Emprunt de nostalgie, de regrets et de tristesse, «
le chagrin des vivants » est une belle histoire à trois voix racontant le difficile chemin du deuil et de l'acceptation, chacune de ces voix traduisant des émotions, des pensées différentes.
«
le chagrin des vivants », c'est le chagrin de ceux qui restent et qui ont perdu un être cher, c'est aussi le chagrin de ceux qui sont rentrés de la guerre, traumatisés physiquement, psychologiquement.
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Le récit débute de manière saisissante. Nous sommes dans la nuit du dimanche 7 novembre 1920. Trois hommes déterrent le corps d'un soldat dans un champ. L'un d'eux :
« Une pensée lui vient spontanément à l'esprit : son frère est mort ici. Dans un champ comme celui-là en France. Son corps n'a jamais été retrouvé. Et si c'était lui ?
Mais il n'y a aucun moyen de le savoir. »
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Anna Hope a eu la très bonne idée de décrire l'entre deux-guerre du point de vue des femmes, décrivant l'atmosphère particulière de l'après-guerre, à la fois lourde, triste, traumatisante, déboussolante.
Nous suivons Ada, Hettie et Evelyn, chacune meurtrie à leur manière par la guerre. Leurs drames personnels éclairent notre regard sur cette époque. Durant les cinq jours qui précèdent l'arrivée du cercueil du Soldat inconnu en Angleterre, le lecteur suit leur quotidien, entre dans leur intimité, dans leur esprit. Leur douleur est touchante.
Qu'est-ce que cinq jours ? Si peu. Mais ces quelques jours seront peut-être les plus marquants, les plus nécessaires de leur vie. La cérémonie sera comme un baume sur leurs blessures, leurs douleurs, leurs regrets.
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Hettie, la plus jeune, est danseuse de compagnie au Hammersmith Palais pour subvenir aux besoins de sa mère et de son frère, revenu de la guerre traumatisé et incapable de retrouver une vie active.
Pour six pence la danse, elle accompagne des soldats revenus de la guerre, adoucissant leur détresse, leur solitude, leur chagrin.
Evelyn a perdu son fiancé, Fraser.
Handicapée suite à un accident dans une usine de fabrication d'obus pendant la guerre, elle subvient à ses besoins en travaillant au bureau des pensionnés de guerre.
Ada, la plus âgée, a perdu son fils Michaël et ne parvient pas à faire son deuil. Une simple lettre l'a informé qu'elle ne reverrait jamais plus son fils parti à la guerre.
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J'ai eu au départ des difficultés à m'intéresser aux personnages, trouvant le récit long à se mettre en place, le quotidien de ces femmes trop banal. Et puis, contre toute attente, je me suis attachée à elles, et en particulier à Ada qui est celle qui m'a le plus émue, peut-être parce que je suis mère aussi.
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S'il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, c'est que tout l'enjeu du roman est dans l'ambiance et les émotions.
L'auteur s'attache à rendre compte, avec beaucoup de pudeur et d'empathie, des difficultés à reprendre le cours normal de la vie. Affrontement des sentiments, entre l'envie de vivre et la douleur encore trop vive.
Pour les hommes partis se battre, incapables de retrouver leur place dans une société qui ne les comprend pas. Pourquoi certains soldats ont eu la chance de revenir ? Et pourquoi d'autres sont morts sur le sol français ?
Mais aussi pour celles qui sont restées, victimes collatérales du conflit, qui attendent dans l'angoisse des nouvelles, qui espèrent le retour de l'un des leurs, ou qui commencent le lent et complexe processus de deuil.
« C'est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours… et celui qui ne partage pas cet avis est un imbécile. »
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Alternant les récits des trois femmes et les préparatifs de la cérémonie d'inhumation du soldat inconnu, le récit, bien maîtrisé, laisse surtout la place aux émotions. D'une écriture simple, fluide, agréable, l'auteure ne cherche pas, par des phrases surfaites qui atténueraient le sens du message, à faire larmoyer le lecteur. Au contraire, ce style « spontané » nous rend les personnages proches, attachants et sincères.
«
le chagrin des vivants » est un roman touchant, délicat. Malgré la douleur de l'absence, la vie continue.