Anna Hope à la rencontre de plusieurs femmes endeuillées par la grande guerre, leurs mots vont patiemment s'écrire, se trouver, s'apprivoiser avec maladresse, effroi, elles sont venues vers elle la voix encore engorgée de silences, et de vides, que savent elles de ces hommes, ceux qui sont revenus ne parlent plus.
Anna Hope parle de l'impossible, de l'impensable, de l'insoutenable, de cette peur aveuglante comme un délire à ciel ouvert, « pas envie de l'entendre beugler comme un sourd » P300, ce sont pourtant ces mots qu'il faut vomir, extraire de soi ou pourrir, « on s'attache une écharpe autour du visage et on creuse » P301.
La confession de Rowan est le moment plus fort du livre, extraire les mots pour parler de son ami Michael, dire le coup de feu, puis je ne peux pas, puis « je me mets à trembler. Je tremble sans m'arrêter. Je ne sens plus mon bras. le bras qui a tiré le coup de feu. Après ça il cesse de fonctionner, et il ne bougera plus jamais. ».
le Chagrin des vivants sonne comme des cris, indisciplinés que ni l'hommage de la Nation, ni la tendresse des amis ne peuvent arrêter, un tsunami intérieur qui va balayer ces femmes, les dévaster, dans leur incapacité de savoir de comprendre comment on peut se « noyer dans la boue ».
Toutes les femmes au coeur du Chagrin des Vivants se ressemblent, elles cherchent à savoir, à revivre parmi ces hommes qu'elles ne comprennent plus, rongés par leurs fantômes, encore surpris d'être vivants, mais qui n'ont pas les mots, des gestes parfois, pour se remettre à communiquer, la mémoire envahie par les bruits d'hier qui ne s'évanouissent pas, par un corps qui tremble et sursaute, une jambe manquante.
Anna Hope nous guide tel de courts interviews qui nous font avancer pas à pas.
Evelyne a perdu son fiancé, son frère blessé à la jambe n'est plus qu'une ombre, les propos sont incohérents, ma vérité mais laquelle, il faudra toute l'opiniâtreté d'Éveline, pour arracher enfin ces bribes de paroles à l'officier qu'il fut.
Hettie et Di accompagnent des soldats au bal pour oublier dans ce « Palais » , une rencontre est une épreuve, un défi , elles gagnent à chaque danse quelques pence, Hettie y rencontrera Edward le frère d'Éveline pleinement alcoolisé.
Ada et Ivy ont perdu un fils, le fils d'Ada n'est pas dans cette boite du soldat inconnu et pourtant Ada « n'est pas vide elle est pleine de chagrins retentissants, pleines du Chagrin des Vivants. » .
Le livre ne laisse pourtant pas un goût amer, les confessions soulagent, les blessures apaisent.
Livre éblouissant, pudique, vrai, d'une grâce littéraire affirmée, chacune de ces femmes vous laissera leur image au féminin, mère, épouse, amante, des images au fil d'une émouvante imagination.
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Le roman se déroule sur quelques jours, du 7 au 11 novembre 1920, à Londres. Les trois personnages principaux sont trois femmes et on les découvre avec toutes les difficultés de vivre et de se reconstruire après la guerre.
Hettie est danseuse de compagnie : des hommes l'engagent pour une danse au Palais de Hammersmith. Peu convenable selon sa mère mais Hettie a ainsi un travail et peut contribuer à faire vivre la famille : sa mère et son frère Fred qui hurle toutes les nuits depuis qu'il est rentré de France, mais qui n'arrive plus à communiquer la journée.
Evelyn qui vit avec sa co-locatrice Doreen et qui travaille au bureau des pensions de guerre. En rupture avec sa famille aisée qui aimerait la voir aller de l'avant, elle ne sait comment vivre depuis qu'elle a appris la mort de son fiancé Fraser.
Ada enfin, mariée depuis 25 ans à Jack et dont le fils Michael est porté disparu. Elle ne cesse de le voir partout, dans la rue, chez le boucher, …
La « petite » histoire de ces trois femmes qui ne se connaissent pas (mais qui en fait ont des liens ..) et leur quotidien hanté par la guerre côtoient la « grande » histoire et le choix puis le rapatriement du soldat inconnu.
Un roman très dense, plein d'anecdotes révélatrices de la période (le fermier qui a perdu un oeil à Verdun qui veut simplement qu'on le laisse tranquille, une infirmière fiancée qui tombe amoureuse d'un capitaine français, le travail dans les usines d'armements, les coupes de cheveux à la garçonne, …)
« C'est la guerre qui gagne » pour certains des personnages qui se laissent envahir par leurs douloureux souvenirs mais certains arrivent aussi à tourner la page. Poignant, émouvant, une belle découverte !
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