Savoirs secrets : Les techniques perdues des maîtres anciens

Comme sans doute d'autres avant moi j'ai d'abord été confondu par la théorie développée par David Hockney dans ce livre : les grands maitres anciens de la peinture occidentale pour arriver à un tel niveau de réalisme utilisaient des cameras obscura ! Hockney déroule son récit en s'appuyant sur l'analyse des portraits quasi photographiques de Holbein, van Heyck, Caravage, Vermeer, Velasquez...

Preuve à l'appui l'exactitude des perspectives, le rendu des expressions des visages sont impossibles à atteindre main levée. La lecture de son livre m'a troublé. Il suffit de projeter une image sur une surface grâce à la camera obscura, puis de dessiner par dessus. C'est ce que faisait Warhol, piètre dessinateur, avec des calques !!

Puis je suis tombé sur une vidéo d'un artiste exécutant un portrait saisissant de réalisme, main levée et au fusain. Et sur un cours de perspective. Pas de camera obscura en vue.

Le problème est qu'il décrit un procédé pratiqué dans tous les ateliers de façon tellement systématique, qu'on se demande comment la chose a pu resté secrète vu le nombre de personnes impliquées ( c'est un peu comme dans toutes les théories du complot ).

Un tel usage généralisé aurait eu le même effet que l'invention de la photographie au 19e : la fin de la peinture figurative.

Hockney fait la différence entre des peintres honnêtes comme Rubens ou Fragonard et les autres. On se demande pourquoi ceux-ci n'auraient pas dénoncé leurs collègues vu la concurrence qu'il y avait entre les ateliers.

On se questionne aussi sur les grands monarques comme Henri VIII ou Philippe II, qui en commandant des portraits prestigieux aux plus grands maitres de leur temps, auraient été conscients et complices de la tricherie. Tricherie envahissante, puisque la méthode demande tout un attirail ( qui n'est jamais décrit dans aucun texte ).

Concernant les très grands panneaux, la solution qu'il propose est invraisemblable. le peintre a procédé par carrés qu'il a ensuite reporté un par un, en faisant à chaque fois les corrections d'optiques ( comme avec un appareil photo ).
Si on applique la théorie du rasoir d'Ockham par exemple au retable de Gand de van Eyck, je pense que la solution la plus simple est que le tableau ait été peint dans un atelier plutôt que les très compliquées explications optiques proposée par Hockney.

Pour le cas de Caravage c'est vrai que la technique du peintre interpelle : comme arriver à un tel réalisme et à la complexité invraisemblable de la perspective dans les ses tableaux sans la camera obscura ?
C'est là le gros point faible de la théorie : la camera obscura fonctionne superbement en extérieur. La peinture de Caravage c'est du clair obscur avec une lumière arrivant tout le temps coté gauche, exécutée en atelier. Pour éclairer les modèles au 16e avec des spots de 1000 watts vous repasserez !! La solution de Hockney : il suffit d'allumer 300 bougies. Et Caravage qui a eu la vie qu'on connait se baladait donc dans toute l'Italie avec tout son système et 3000 bougies d'avance.

Pour Vermeer très simple : on sait qu'il peignait toujours dans la même pièce avec la lumière du jour. Il suffit d'y pratiquer une ouverture de 4 m2 et le tour est joué !! C'est vrai que les baies vitrées étaient bien connue aux Pays-Bas au 17e. Au moins autant que les cameras obscuras...

Hockney reconnait que la technique permettant ces miracles n'étaient pas disponible avant le début du 17e et le développement des lentilles par Gallilée. D'où le développement de cette théorie du secret vaguement complotiste : les lentilles sont connues et utilisées depuis le début du 15e. Voir au delà ( il a un doute sur les portrait du Fayoum ! ) Si secret il y a, il est du à l'église, qui punit lourdement ces avancées qu'elle assimile à de la magie. D'où sans doute le fait que ces peintres à lentilles portraiturent autant de prélats et de dignitaires religieux ! C'est un peu le Da Vinci Code...

Les considérations sur les historiens de l'Art m'ont gêné aussi. Hockney sait, puisqu'il est peintre. Ces braves théoriciens qui n'y connaissent rien sont renvoyés à Panofski et ses analyses iconographiques laborieuses. Rien que ça. Hockney a la connaissance du bon artisan lui.

La conclusion est confondante puisqu'il trace une ligne droite entre l'invention de l'optique, la perspective et l'invention de la bombe atomique. La perspective et le réalisme c'est le mal. de là à en conclure qu'on était plus heureux au 13e...

La lecture reste passionnante, l'iconographie très riche, les reproductions sont superbes.

Où l'on découvrira l'art d'utiliser la caméra oscura et la caméra lucida pour approcher au plus près le réel et le reproduire fidèlement. Des résultats quelques fois controversés dans le mode de l'art ou de la science mais passionnant et incitateur à fouiller plus avant ce sujet !