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4,05

sur 952 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Londres, novembre 1920. La ville et le pays tout entier s'apprêtent à accueillir le soldat inconnu. Un corps anonyme extirpé du charnier français pour être enterré avec les honneurs à l'abbaye de Westminster. Une manière pour le peuple anglais de faire le deuil de tous ceux qui sont restés là-bas, ensevelis dans la boue, le corps explosé, sans sépulture, ou sous une simple croix blanche avec un numéro de matricule pour seule épitaphe. Une façon pour ceux qui ont survécu au cauchemar des tranchées de partager un moment solennel avec leurs compatriotes.
Trois femmes vont vivre les cinq jours précédant l'évènement avec leurs blessures et leur chagrin. Evelyne, bientôt 30 ans, a perdu son fiancé dont le corps n'a jamais été retrouvé. Avec lui sont morts son avenir et ses espoirs de bonheur. Elle a participé à la guerre en fabriquant des munitions, elle construit la paix en travaillant au bureau des pensions. Ses proches la disent aigrie, elle est simplement d'une infinie tristesse. Ada, la cinquantaine, a vu son fils unique, Michaël, partir pour le front à tout juste 18 ans. Comme tant d'autres, il n'est pas revenu. Une simple lettre du ministère pour dire qu'il avait disparu sur le champ de batailles. Pas d'explication mais des questions sans réponses. Depuis, Ada voit Michaël partout, incapable de faire son deuil sans savoir où est son corps et connaître les circonstances de sa mort. Hettie a 19 ans à peine et imagine un avenir meilleur, loin de sa mère amère, loin de son frère revenu des combats totalement apathique. Tous les soirs, elle danse au Palais Hammersmith, avec des survivants, des estropiés, des hommes meurtris qui paient 6 pences pour la faire tournoyer sur la piste de danse pendant qu'elle rêve au prince charmant.

Un magnifique roman, juste et pudique, qui évoque les blessures, encore à vif en cette année 1920, de la première guerre mondiale. Londres montre encore les séquelles des bombardements et les hommes et les femmes, touchés dans leur chair, dans leur coeur et dans leur âme, essaient de faire le deuil de ces années d'horreur. Oubliés, délaissés, gênants, les rescapés sont un rappel constant de cette génération qu'on a sacrifiée sur les champs de batailles. Ils se taisent, gardent au plus profond d'eux-mêmes ce qu'ils ont vécu et pourtant, raconter est une telle libération. Mais qui veut entendre les corps noyés dans la boue, les jeunes hommes explosés, les membres épars, les défections, la peur et les larmes ?
A travers le portrait de trois femmes touchées par la perte, Anna Hope raconte les drames de la Grande Guerre mais aussi la volonté d'aller de l'avant vers un avenir plus souriant. le Soldat inconnu sert de fil rouge, de son exhumation en terre française à sa lente progression sur le sol anglais, jusqu'à son arrivée à Londres le 11 novembre, symbole de tous ses pères, fils, frères, amants, amis qui sont tombés et sont restés là-bas, loin de leur famille. Un jour de deuil national, un moment rare où toute une nation pleure ses morts pour enfin pouvoir retrouver le goût du bonheur.
Un premier roman maîtrisé qui augure d'un très bel avenir littéraire pour Anna Hope qui sait raconter, toucher, et faire aimer ses personnages. Coup de coeur !
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Ca commence tout doucement, tout simplement : des femmes ont mal.

Ada pleure son fils mort en 1917, en France. Son amie Ivy aussi. Et plein d'autres femmes de sa rue.
Evelyn pleure son amoureux mort en 1916, en France. Comme plein d'autres femmes de Londres.
A leur façon.
« Elles sont toutes différentes, et pourtant toutes pareilles. Toutes redoutent de les laisser partir. Et si on se sent coupable, c'est encore plus dur de relâcher les morts. On les garde près de nous, on les surveille jalousement. Ils étaient à nous. On veut qu'ils le restent ».
« Tu es amère. Et tu es seule. Tu as utilisé cette seule mort comme un combustible pour haïr le monde. Tout ce qui t'importe, c'est de prolonger ta propre douleur. »

Ca continue : des hommes ne peuvent se remettre de leurs blessures, morales. Les blessures physiques, ils s'en accommodent. Mais les morales, jamais.
Ed, le frère d'Evelyn, ex-capitaine d'infanterie en France, boit, se drogue, danse comme on oublie.
Fred, le frère de Hettie, se renferme, n'est plus qu'un noyau dur ou un fantôme, comme on veut.
Jack, le mari d'Ada, s'efforce de faire face à la mort de leur fils.
Et puis il y a les autres, ceux qui n'ont même pas de pension de guerre, obligés de faire du porte-à-porte, de quémander quelque secours pour ne pas s'affaler et mourir là, avec pour seuls compagnons leurs horribles souvenirs.

Hettie, elle, voudrait vivre, plaire. Elle est toute entière tournée vers un avenir, son avenir. C'est pourquoi elle danse. Elle danse pour 6 pence, au Palais de la danse, elle sert à divertir les gens de la guerre terminée depuis 2 ans. Sa copine di aussi. Mais que peut-elle rencontrer, à part ces survivants ?

« C'est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours ».

Et puis ça grossit, ça enfle.
Nous entrons dans le partage intime des faiblesses. Dans la vérité, enfin. Ces quelques femmes osent entendre, enfin, ce que les hommes vivants – survivants - ont dans le coeur.
« Après quatre ans de guerre et encore deux d'anciens soldats, jour après jour, c'est ça qu'elle voulait, c'est ça qu'elle recherchait. La vérité de quelqu'un. Pas sa gaieté, ni sa bravoure, ni sa colère, ni ses mensonges. Et en quatre ans de guerre et deux de contrecoup, personne n'avait partagé sa vérité avec elle ».
Elles osent aussi se regarder elles-mêmes.
« T'est-il déjà arrivé de réfléchir et d'accepter le fait que sa mort soit quelque chose lui soit arrivé à lui, plutôt qu'à toi ? » « Ils ne sont pas à nous. Ils ne l'ont jamais été. Ils n'appartiennent qu'à eux-mêmes, et seulement à eux. Tout comme nous nous appartenons. Et c'est terrible par certains côtés, et par d'autres...ça pourrait nous libérer ».

Anna Hope, par sa narration simple et sensible, est une auteure qui a réussi à me plonger dans ce chagrin immense et à me sortir de celui-ci avec cette interrogation qui peut sauver. L'espace de quelques heures, j'ai vibré, j'ai compris, j'ai touché du bout du coeur la détresse de ces femmes, de ces hommes qui connaissent la guerre, le deuil, la culpabilité, le désespoir, le désir de vivre quand même.

Tout ceci se passe sur 4 jours : du 7 au 11 novembre 1920, alors que l'on extirpe de la boue d'un champ de bataille français un cadavre racorni, qu'on le transporte en grande pompe jusqu'à Londres où il sera glorifié en tant que « Soldat Inconnu ».
« Cette boite est pleine d'un chagrin retentissant : le chagrin des vivants ».

Les vivants, oui. Occupons-nous des vivants. Regardons-les, aimons-les.
C'est mon voeu le plus cher à l'aube de cette nouvelle année.
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En 1920, les londoniens tentent de retrouver le goût de vivre.
Dans cette atmosphère d'après-guerre, trois femmes, Ada, Evelyne et Hettie symbolisent la douleur collective d'une nation face aux corps absents.
Nous les suivons durant cinq jours de novembre, jusqu'à la cérémonie du 11 novembre célébrant l'enterrement du soldat inconnu.
L'auteure croise le destin de ses héroïnes : Ana, la mère, qui voit le fantôme de son fils sur les champs de batailles, Evelyn, la fiancée endeuillée qui ne peut pas se projeter dans l'avenir tant sa colère est grande et Ettie, danseuse professionnelle, qui est troublée par les traumatismes de son frère revenu de cette guerre.
Tout est juste, émouvant, équilibré dans ce roman : la construction, la pudeur, le poids de l'Histoire sur les liens d'amour, d'amitié, de famille. C'est un roman des noeuds qui se délient, des paroles qui libèrent. Un grand coup de coeur, magnifié par une écriture subtile et sensible.

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Magnifique !
J'ai emprunté ce livre car, de la même auteure, j'avais bcp aimé "La Salle de Bal". J'ai préféré "Le chagrin des vivants" que j'ai trouvé plus émouvant.
Un vrai coup de coeur !

1920. Royaume-Uni. Londres.
Trois femmes. Ada a perdu son fils. Evelyn traîne son mal de vivre depuis la mort de son fiancé. Hettie essaie de se trouver une vie entre sa mère acariâtre et son frère traumatisé par la guerre.
Et le soldat inconnu. En ce 11 novembre 1920 il va être enseveli à Londres au cours d'une procession commencée sur les terres de France. Plus particulièrement en Artois où j'habite.
Petit aparté sans lien avec le roman : chaque année le 9 avril est commémorée la bataille d'Arras (9 avril 1917). Bataille qui avait eu vocation d'être une opération de diversion. 160 000 soldats alliés (Anglais, Canadiens et Néo-Zélandais) et 100 000 Allemands sont morts pour cette opération de diversion ! Qui en plus fut un échec ! L'Artois et la Somme sont le Verdun de nos voisins anglais.

Ce roman suit les survivants, les hommes soldats et officiers définitivement dévastés, mais surtout les femmes meurtries elles aussi....
Un excellent roman que je vous conseille vivement ! Un vrai coup de coeur !
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Habituellement, je n'aime pas trop le procédé qui consiste à raconter séparément l'histoire de plusieurs personnages dont le lien se révèle au cours du récit. Ces entrelacs me lassent et les fils tirés peuvent facilement donner une impression d'artificialité.

Mais ici, rien de spectaculaire, pas de révélation choc, tout est fait en finesse, en délicatesse, et c'est magnifique de beauté et de tristesse à la fois. On pourrait presque se croire dans un reportage, une enquête journalistique pleine d'humanité dans son approche de la vie de ces femmes dans l'après-guerre des années 20.

Tout en ayant choisi 3 femmes différentes de par leur âge et leur situation sociale, Anna Hope n'en fait pas des clichés ou des effigies : elles ont chacune leur histoire particulière, qui reflète néanmoins une époque en général. J'ai vraiment été bluffée par le talent de cette auteure à créer une ambiance et à s'immiscer dans les rêves et les regrets de ses personnages.
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Quand on pense à la Première guerre mondiale, viennent tout de suite des images des Poilus dans les tranchées boueuses, des batailles avec ses cohortes de morts, moins souvent des civils ayant attendu des proches qui ne sont pas forcément revenus ou qui, s'ils le sont, sont loin d'être indemnes. Anna Hope, avec ce roman, met un coup de projecteur sur l'après, une fois que la victoire est passée, et que la vie reprend tant bien que mal. Comment faire pour reprendre sa vie, avancer plus ou moins à marche forcée, malgré les traumatismes ?

L'intrigue du Chagrin des vivants prend place sur cinq jours de novembre 1920. Cinq petits jours à l'échelle de l'Histoire, ce n'est pas grand-chose, mais ils vont revêtir une importance capitale pour les personnages et au-delà d'eux, pour la nation britannique. En effet, à l'occasion de l'anniversaire de l'armistice survenu deux ans plus tôt, la Grande-Bretagne célèbre l'arrivée sur son territoire de la dépouille de son Soldat inconnu. Cette cérémonie permet de rendre hommage aux soldats morts pour la nation, mais également de panser les plaies encore vivaces de cette dernière, et en particulier des personnages principaux du roman : Hettie, une jeune danseuse de compagnie qui offre pour six pence un moment de loisirs à d'anciens soldats, et qui n'a jamais connu l'insouciance ; Evelyn, une jeune femme dont le fiancé est mort au front, et pour qui, dès lors, la vie s'est arrêtée ; Ada, une femme qui n'arrive pas à trouver la paix car elle ignore les circonstances dans lesquelles son fils est tombé au combat. On assiste ainsi à leur cheminement pendant les jours précédant l'hommage national, entre prise de conscience des horreurs de la guerre et de ses conséquences sur les anciens combattants et nécessité d'aller de l'avant pour vivre leur vie malgré tout.

Malgré une composition assez classique – des portraits de femmes qui ne se connaissent pas mais qui finalement se retrouvent liées entre elles –, j'ai trouvé ce roman passionnant par son compte-rendu des conséquences de la guerre sur une société tout entière. Certains combattants sont revenus vivants, mais à quel prix ? Celui de leur santé physique, mais surtout mentale, incomprise alors (la psychanalyse n'en étant encore qu'à ses débuts, une notion comme le stress post-traumatique était loin d'être entrevue), et de manière quasi volontaire : les héros d'hier étaient priés de se faire tout petits, et de ne pas se plaindre, par exemple en quémandant une pension (on apprend d'ailleurs les inégalités de revenus entre soldats et officiers, ces derniers n'ayant pas de solde car ils sont censés avoir des moyens, ou des relations ; sauf que ce n'est pas forcément le cas quand on est un « gentleman temporaire », soit un soldat passé officier…). La société ne les comprenait absolument pas, comme on le voit avec Hettie, agacée par l'incapacité de son frère à sortir de sa léthargie depuis son retour du front.

J'ai également été émue aussi, notamment par les deux passages les plus importants du roman à mon sens : quand Ada va voir une voyante pour entrer en contact avec son fils, et où elle apprend à lâcher prise et laisser partir son fils ; et quand Evelyn échange avec un ancien soldat et se confronte à la vérité de la guerre, et à ses propres démons.

C'est bien écrit, l'intrigue est bien construite. J'ai trouvé dans le chagrin des vivants mon premier « pageturner » de l'année (même si j'ai 6 ans de retard !). J'ai appris à cette occasion que c'était le premier roman de l'autrice, ce qui est assez impressionnant au regard de la maîtrise de son texte. Je lirai les prochains avec plaisir !
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Nous sommes en novembre 1920, Londres s'apprête à célébrer l'Armistice, et à cette occasion, Anna Hope nous invite à nous intéresser à Ada, Evelyne et Hettie.
Ces trois femmes ne se connaissent pas. Elles ont en commun ce que beaucoup de femmes partagent - malgré elles - depuis 1914 : la blessure de la perte d'un être cher. C'était un fils, un amant ou un frère. Certains sont morts sur le champ de bataille, d'autres sont revenus, mais ne sont plus les mêmes.

Chacune a sa manière reste prisonnière de ce passé qui leur a volé une part d'elle-même. Mais comment continuer à vivre malgré l'absence ? Peut-on être heureuse sans eux sans se sentir coupable ? le bonheur est-il la clé de l'oubli ? Ou un simple espoir suffirait-il ?

Tous les personnages d'Anna Hope - masculins ou féminins - subissent la transformation de la Grande Guerre. Chacun est démuni à sa façon, mais tous cherchent à se libérer et la vérité, si laide soit-elle...

Je ne m'éterniserais pas plus que nécessaire. Mon humble petite contribution ne fera que répéter l'émotion que j'ai eu à lire ce roman sobre, sensible et authentique à l'écriture très fluide.
Un roman dont je ne lâchais les pages que lorsque le sommeil était trop pesant.
Un roman qui vaut 1000 discours sur le lâcher prise, le deuil et la vie.
Un beau roman, tout simplement.
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Excellent et très moderne !
Pas dans le style ou la structure, mais dans les idées et les représentations du masculin et du féminin. On parle souvent ( toujours ) de la souffrance des femmes...Ici, on aborde l'immédiat après-guerre sous l'angle de la souffrance des hommes. Ce qu'ils ont subi, ce qu'ils ont enduré, leur fragilité, leurs traumatismes, leurs blessures...Et le rejet qu'on leur oppose à leur retour.
Trois femmes, trois destins finement reliés. Une mère orpheline de son fils qui en oublie de vivre, une femme orpheline de son fiancé qui en oublie de vivre, une autre qui doit subvenir aux besoins de son frère, et qui ne le reconnait plus. Et aussi un autre frère, dans l'ombre, brisé mais enfermé dans sa virilité de façade. Ce qu'on leur a fait subir, à ces hommes, c'est...c'est...vraiment...il y a peu de mots suffisamment violents, inqualifiable, effroyable...Et le comprendre, c'est presque impossible. Les héroïnes se retrouvent toutes les trois devant ce terrifiant silence.
Comment une nation morte peut-elle reprendre vie ? Peu à peu néanmoins le jour se fait...Mais quand on pense que d'ici vingt ans, ils remettront ça...
En tout cas, c'est excellent, de très bonnes critiques entièrement méritées !
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Wake en anglais signifie aussi bien veillée (mortuaire) que sillage (d'un bateau). Deux sens qui justifient le titre du premier roman de l'actrice anglaise Anna Hope, traduit en français par le chagrin des vivants, qui est aussi représentatif de ce qui se trouve dans ce livre magnifique qui évoque l'existence de trois femmes durant 5 jours, jusqu'au 11 novembre 1920, date de l'arrivée du soldat inconnu à Londres. Son cheminement depuis le sol français sert de fil rouge au livre, comme une montée en puissance vers un événement qui, au-delà de la commémoration, marquera en quelque sorte la fin d'un deuil de 2 ans. Il y a parfois des moments "magiques" dans un bon livre quand celui-ci acquiert, par la grâce d'un passage stupéfiant, un statut supérieur et devient réellement bouleversant. Cette scène-là arrive très précisément lors de la confession d'un soldat à l'une des héroïnes du livre. Inoubliable. C'est un récit rare qui est raconté, non seulement parce qu'il est terrible et fait ressentir la guerre de façon viscérale, mais aussi parce qu'il constitue le point de convergence entre ces trois femmes et fait alors comprendre au lecteur à quel point le roman est construit avec une maîtrise extraordinaire, d'autant plus qu'il s'agit du premier de l'auteure. Les portraits de Hetty, Ada et Evelyn, d'âges et de conditions différentes, sont tous marqués par la perte : d'un fils pour l'une, d'un fiancé pour l'autre, d'un frère enfin, même si ce dernier est revenu des combats, mais traumatisé et comme mort à l'intérieur. Plus largement, le chagrin des vivants raconte avec précision et sensibilité la société anglaise de l'immédiat après-guerre qui côtoie en permanence des spectres dans les rues, des hommes auxquels il manque quelque chose que cela soit physiquement ou moralement. Il y a alors parmi les survivant(e)s l'envie d'oublier ou plutôt d'essayer de (re)vivre enfin sans se sentir coupable, sale ou meurtri. La prose d'Anna Hope est limpide, sans aucune coquetterie de style, elle est d'une précision dans les sentiments qui est tranchante comme la lame. Rien à voir avec un mélodrame, le livre dépasse ce stade dans cette symphonie en cinq actes, crépusculaire avec de maigres trouées de ciel bleu mais qui finiront bien par chasser la grisaille. Mais plus tard, bien après ce 14 novembre 1920 quand le temps aura fait son oeuvre et que les blessures encore à vif auront cédé la place à des cicatrices. le chagrin des vivants est un livre splendide et douloureux dont l'écho ne se limite pas à l'époque qu'il décrit mais concerne toutes les guerres, y compris actuelles, pour ses victimes tombées sous les balles et aussi, et peut-être surtout, collatérales.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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Je trouve que le chagrin des vivants devrait presque s'appeler le chagrin des survivants, tant ce roman intense, magnifique et douloureux, parle ainsi et avec une grande justesse de ceux qui sont revenus de ce carnage que fut la première guerre mondiale. Ils sont revenus tant bien que mal, certains mortifiés, totalement brisés dans leurs corps. Mais les survivants sont aussi celles et ceux qui ont attendu leur retour, parfois en vain. Comment vivre, comment survivre lorsque celui qu'on aime ne reviendra plus ? Que sont devenus ces corps sans vie, broyés dans la boue argileuse des tranchées ? Comment faire le deuil d'un corps qui ne revient pas ? Et lorsqu'ils sont revenus, meurtris dans leur chair, parfois amputés d'un membre, les yeux perdus dans un rêve à jamais brisé, comment vivre, comment survivre après cela ? Comment travailler lorsqu'on revient infirme ? Comment tout recommencer ?
Nous sommes en 1920 à Londres, précisément cinq jours avant l'arrivée à Londres du cercueil du soldat inconnu, le 11 novembre 1920. Le roman se pose sur les cinq jours qui précédent l'événement. Anna Hope a construit son roman autour de trois femmes qui prennent la parole durant ces cinq jours.
Ce n'est pas la première fois qu'un récit accorde une place importante au rôle que les femmes ont joué durant cette première guerre mondiale, puis après la guerre. Mais ici le roman fait entendre leurs voix, de manière à la fois sobre et magnifique, dans une lumière dramatique, presque de fin du monde. Elles ne se connaissent pas, du moins pour l'instant.
Ce sont trois femmes que je trouve rebelles à leur manière, pour certaines c'est de manière très forte, pour d'autres cela viendra plus tard, dans la tragédie que cette guerre laisse après elle.
Ce sont trois femmes habitant Londres, qui ont toutes les trois une relation à la guerre. Elles sont par ailleurs toutes issues de la classe ouvrière, celle qui a payé un lourd tribut à la guerre, ce qui les unit aussi d'une autre manière. Une forme de solidarité humble, silencieuse, une chaîne qui ne connaît pas de frontières dans cette blessure collective.
Le roman s'articule avec harmonie dans la résonance des mots de ces trois femmes. Il y a tout d'abord Evelyn, dont le fiancé a été tué, qui travaille au bureau des pensions de l'armée. Il y a ensuite Ada, mère éplorée et qui ne cesse d'apercevoir son fils Michael pourtant tombé au front. Il y a enfin Hettie, qui accompagne tous les soirs d'anciens soldats sur la piste de danse du Hammer-Smith sur des airs de jazz. Son père n'est pas revenu de la guerre et son frère, bien que revenu, ne s'en remet toujours pas...
Deux ans après la guerre, la guerre est encore là. Les cicatrices sont parfois flagrantes. Les séquelles que laisse une guerre derrière elle ne sont pas toujours que physiques. Et ceux qui ne sont plus là deviennent des fantômes, se perdant dans le dédale du chagrin des vivants.
Ces trois voix de femmes sont magnifiques, presque ordinaires et c'est aussi ce qui les rend profondément émouvantes dans leur geste de tous les jours. Nous avons les voix d'une mère, d'une compagne, d'une fille. le deuil les a frappées. La douleur est pourtant la même. Ces hommes étaient aussi des enfants. Elles sont ordinaires dans leur douleur et pourtant le roman se construit presque comme une tragédie grecque, nous les voyons cheminer comme si elle marchait vers le même horizon.
Cette tombe du soldat inconnu, d'un soldat que personne ne connaît, ne serait-ce pas la meilleure manière de pouvoir faire enfin le deuil tant attendu... ?
Il y a pourtant ici ou là une forme d'espoir qui se détache de cette nuit boueuse. Reconstruire... Reconstruire les corps et les coeurs. Les jours d'après. Pas à pas. Recoudre les gestes meurtris, oubliés, désappris par la mort tout autour.
Réapprendre à vivre pour ne plus survivre.
Anna Hope nous le dit avec des mots d'une justesse touchante.
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