tout réduire au texte final qu'on a sous les yeux aujourd'hui.

Ce roman est précédée, en France en l'occurrence, d'une réputation de difficulté quasi insurmontable. Bon, c'est quelque chose qu'on retrouve parfois à l'égard de bien d'autres romans en tout genre et qui semble au coeur même des craintes de certains lecteurs à plonger dans l'aventure. Cependant, je pense qu'il est utile à tout lecteur potentiel de ce chef d'oeuvre d'avoir une idée de la facilité de lecture et de la rapidité avec laquelle on s'habitue à la phonétique.

Il faut encore prendre un instant pour souligner le travail absolument monumental de son traducteur, Nicolas Richard, qui a obtenu le prix Maurice-Edgar Coindreau de la Société des gens de lettres pour son époustouflante traduction (vous comprendrez qu'ici la syntaxe et toutes les règles connues de l'écriture ont été remaniées, aussi ce n'est pas qu'un travail de traduction qui a été nécessaire mais bien un travail de recréation de la langue) (si, si).

Le vieux cliché selon lequel il est plus difficile de simplifier des choses complexes est vrai, et Russell Hoban le fait avec une grâce et une légèreté de toucher impressionnante.

Ce livre est une prouesse, ce livre est un miracle, mais plus que tout ce livre existe. Pour de bon. Alors il ne vous reste plus qu'à le lire.
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Un des plus gros paris de l'édition Française, sans aucun doute.

Avis aux gros lecteurs et aux curieux de nouveauté et d'originalité, avis à ceux qui travaillent dans les lettres et aiment jouer avec.

Ce roman propose un tout nouveau langage, à savoir le Parlénigm, parlé par Enig Marcheur, qui n'a pas "preuh" des mots, et ses contemporains qui vivent en 2347 N.C.C. après une guerre nucléaire qui a ravagé le monde.
Les hommes sont alors de retour à l'âge de fer et réapprennent à faire du feu avec des "pyer".
La "preuh" est omniprésente et se transmet volontier au lecteur.

C'est un roman aux allures tragiques dès le premier chapitre très évocateur.
D'autres pages relatent des faits assez noirs :

"Oxi avec sa bite et ses couilles rachées et sa tête presq aussi et son visaj viré au gris et les feuilles mouillées foulées au pieds et ses yeux fixés sur le ciel gris au dssus de lui."

Les personnages sont à la recherche de Vrérité avec l'aide de leurs rizzlas et leur hasch.
Eusa semble savoir beaucoup de choses. Eusa est 1/2, il est la ferrait, la pyer, le bois. Eusa est partout mais on ne le voit pas.

Le roman est partagé entre la poésie et la folie d'une génération. Il comprend plusieurs "gendes" qui feront échos dans vos esprits, et de quelques chansons très courtes, comme par exemple :

"Graine du jeune âge
Graine du sauvaj
Graine de char bon c'est
Le queur de l'enfaon"

Le lecteur, lui, suivra les aventures d'Enig Marcheur, dont le nom est évocateur et à double sens, grâce à son petit carnet de bord.
Enig se présente dés le second chapitre, il a douze ans.

"Marcheur je me nomme et je suis tout comme. Enig Marcheur. Je marche avec les nigmes partout où elles me mènent et je marche avec elles main tenant sur ce papier de meum".

Les gendes et les chants constituent donc une grosse partie du roman, mais il y a aussi tout le côté théâtrale très bien écrit et reproduit par Russel HOBAN. Je pense notamment à ce moment magnifique avec Plichinel.

Les hommes ne sont pas seuls sur cette nouvelle terre, il y a aussi leurs pires ennemis, les chiens aux yeux jaunes qui brillent dans le noir. Surtout ceux du chef.
Les chiens dévorent les hommes, les hommes dévorent aussi les hommes. L'humanité est en danger. Et Enig marche.

Enig part à l'aventure à la recherche de la Vrérité. Coûte que coûte. Rencontre après rencontre il s'endurcit et on l'apprécie un peu plus. Il a un discours d'enfant et des actes d'adultes.

Tous les noms de personnages et de lieux sont choisis avec soin et ont une histoire avec l'auteur ou l'histoire elle-même.

Enig Marcheur fait parti des gros paris de l'édition Française par rapport à son écriture, évidement. Vendre du Parlénigm n'est pas simple, quelle que soit l'histoire.
L'auteur confie lors de sa postface qu'il a mis cinq ans et demi à écrire son ouvrage. Qu'il a éliminé beaucoup de pages, et qu'il en a perdu son orthographe.
Les droits ont été attribués en France il n'y a pas si longtemps aux éditions de Monsieur Toussaint Louverture qui a su trouver le traducteur idéal pour ce texte hors norme, Nicolas RICHARD.
Le roman est paru aux USA en 1980. Russel HOBAN nous a quitté l'an dernier, et sa carrière en France semble juste commencer.
La langue originale du texte est le Riddleyspeak (Anterre).

Alors qui sera attiré par cette langue et cette originalité post apocalyptique qui appartient à un temps sans l'Elyte or Dinateur ?

L'écriture propose au lecteur une dégustation de chaque mot, de chaque phrase. Hormis les points et quelques guillemets, la ponctuation est absente. Même si c'est déroutant, on s'y fait.

Certains disent que lorsque le cerveau comprend enfin le système et lit couramment le texte, il provoque chez le lecteur une certaine jouissance. Les mots sont plutôt bien choisis.

Alors, jouissez bien.
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Mère veillement songe heure. À lire absolument.

Publié en 1980 en tant que science-fiction de genre, après sept ans d'écriture durant lesquels Russell Hoban survécut essentiellement grâce à ses écrits pour la jeunesse, aussitôt reconnu dans le milieu spécialisé par une nomination au Nebula 1981, puis par les prix John W. Campbell et 1982 et de la SF australienne en 1983, « Riddley Walker » explosa alors en quelques années en « littérature générale », devenant objet d'intenses études universitaires et quasiment « classique instantané », avec un statut envié mais ambigu d'objet littéraire extrêmement exigeant, élitiste, …et réputé presque intraduisible, du fait de sa profonde expérimentation sur la langue.

À titre personnel, c'est Iain Banks qui me le fit découvrir en 1995, quand dans une discussion sur rec.arts.sf.written, fabuleux newsgroup internet de cette époque de réseau balbutiant, il indiqua aux fans présents l'influence majeure sur lui de Russell Hoban, aux côtés d'Alasdair Gray et de Mervyn Peake, pour « The Bridge » et pour son hommage « Feersum Endjinn », bien sûr, mais pas seulement.

C'est cette barrière de la traduction « impossible » qu'ont fait sauter, en français, en novembre 2012, l'éditeur toulousain audacieux Monsieur Toussaint Louverture et le traducteur inspiré Nicolas Richard, quelques mois seulement après le décès de l'auteur (décembre 2011). le défi était de taille, car dans cette campagne du Kent anglais post-apocalyptique (« environ 2 500 ans » après les massives explosions nucléaires), le jeune Enig Marcheur et ses compagnons d'infortune, vivant un nouveau néolithique au milieu des héritages et des déchets, ne disposent que d'un langage bien frugal, lointain souvenir de l'anglais pré-Apocalypse, essentiellement oral et phonétique, dont la première phrase du roman livre la tonalité : « I gone front spear and kilt a wyld boar he parbly benn the las wyld pig on the Bundel Downs. » devient ainsi « le jour de mon nommage pour mes 12 ans je suis passé lance avant et j'ai oxi un sayn glier il a été probab le dernyé sayn glier du Bas Luchon. ».

Ce court récit (280 pages), à la lenteur étudiée et rendue obligatoire par cette langue particulière, doit beaucoup sur le fond – ce que Russell Hoban reconnaissait bien volontiers - au « Cantique pour Leibowitz » (1959) de Walter Miller, au sein du genre science-fiction, pour la manière dont bribes et reliques du temps jadis, subverties par la perte de la mémoire collective et par le manque de repères, sont devenues des objets « magiques » aussi révérés qu'incompris. le seul texte en langue « classique » de tout le livre, un commentaire du tableau de Saint-Eustache trônant dans la cathédrale de Canterbury, est ainsi à lui seul un morceau de bravoure, un moment hallucinant de vertige, comique et tragique, sur la glose et sur l'exégèse, sur la fragilité de la signification surtout. « St est la bréviation de steuplé ». Et la figure légendaire culminante d'Eusa, mêlant le saint chrétien et le progrès scientifique incarné par les anciens « USA », nous invite tout au long du roman à une méditation ambiguë sur la manière dont la science imprègne, ou non, le corps social… Pour l'anecdote, on notera que « Riddley Walker » fut aussi le livre le plus encensé de l'histoire par la critique du… « Bulletin of Atomic Scientists » !

La traduction a aussi traité avec brio le fait que trois autres références majeures et implicites du roman, le pouvoir de création/formatage linguistique de l'Anthony Burgess d' « Orange mécanique », l'ensauvagement du William Golding de « Sa Majesté des Mouches », et le vecteur populaire du théâtre de marionnettes traditionnel de « Punch et Judy », sont a priori moins familières au lecteur français (même avec le film de Kubrick pour la première) qu'au lecteur anglo-saxon. C'est en replongeant dans les racines de la Commedia del'Arte et du personnage de Polichinelle que Nicolas Richard a su trouver les mots justes (et pourtant fidèlement trafiqués) pour rendre l'étrange prégnance politique et culturelle des marionnettistes, à la fois conteurs, prêtres et fonctionnaires – et peut-être à terme possibilités de nouvelles émancipations - dans la désolation d' « Enig Marcheur ».

La réflexion implicite sur la manière dont la langue forge l'esprit qui l'utilise, thème cher au Samuel Delany de « Babel 17 » et au Ian Watson de « L'enchâssement » irrigue ce récit, dans lequel un effort important de collation des indices et d'interprétation est demandé au lecteur, beaucoup plus que ce que à quoi nous sommes en général habitués. Cette tâche, ardue et formidablement gratifiante in fine, est toutefois largement facilitée par la lenteur de lecture imposée par ce langage distordu qui exige de notre part une sub-vocalisation presque permanente (en tout cas, au moins durant les cinquante premières pages, le temps de (re)créer une certaine habitude), et par les mots familiers, comme éclatés, tripes à l'air, par la catastrophe – dont les composants possibles ainsi brutalement mis à nu emportent leurs propres connotations, qu'elles soient poétiques ou au contraire précises – ce qui ne constituait pas le moindre défi pour la traduction ! N'oublions pas au passage, même si cela nous apparaît avec une certaine incrédulité, qu'Enig, dans ce monde, est… un lettré, instruit par son père dont le rôle impliquait une certaine maîtrise du langage écrit et oral, quand bien même les livres n'existent-ils plus…

Nous avons bien là, magnifiquement rendu en français, un chef d'oeuvre, capable de transformer son lecteur, où, selon la belle formule de John Mullan dans le Guardian, « le narrateur porte l'ensemble de son monde dans sa phrase »,... et invite ainsi le lecteur à un « mère veillement songe heure » de tous les instants.
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"Cest juste une histoire et cest ça les histoires."

Enig Marcheur, vit dans un monde de l'après. L'après du « Grand Boum », moment destructeur (guerre chimique?, évènement destructeur?). L'après du décès de son père, mort écrasé sous une pierre. Et cet après, Enig décide d'en coucher par écrit son expérience.

"C'est pour ça que final ment j'en suis venu à écrire tout ça. Pour penser à ce que l'ydée de nous purait être. Pour penser à cette chose qu'est en nous ban donnée et seulitaire et ivrée à elle même."

Dans ce monde où tout est boue, peur (preuh), ignorance (gnorance), où des chiens noirs rôdent et attaquent tout qui s'aventure en dehors des villages, dans ce monde qui a perdu jusqu'à ce qui le situe dans le temps, dans ce monde uchronique et clanique où seul survivre compte, Enig Marcheur, du haut de ses douze ans, par ses actes et par le fait d'en rendre compte en les écrivant, se lance dans une fabuleuse quête de la « Vrérité » . Et il découvre un monde fondé sur l'apparence, où tout le système politique repose sur des spectacles de marionnettes presque doctrinaux.

Mais le tour de force de Russel Hoban (et de son traducteur Nicolas Richard) est d'arriver à nous faire découvrir ce que découvre Enig Marcheur dans le même temps. Car la langue de cet après est elle aussi comme revenue à une forme de préhistoire où toute tradition se veut orale. La langue dans laquelle Enig Marcheur rend compte de son expérience est donc comme bâtarde, écrite mais phonétique, décomposée à l'extrême. Et cette langue éclatée, qui fait déborder la signification et qui ne se recompose que dans la voix, cette langue ralentit la lecture. Et donc elle permet de calquer le temps de la lecture sur le rythme de compréhension du héros.

"J'avé dans l'ydée d'y aller mollo et de fer du solide. Une pansée à près l'aurt chac chose en son tant d'abord les picqué en rond dans la fauss en suite les picqué porteurs en suite les chevrons sur les pixqué porteurs et la rêvel dssus le tout comme le chaume. Donc on pourè tout jour fer le trajet à l'en vers à partir de la rêvel et bien voir comment toul truc été bâti et voilà ce quallè être le style de Enig Marcheur."

La langue ainsi créée pour ralentir la lecture peut alors regorger de sens. Elle est mise en scène de son propre éclatement. Elle est trace et moyen de recomposer ce dont elle est issue. le génie tient ici à accoler à la recomposition phonétique qui permet au lecteur de s'y « retrouver », un découpage qui l'entraîne vers une abondance de signes qui forment un ailleurs autre et inconnu. Ainsi la lecture recompose t'elle dans la voix les termes âme mi en « ami », ou l'amer moi en « mémoire », sans que les deux termes connus et rassurants ne viennent épuiser ni recouper pleinement les premiers. La page est alors le lieu véritable de la création.

"J'ai rien d'aurt que des mots à mtt sul papier. C'est si dur. Par fois y a plus sur le papier vyde qu'il y a quand l'écrit couche dessus. Tes sayes des sprimer les ganrr choses et elle te tournent le dos."

Dans la lenteur de la lecture, qui recrée aussi un temps autre, on découvre un enfant qui découvre ce qui l'entoure et lui-même. Mais aussi que cette découverte reste toujours limitée, car nous sommes parties de cette Vrérité à découvrir.

"On verra jamais le tout de couac ce soit on est tout jour en son mi lieu à vivre de dans ou en meuve ment à le traverss."

Un chef d'oeuvre!
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Tout d'abord, j'ai adoré la langue dans laquelle l'auteur a écrit le livre, "meum que eum suis mis à la parl cette lang deux sang smêlés quid et tourne les maux, leur rdonne an une nous vielle éthiqumologie" ;).

Enig Marcheur continue sa route sans moi, le livre est terminé. Comme toujours arriver à la dernière page laisse un goût amer, "ça m'effet bizarre" de revenir dans mon monde où tous les jours on nous demande de croire dans le mythe de la croissance comme dans "Enig Marcheur", ils espéraient dans le retour du Grand Boum avec le résultat qu'on peut y lire...

J'ai aimé arpenter l'Anterre, une Angleterre post-apocalyptique, avec ce gamin plein de ressources qui semble la seule voix de la raison quand les situations deviennent conflictuelles ou dangereuses. Ce qui m'a le plus plu chez ce personnage c'est sa liberté d'action que seule lui permet sa capacité à laisser les conséquences éventuelles de ces actes de côté pour seulement écouter sa conscience.

Mes seuls bémols : au dernier chapitre, le dernier retournement de situation me laisse un peu dubitative et il y a, à un moment, à Cambry, une ronde avec les chiens qui tout d'un coup marchent sur leur pattes arrières que je ne m'explique pas... (Si quelqu'un se sent de m'expliquer ces passages, je suis preneuse car j'ai l'impression d'être passée à côté de quelque chose de très signifiant.)

En terme d'Anticipation car je n'ose utiliser le terme de sciences fiction pour un monde qui n'a même pas seulement réinventé la poudre ;), c'est l'un des plus originaux que j'ai pu lire.


En postface, l'auteur explique sa démarche ce qui rend le livre d'autant plus vivant. La description de son "mind mapping" créatif est tout à fait farfelu et éclairant.

Ensuite, il y a un glossaire bien inutile et une description de l'édition -j'étais vraiment en manque à la dernière page de l'histoire alors j'ai lu jusqu'à la dernière lettre de cette édition- qui rend fière de posséder une telle merveille ! Je salue particulièrement l'idée de la couv' en "Lucprint Cristal brillant de 198 grammes" qui m'a permis de le lire easy dans le bain sans même l'abimer :).

Mon dernier paragraphe sera pour ovationner le traducteur, Nicolas Richard ! Je n'y pense jamais au traducteur, sauf pour ce roman. Traduire un livre comme çà est digne de figurer dans le Guiness des records. Il a réussi à tordre la langue française à partir d'une torsion de l'anglais pour en faire un parlénigm envoûtant.
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J'en vois qui essayent de fuir, par la porte du fond. Restez encore un peu.
Ceci, messieurs-dames, n'est pas du langage sms, se situe à des siècles de distance d'une simplification bêtifiante du langage. C'est la langue dans laquelle est écrit l'un des romans les plus saissants qu'il m'ait été donné de lire ces dernières années. Ce sont les mutations d'un monde futur que l'on vous offre d'assimiler au plus intime en apprivoisant le parlénigm. Restez encore un peu, car alors vous resterez totalement.

Certains se rappellent peut-être à quel point je fus saisie par le questionnement qui sert de fil au puissant documentaire Into Eternity ? Il s'agissait, pour résumer, d'imaginer, à propos d'un projet de centre d'enfouissement des déchets nucléaires, une manière compréhensible de s'adresser aux générations futures par-delà les millénaires, afin de les avertir de se tenir à l'écart du site. Il y a beaucoup de points d'interrogation dans ce documentaire.
Imaginez ma fascination en trouvant dans le roman de Russell Hoban une réponse possible – plus que possible, puissamment élaborée, et qui emporte d'autant plus le lecteur qu'elle respecte pleinement, et exploite avec brio, l'obscurité et la fragilité des matériaux travaillés, le langage et ses (dé)constructions, la légende et la science, la psyché.

Impression de lecture plus développée sur Psycheinhell :
Lien : http://psycheinhell.wordpres..
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Plus qu'une lecture, c'est une expérience. Une expérience déroutante, parfois difficile, mais singulièrement gratifiante et originale. En inventant un nouveau langage, le Parlénigm, version appauvrie du nôtre, dont il est une sorte d'adaptation phonétique, Russell Hoban nous immerge dans un univers original et prégnant, en 2347 N.C.C.

Une guerre nucléaire (le "Grand Boum") a ravagé le monde, et fait régresser les hommes à l'âge de fer. Ils ont hérité d'une nature dévastée, et, oublieux de la civilisation pré apocalyptique, se sont bâtis, de bric et de broc, une mythologie collective empruntant à de vieilles bribes de religion auxquelles se mêlent des références à une technologie disparue. Incapables de déchiffrer le sens des rares écrits sauvés du passé, ou de comprendre l'utilité des objets d'antan qui jonchent le sol de la campagne du Kent où se déroule l'action, ils ont de leur Histoire une interprétation simpliste et erronée. La figure centrale en est le légendaire Eusa, qui, à la demande de M.Mallin, extorqua le secret de la bombe au Ptitome bryllant, déclenchant ainsi "le Sale Temps".

Enig, douze ans, vient de perdre son père, "oxi dans la creuz où il jobbait". Il hérite de son statut de passeur d'histoires. A ce titre, il prend la route, à la recherche d'une improbable "Vrérité", et conte ses aventures dans le carnet de bord qui compose le récit. Car Enig, contrairement à nombre de ses contemporains, sait écrire...

"Le jour de mon nommage pour mes 12 ans je suis passé lance avant et j'ai oxi un sayn glier il a été probab le dernyé sayn glier du Bas Luchon".

"Enig Marcheur" est un conte grisâtre et pessimiste, dans lequel l'auteur imagine les conséquences de l'utilisation, à des fins guerrières, de la puissance technologique mise à disposition de l'homme. On s'interroge au cours de la lecture sur le sens de la survie humaine dans une société devenue amnésique de ses erreurs, et incapable de se réinscrire dans une dynamique de progrès. La communauté dépeinte dans "Enig Marcheur" laisse une impression de médiocrité, d'appauvrissement intellectuel, et de perméabilité à la superstition. La violence et la "preuh" sont omniprésentes, notamment sous les traits de chiens aux yeux jaunes, qui, revenus à l'état sauvage, dévorent les hommes. Les êtres humains ne sont pas en reste : séparés en deux communautés distinctes qui s'opposent -les fermiers et les nomades-, ils font parfois preuve d'une barbarie primitive.

"Oxi avec sa bite et ses couilles rachées et sa tête presq aussi et son visaj viré au gris et les feuilles mouillées foulées au pieds et ses yeux fixés sur le ciel gris au dssus de lui."

C'est également une évocation puissante de la subjectivité historique, et des dangers liés à l'illusion du progrès... Peut-être le monde dépeint par Russell Hoban est-il finalement celui d'une deuxième chance pour l'homme qui, libéré des valeurs qui ont conduit à sa perte, se voit offert la possibilité de créer une société nouvelle, et que l'époque d'Enig n'est que celle d'une transition vers quelque chose de meilleur ?

Un roman à découvrir, donc, à condition d'être prêt à quelques efforts, surtout en début de lecture. Il se produit ensuite un phénomène d'accoutumance assez étrange, dans la mesure où il rend d'autant plus vivants l'environnement d'Enig et les curieux personnages qui croisent sa route. Et bien que rendue abrupte par cette langue atypique -il faut d'ailleurs saluer le travail de traduction auquel s'est attelé Nicoles Richard, ce que personne n'avait osé faire depuis la parution de ce roman en 1980-, le texte offre malgré tout des moments de divertissement, paradoxalement grâce à la dite langue, qui est en effet l'occasion de jeux de mots parfois grivois, délivrés comme incidemment, avec une sorte de fausse innocence.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Ceci n'est pas un livre. Enig Marcheur est beaucoup plus qu'un livre, c'est une expérience totale et on comprend qu'un culte se soit développé autour de ce roman paru en 1980 en anglais (ou plutôt en Riddleyspeak), enfin traduit trente-deux ans plus tard en Parlénigm grâce aux éditions Toussaint Louverture et au génial Nicolas Richard.

L'humanité a été détruite par une apocalypse nucléaire – le Grand Boum, et les hommes sont retournés à l'âge de fer ; la vie n'a plus beaucoup de prix parce qu'il faut bien bouffer et survivre. Dans ce monde où ne subsistent plus que des fragments de connaissance, les hommes ont gardé la conscience, et pour certains la honte, de ce qu'ils ont perdu, tout en étant remplis d'illusions sur ce qu'est la science et la connaissance, comme peuvent l'être des enfants.

« J'ai murmué à mon tour : "O ce qu'on été ! Et où on en est rivé !" »

Enig Marcheur a douze ans. Dans ce futur lointain, c'est l'âge d'homme, il quitte son clan, part en quête du monde et couche ses aventures et ses émotions sur papier.

A l'image de l'humanité, le langage n'est pas sorti indemne de cette apocalypse, il a été détruit, découpé en morceaux (en mort sots). La lecture d'Enig Marcheur est donc une aventure intense parsemée d'obstacles, de frustrations et enfin de satisfactions car il faut apprivoiser la langue de ce livre, le Parlénigm.
Enig Marcheur nous plonge dans la confusion de ce monde, en même temps qu'il nous ramène de force à la lenteur de la marche à pied et de la tradition orale de transmission des légendes. Russell Hoban réussit la performance géniale de nous mettre dans la peau d'Enig Marcheur, face à la violence de ce monde, dans la peau de ce héros habité par une volonté farouche de comprendre et de raconter, avec des mots et une compréhension des événements retombés en enfance.

«Le jour de mon nommage pour mes 12 ans je suis passé lance avant et j'ai oxi un sayn glier il été probab le dernyè sayn glier du Bas Luchon. Toute façon y en avé plu eu depuis long tant avant lui et je me tends plus à en rvoir d'aurt. Il a pas fait le sol trembler ni rien quand ila foncé sur ma lance il été pas si gros en plus semblé chétif.»

Vers la fin de sa vie, Russell Hoban, qui ne manquait apparemment pas d'humour, aurait dit « I think death will be a good career move for me». Il est malheureusement décédé en 2011, avant la publication en France de cette traduction extraordinaire de Riddley Walker, qui je l'espère recevra la reconnaissance qu'elle mérite.
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C'est un ovni dans lequel je me suis plongé sans réellement réfléchir aux conséquences.
C'est un texte abrupte qui remet en question de nombreux fondements dans nos sociétés.
C'est un chemin périlleux et sublime.
La place du langage est primordiale, ainsi que celle des histoires et des légendes.
Enig pose trop de questions auxquelles les habitants ne souhaitent pas toujours y réfléchir.

Un choc verbal intense

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Attention, chez d'oeuvre.
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