Pour
Sabine Hossenfelder, la science est en crise, y compris la science fondamentale la plus pure. La description qu'elle en fait est en effet sans équivoques : des théories « évidentes », « naturelles », « belles » qui ne sont pas confirmées depuis des décennies par des observations et des expériences, on ne découvre pas les particules que l'on devrait voir, à contrario des observations et des données étranges s'accumulent sans qu'on ait la moindre idée de ce qu'il se passe (matière et énergie noire), et pire on ne comprend même pas complètement et intimement ce que l'on sait déjà.
Les théoriciens sont atteints d'une sorte de maladie extatique, comme les moines du moyen-âge, ils sont baignés dans une forme d'adoration contemplative de la nature et de la physique. Ce que nous devons y voir doit être « beau », « élégant », « naturel ». En effet, l'esthétique dans la science a été un aiguillon ou une conséquence de certaines découvertes, c'est indéniable. Mais aussi, comme le montre l'auteure, un frein à la compréhension de la nature telle qu'elle est : c'est l'adoration du mouvement circulaire qu'il a fallu surmonter pour découvrir le mouvement elliptique des planètes. de plus l'esthétisme est aussi affaire d'éducation, ce qui est beau pour l'un, l'est moins pour un autre. Il se forme alors des écoles d'esthétisme qui se combattent : les « cordistes », les « bouclistes », les « susystes », les « éverettiens », les « suskindiens », etc. Si le subjectivisme de la beauté, que l'on ne peut pas tout à fait évacuer comme mode de pensée, est un guide et une récompense, elle ne devrait pas cependant supplanter l'objectivisme physique. Contrairement aux maths (mais philosophiquement ça se discute), la physique à un cas concret d'étude : la nature, la réalité des choses. Certains voudraient se passer de la méthodes scientifiques pour imposer leur vision comme une évidence, comme finalement une révélation quasi mystique ou religieuse.
C'est un énorme problème. Un problème qui relève de la sociologie des scientifiques et leurs relations avec la société et la nature. Les scientifiques sont des êtres humains, donc sujet à l'erreur, et au déni de leur vulnérabilité face à l'erreur. La méthode scientifique a été élaboré justement pour corriger les erreurs. Mais la communauté s'est aussi adapté à cette méthode pour la rendre en partie inopérante. L'aménagement de l'environnement scientifique, en écoles, castes, moyens de communications et d'influences, permet finalement de créer des groupes qui se protègent et permettent de maintenir un mode de fonctionnement et des thèses non vérifiées ou invérifiables pendant des décennies ; et pire, dissuade l'émergence de nouvelles idées. Ce n'est pas un phénomène nouveau : mais visiblement en avoir conscience ne permet pas de le contrer toujours efficacement.
La science est aussi victime du mode de fonctionnement qu'on lui impose à l'image de la société avec ses exigences d'efficacité, de rentabilité et de retour sur investissement. L'auteure en fait mention bien entendu et observe les même biais que l'on voie dans les autres couches de la société. On en observe particulièrement les effets délétères dans l'évaluation et ses indicateurs. J'ai souvent constaté que la définition d'un indicateur d'évaluation, aussi pertinent soit-il, est toujours dévoyée car les enjeux sont trop importants. Prenons deux exemples illustratifs, une étude a montré que l'indicateur de citation des articles scientifiques à amener la communauté scientifiques italiennes a ce citer les uns les autres sans pertinence pour atteindre leurs objectifs ; le classement de Shanghai des universités a amené la France à fusionner ses universités pour soudainement débouler dans le haut du classement. Finalement les indicateurs perdent leurs pertinences et provoquent des phénomènes d'adaptation qui rend encore plus obscure le fonctionnement de ce que l'on veut observer.
La science ne peut pas être rentable, elle ne peut pas être efficace non plus (comme la santé ou la sécurité d'ailleurs). C'est une quête gratuite et non dirigée, avec d'éventuelles surprises au bout. Vouloir la faire plier à des objectifs de maximisation des « gains », fussent-ils épistémologiques, un « capitalisme » des savoirs, c'est la dévoyer et la rendre justement inefficace dans ces buts : car comme l'a montré l'auteure elle ne produira plus que ce qu'elle a déjà produit.
Il est peut-être temps de protéger la science de certains travers des scientifiques et de certaines exigences hors de propos de la société. Et pour les simples citoyens d'être mieux former en science, encore plus de la méthode scientifique et d'être activement curieux de ce que disent les scientifiques.