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3,67

sur 1486 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
On se souvient peut-être que Michel Houellebecq avait été fort sensible à l'affaire dite de Vincent Lambert, jeune homme victime d'un accident et "euthanasié" (le eu- est peut-être de trop, puisque l'autorité médicale a cessé de l'alimenter et de l'abreuver - on l'a donc laissé légalement mourir de faim et de soif). La question de l'euthanasie apparaît deux fois dans ce nouveau roman, qui pourtant se garde bien de prêcher : il suffira au lecteur curieux de mettre en relation les faits racontés, pour comprendre le problème du sort fait aux vieux, aux malades et aux mourants dans notre monde : c'est un des thèmes importants du livre.

Cette fois-ci, l'auteur a choisi d'écrire un gros roman, de se donner tout le loisir, toute la place, de développer les sujets et les personnages qu'il invente. On lira d'abord une histoire de politique fiction, puisque le héros est un proche du ministre des finances Bruno Juge (créé sur le modèle de Bruno Lemaire). L'action se déroule en 2027, au moment des élections présidentielles où Macron, réélu en 2022 (mais jamais nommé dans le livre) ne peut se présenter une troisième fois consécutive : ne pouvant dénaturer la loi, il la tourne en laissant la place à un pantin qu'il compte bien remplacer après cinq ans. Sur ce fond électoral, des attentats extrêmement professionnels et ciblés, pour une fois non musulmans, semble-t-il, sont l'objet d'enquêtes et de recherches. Sur ce plan, le roman m'a intéressé, et j'ai été surpris de prendre plaisir à lire de la politique fiction : c'est peut-être que l'auteur, au fond, a l'esprit suffisamment libre pour ne pas tomber dans les grands sermons qui ont tant de succès ici : "les ténors de la "gauche morale" étaient devenus définitivement inaudibles, et les gros mous humanistes n'avaient pas bougé", signale l'attachée de communication du ministre (p. 335).

Par ailleurs, "Anéantir" est une chronique familiale développée et détaillée. On y suit le destin du héros, Paul Raison, mais aussi la vie de son frère et de sa soeur, ainsi que de leur père sauvé des syndicalistes hospitaliers de l'Ehpad. Il est question de vie conjugale, d'amour; de haine ou bien d'indifférence entre époux, en somme de tout ce qui peut faire la trame et la matière d'un roman réaliste. Là encore, "Anéantir" joue bien son rôle, qui est de nous distraire de nous-mêmes de façon intelligente. Ainsi le héros, qui vers la fin doit subir de longues heures de chimiothérapie, lit avec passion des Sherlock Holmes : "quoi d'autre qu'un livre aurait pu produire un tel effet ? Pas un film, et un morceau de musique encore bien moins, la musique étant faite pour les bien-portants. Mais même la philosophie n'aurait pas convenu, et la poésie pas davantage, la poésie n'était pas faite pour les mourants ; il fallait impérativement une oeuvre de fiction ; il fallait que soient relatées d'autres vies que la sienne." (p. 667) On reconnaît ici un procédé que Houellebecq a emprunté aux Naturalistes comme Joris-Karl Huysmans et Zola, en le raffinant et en l'allégeant quelque peu : il prête ses propres pensées à son personnage, ce qui donne au roman une profondeur de réflexion, de méditation sur le monde et la littérature, qui double l'action pure.

Enfin, on se plaît ici à qualifier Michel Houellebecq de romancier déprimant dont la lecture est une cause de tristesse. C'est une façon d'accuser le messager pour ignorer le message, porté discrètement par Maryse, cette aide-soignante béninoise à qui l'auteur prête cette pensée : "Les Français en général étaient tristes, cela elle l'avait compris dès le début, dès son arrivée, et il le savait aussi, il [Aurélien] le savait même un peu mieux qu'elle, mais ce n'était pas le moment d'aborder le sujet." (p. 413, et le contexte du chapitre explique clairement les raisons de cette tristesse). Je crois que c'est une erreur de reprocher cela au romancier : s'il représente la réalité dans ce qu'elle a de déprimant, la vie et l'amour comme des illusions décourageantes, c'est toujours avec un humour noir à froid qui fait de lui un des rares écrivains vraiment comiques de notre temps. Même les scènes atroces d'Ehpad ou d'hôpital portent en elles une secrète veine comique et satirique. Mais que savons-nous, dans notre littérature actuelle, de la satire ? Elle conduit tout droit les écrivains à la XVII° Chambre, dévolue aux délits d'opinion, dont l'auteur a connu les charmes... Par ailleurs, Houellebecq a su dans "Anéantir" mettre en scène deux beaux couples qui connaissent leurs heures de bonheur, qu'il décrit abondamment et avec lyrisme.

"Anéantir" est donc un bon roman, digne d'être lu et relu.
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Pour ce que je me souviens de ses précédents livres, Houellebecq vieillit bien. Son désabusement est toujours là mais il est assumé avec plus de sérénité et de philosophie, et moins de provocations. Politique, solitude, amour, maladie, fin de vie, autant de sujets abordés avec une authenticité émouvante incitant à la réflexion. A part une intrigue alambiquée de politique fiction terroriste qui m'a semblé être là comme un cheveu sur la soupe, le livre est très bien construit. L ‘écriture est fluide et agréable et les pages s'avalent sans voir le temps passer. C'est à mon humble avis, le meilleur Houellebecq à ce jour, en ce sens où l'auteur semble y avoir atteint une maturité qui équilibre le caractère désespérant et provocateur de ses premiers romans, que j'ai du coup envie de relire.
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Anéantir de Michel Houellebecq
Bastien Doutremont, qui travaille pour la DGSI, a rendez vous avec Paul Raison au ministère, ils vont parler de la vidéo virale sur internet qui montre Bruno Juge, le ministre de l'intérieur se faire guillotiner. Bastien a activé ses connaissances dans le domaine, Fred, qui dirige une des meilleurs sociétés d'effets spéciaux mais les résultats sont négatifs, seule certitude, ceux qui ont créé cette vidéo ont des moyens que lui ne connaît pas et ont des capacités financières hors norme, ils doivent mobiliser des milliers de serveurs, Paul encaisse la nouvelle, il aime Bruno, compétent et intègre, il a ramené la dette de la France à 1% du PIB, sécurisé les approvisionnements en terres rares, eut le nombre de grèves le plus bas de la cinquième et ils ont en commun un problème de couple qui va mal, ils ne font plus l'amour. Cette vidéo lui a mis un coup au moral. Au même moment Paul apprend que son père, un ex de le DGSI, est dans le coma à Lyon, il y retrouve Cécile sa soeur. de retour à Paris un nouveau message sur la toile, un assemblage mystérieux de traits de cercles et de pentagones, avec une vidéo derrière, un vaisseau coupé en deux qui sombrait, c'était la deuxième fois, il contacta Bastien. Noël, le père sort du coma mais reste en état végétatif, réveillon avec sa soeur et son frère à Lyon dans la maison de leur père, avec Madeleine sa compagne qui a remplacé leur mère décédée. Arrivée de son jeune frère et de sa femme, pas vus depuis des années.

On est fin 2026, une très légère anticipation( le livre est paru en 2022), chacun se prépare à l'élection présidentielle. On suit surtout les couples, Paul et Prudence, Cécile et Hervé, Aurélien et Indy, car pour moi c'est le coeur du livre, les relations familiales. La vie, la mort, l'amour. Lucidité, cynisme, c'est Paul qui est au centre de ce livre que j'ai beaucoup aimé, Paul qui de par son travail fait le lien entre la famille, la politique, les affaires et les médias, c'est lui qu'on suit tout le long de cette histoire jusque dans ses rêves. Une longue réflexion sur la fin de vie.
Le meilleur Houellebecq selon moi, il a su garder son ton et son style tout en éliminant ses excès pornographiques voire scatologiques. Excellent.
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Inspirez…
Et c'est la que vous vous dites " pitié non , encore une qui vient nous plomber avec une énième chronique sur "Anéantir" , pire… avec Houellebecq.
J'en suis bien consciente … livre phénomène présenté comme LE livre de l'année , ce ton légèrement condescendant de toute la sphère médiatique (hormis France Culture) qui fait des ronds de bouche dès qu'elle parle de Mimiche... ceux qui exposent ce pavé sur leur table basse bien en évidence sans même l'avoir ouvert (ou brièvement) histoire d'avoir l'air à la page...les encenseurs et détracteurs...les déçus et les repus… certains diront " y'en a marre de cette dictature de la bien-pensance intellectuelle et de la glorification de ce … de ce type ignoble!" alors que les amateurs préparent leur verve acérée au cas où je dérape ! Et oui , il faut le dire , c'est devenu de plus en plus clivant comme sujet ses bouquins et on le comprend au regard des thématiques abordées à tel point qu'un lecteur emballé par " Anéantir" peut être taxé de misogyne d'extrême droite au même titre que l'auteur sur divers supports. Intéressant non ? Mais tellement prévisible en vue de la société actuelle qui a bien du mal à se saisir de la nuance. Pourquoi me direz-vous ? Parce qu'elle n'est plus à propos. Mais alors si la nuance et les questionnements font place à la pensée unique à quoi bon continuer à lire Houellebecq ? Misogyne… pas plus pas moins qu'avant si on fait partie de ceux qui le pensent et alors dans ce cas on est censé avoir arrêté de le lire depuis belle lurette. A quoi bon le comparer à Celine ? Houellebecq n'a pour commencer jamais eu recours à une structure littéraire y ressemblant de près ou de loin , il s'en fout ! ce qui l'intéresse c'est le fond pas la forme ( et surtout de susciter la polémique et ca marche) . Il est d'extrême droite , il fait même exploser des migrants … Allons bon ! ( Désolée , je ne pouvais pas faire impasse sur ce clin d'oeil) voilà qui doit bien le faire marrer ! Il dénonce surtout la banalisation de ces partis bien ancrés dans la société ce qui est légèrement différent et pardon mais …ils prennent beaucoup de place.

Je vous préviens je ne vais pas avoir la prétention de disséquer l'esprit de Houellebecq qui est de toute évidence aussi tortueux qu'insondable . Reste qu'il est brillant et qu'il mène à la réflexion.

Ne reste donc que mon ressenti.

Vous êtes encore là ? Fastoche si vous avez résisté à 730 pages Houellebecquienne ou si vous comptez vous y mettre c'est un bon entrainement ! Alors je me lance et balance en commençant par la décapitation … non pas du livre ni de Michel je vous vois déjà en train de jubiler à l'approche d'un lynchage textuel !

- la cyber décapitation d'un système au travers d'un ministre de l'économie sous le deuxième mandat de Macron (toute ressemblance avec Bruno Lemaire est un fait purement inventé même si je mens) , des attentats dézinguant l'ordre du profit … Voilà qui doit faire jubiler l'extrême gauche et même les anticapitalistes les plus modérés. Oué ben calmez-vous ! L'asile mondial du libéralisme explose , la classe moyenne n'existe plus , seuls évoluent les riches et les pauvres , si le chômage est en baisse la précarité en revanche devient un dommage collatéral d'une revanche économique bien française . La tendance est à la mélancolie et la neurasthénie d'une génération désenchantée succédant à l'optimisme du baby boomer. La suprématie politique admise par tous l'emporte avec les compliments d'une société aphone sous fond de malaise contagieux . Houellebecq disperse , distille , projette ce qui n'étonne personne (quoique…) à ce jour ni prochainement . A droite tous ! En marche les gens ! C'est le crash ! on l'a dans la rondelle. Anéantir

- Puis la maladie , celle qui flirte avec la mort au plus près ; celle qui nous conduit dans l'antichambre des réflexions philosophiques sur l'existence ; celle qui fait place aux réminiscences de l'enfance ; celle qui remet à sa place la religion indigeste dans le champ de vision de l'athée , seule source d'espoir qu'alors on exècre mais qui d'un coup devient acceptable acculés devant le spectre immobile de l'effacement des nôtres ; de l'imminent tsunami interne qui renverse nos propres fonctionnements et agissements face à l'inexorable prise de conscience que les substantiels manquements de chacun ont surpassé les échanges primordiaux. Saisir la clarté de l'ironie de la vie au fil des jours nouveaux. C'est peut-être au plus près de la fragilité de l'être que l'on devient plus altruistes et alors débordés par notre propre aveuglement dont on a pas su s'extraire voici alors venu le temps de notre propre pulvérisation. Anéantir

Pulvérisation pour un renouveau , un espoir , de toute cette mascarade ressortent les méditations de Houellebecq sur sa vision de l'humanité authentifiée ainsi "de petites boules de merde qui copulent pour donner naissance à d'autres petites boules de merde" … et tout ca le rend humain, profondément humain. Ainsi ce séditieux Houellebecq , ce torturé , cet écorché vif s'attaque à la citadelle du coeur , s'attaque...non. le mot n'est pas juste , on ressent chez lui une sorte de romantisme pudique qu'on ne lui connaissait pas vraiment , il ose parler d'amour , de couple et de tentative de sauvetage , d'attentions , de réconciliations dans une époque où tout se délite. Sa recherche perpétuelle d'affection fait place à l' intime plutôt qu'à l'hostile sans qu'il cherche à s'en détacher. La réalité de nos conflits intérieurs , à tous , sont là. J'ai pensé à De Musset qui lui aussi l'a si bien retranscrit :

"Le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais s'il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux."(On ne badine pas avec l'amour)

Ainsi on saisi cet élan inattendu , cette impulsion d'espoir dans le chaos de l'humanité , a-t-il fouillé au plus profond de lui pour ressortir une telle philanthropie qui quelque part n'est pas si surprenante ou se range t-il derrière cette idée que "celui qui désespère des évènements est un lâche mais celui qui espère en la condition humaine est un fou" (c'est bien d'Albert Camus) Fatalisme: Anéanti.

On pourra dire tout ce que l'on voudra , qu'on aime ou qu'on aime pas , Houellebecq , ce génie , aborde de front tous les sujets de société qu'il contemple d'un regard vif et aiguisé afin de les représenter le plus fidèlement possible, il est le digne héritier du mouvement réaliste moderne , la continuité de la comédie humaine au 21e siècle , il est bien le Balzac contemporain .

Intelligent et percutant, anéantir est un édifice admirable.

"Le roman est un miroir que l'on promène le long d'un chemin" Stendhal.

"Dis-moi ce que tu penses de ma vie , de mon adolescence , j'aime aussi l'amour et la violence" Sebastien Tellier

Expirez , j'ai fini.
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Paul Raison est chef de cabinet de Bruno Juge. Celui-ci vient d'être victime d'une mise en scène de décapitation jetée sur Internet, avec des moyens technologiques inhabituels.

On est à quelques mois des élections présidentielles de 2027 et Bruno a bien failli être candidat, le temps que le président, après ses deux mandats, reprenne la main. C'est finalement un guignol populaire de la télé qui fera l'affaire.
Mais la campagne est parsemée d'attentats aussi incompréhensibles que cruels et hyper sophistiqués.

Côté vie personnelle, Paul et Bruno ne vivant que pour leur travail habitent quasiment le ministère de Bercy.
Paul ne croise plus sa femme Prudence depuis des mois, ils ne se sont pas touchés depuis dix ans et vivent en collocation dans leur appartement parisien.

Mais Paul et Prudence se sont profondément aimés. Il est nostalgique de cette période et de leurs vacances torrides.

Quand son père fait un AVC, un rouage grippé s'enclenche dans la vie de Paul: le couple se rapproche, lui se rapproche de sa soeur, de son frère, il retourne dans la maison familiale dans le Beaujolais et l'être morne qu'il était devenu, ne vivant pleinement que dans ses rêves, retourne petit à petit à la vie.
Aura-t-il le temps d'en profiter?

730 pages et pas une seconde d'ennui. Ce roman est bien trop riche pour tout aborder ici, mais c'est un très bon Houellebecq.

Il fait une large part à certains sujets importants, comme la croyance divine ou mystique, la vieillesse, la culture populaire… Des thèmes qu'il développe avec sa légendaire clairvoyance et beaucoup d'intelligence.

J'ai adoré me couler dans ce repli sur les essentiels de la vie: la contemplation d'un coucher de soleil sur les vignes ou du Golfe du Morbihan depuis Larmor Baden (un des plus beaux endroits du monde), le couple qui s'aime, les liens familiaux, le récit fiction pour s'évader, l'accompagnement des vieux et des mourants.

Ce roman est beau, d'une tristesse apaisante et même si Houellebecq n'a pas oublié quelques traits d'humour cynique, même si on grince parfois des dents, il a su évoluer et ses personnages sont bouleversants.

À lire et à savourer!
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Qu'en sais-je de Anéantir, le huitième roman de Michel Houellebecq à paraître dans une semaine. C'est un livre épais de 736 pages, relié à l'allemande, cette idée de gros roman le titillait depuis quelques temps, vieux rêve de tout auteur hors normes. C'est une fiction visionnaire, il plante son décor en 2027, à l'aulne de la présidentielle, qui se voudrait du Houellebecq plus sage, s'attachant néanmoins plus que jamais au burn out que subit chaque citoyen français, lessivé dans sa condition existentielle, dans un brouillard diffus, crépusculaire. le ministre de l'économie y joue un rôle important, un top-rôle même si j'ai bien compris, qui n'est autre que Bruno Lemaire, ce poisson sous cloche invertébré, au regard d'un bleu passé dans la lessiveuse, que j'aurais plutôt vu dans Possibilité d'une île en espèce glauque futuriste, un bas terrien prêt à toutes les postures pour se refaire une virginité. Bon, il paraît que c'est son ami dans le privé, je ne vais pas le discuter. Il me semble que Michel ne m'a pas écouté quant au sexe qui faisait sa recette, Anéantir en serait expurgé. Sur ces 736 pages de littérature, il n'y aurait même pas une respiration érotique : plaisirs éviscérés alors en perspective ! Mais restons prudents quand même quant aux mini-fuites, seraient-elles chastes ? ..
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2027, La France se prépare à l'élection d'un nouveau président. S'appuyant sur un scénario à la russe où le président en fonction achevant son second quinquennat s'arrange pour faire élire un pantin solidement épaulé par une valeur sûre qui a fait ses preuves en la personne de Bruno Juge, brillant ministre des finances. Il pourrait ainsi pointer à nouveau son nez de jeune loup, bonifié par les ans en 2032 !
Michel Houellebecq frappe encore un grand coup, comme presque à chacune de ses productions littéraires. Fiction romanesque dans laquelle on trouve des personnages existants qui constituent le socle et le fil narratif le long duquel l'imagination de l'auteur capte l'attention du lecteur dans ses filets pour qu'il ne puisse pas s'en échapper. La construction du récit séduit par son rythme ponctué par quelques scènes de sexe frontales et crues mais finalement assez anecdotiques et brèves pour ne pas polluer l'ensemble. Les quelques 700 pages du bouquin s'avalent facilement et agréablement, Michel Houellebecq confirme et accentue le talent qu'on lui connaissait déjà.
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Franchement, comme dirait l'autre, je m'ai bien régalé. Même si ce n'est pas le meilleur de ses romans ( La carte et le territoire, pour ne pas nommer ce dernier), on reste admiratif devant un des derniers écrivains à avoir encore quelque chose à nous dire. C'est un plaisir presque permanent de lire ces 730 pages baignées d'une douce ironie et, même si les personnages sont moins sombres que lors des précédents opus, on suit avec un immense plaisir les tribulations de cette fratrie à la fois banale et improbable...
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Lorsque l'on a aimé un livre, il est intéressant d'y revenir quelques temps après, de préférence si on en a la possibilité par l'intermédiaire d'une version audio. L'expérience de lecture en est renouvelée, approfondie et parfois modifiée, ce qui appelle une nouvelle critique. C'est d'autant plus vrai pour Anéantir que sa réception avait été perturbée par le battage médiatique qui avait accompagné sa sortie, et dont l'effet est aujourd'hui retombé.
On dit souvent que les écrits de Houellebecq comportent une dimension prophétique, en raison de ce que deux d'entre eux, Plateforme et Soumission, ont pu être rapproché d'événements ayant suivi de peu leur parution. En outre, ils se déroulent souvent dans un avenir plus ou moins proche, comme justement Anéantir. A vrai dire, ce côté prophétique ne doit pas être exagéré.
Mais qu'en est-il d'Aneantir ? L'action du livre prend place à la fin du second mandat d'un Président de la République dont on n'aura pas de mal à trouver le modèle, et dont d'ailleurs il n'était guère difficile de prévoir la réélection à la fin de l'année dernière. Reste que cela rend la lecture du roman assez savoureuse. En tout cas on souhaite que ce second mandat soit aussi faste dans la réalité qu'il l'est dans le livre. Non sans quelques doutes hélas. En tout cas Houellebecq s'amuse et nous amuse : c'est ainsi qu'entre autres exemples il est fait allusion à un outing de Jean-Pierre Pernaut, ayant déclaré en direct à l'antenne "Je t'aime, David " (Pujadas ?), aux rediffusions sur Arte de la série des c" Dimanche Martin", devenue culte, ou, mais c'est moins drôle, à l'élection en 2027 d'un certain Benjamin Sarfati, dont le président a fait son héritier. Est- ce un roman à clé ? Certainement pas. Bruno Juge est-il Bruno Lemaire ? Oui et non. S'il l'est, c'est comme le Baron de Charlus est Robert de Montesquiou.Au sujet de Bruno Juge -Lemaire, très belle "images" où il déambule comme un fantôme au milieu de la nuit dans les interminables couloirs du Ministère.
Sarfati est-il Hanouna ? Plus ou moins. Il n'y a que le Président qui soit indubitablement le Président.
Dans ce registre de l'anecdote, il y a aussi de curieuses allégories, comme dans un livre édifiant : Raison épouse Prudence,il est l'ami de Juge, et il est soigné par Lebon et Lesage. Faut il y voir un sens ? Peut-etre pas.
Avant d'en venir à la partie la plus importante de l'ouvrage, on peut parler des mystérieux attentats dont on ne connaîtra pas les auteurs. Certains s'en sont plaint. Mais pourquoi devrions -nous et d'ailleurs voudrions - nous le savoir ? Et d'ailleurs l'auteur le sait-il ? Sans doute pas. Et c'est très bien comme cela car toute explication aurait été décevante et réductrice, comme l'est toujours le mystère expliqué. Alors ils sont tout ce que vous voudrez. Ecowarriors, survivalistes, gauchistes, suprematistes, émanations d'un Etat que vous détestez ou admirez. En tout cas on regrettera, comme l'auteur, et comme le chef des services secrets français qui a contribué à cet échec, que le dernier attentat ait échoué : il visait en effet une île au large de la côte dalmate, appartenant à un milliardaire fou qui pourrait être Elon Musk, et où se tiennent des réunions ressemblant curieusement au forum du Davos (cette clé - là fonctionne assez bien)
Mais tout cela n'est pas l'essentiel. L'essentiel, c'est la condition humaine, c'est la vie, l'humble vie, sous le regard de la mort comme les nôtres, que vivent les personnages. Et là je n'en dirai pas trop Il ne faut pas spoiler l'essentiel.
Alors ce sont des histoires d'amour. Oui, de vraies histoires d'amour, qui pour la plupart finissent mal, mais n'en sont pas moins belles. Faut-il y voir un changement de paradigme de l'auteur ? En partie, mais pas totalement. Après tout c'est quelque chose qu'on retrouve dans Plateforme et même dans Sérotonine. Mais, oui, Houellebecq a changé.
De même la maladie, la vieillesse, la mort, qui constituent un des thèmes majeurs du livre, sont abordées avec une compassion, presque une tendresse, à laquelle il ne nous a guère habitués. Et grâce à cela, et malgré le reste, le livre n'est pas triste. Il y a malgré tout comme.. une espérance ? Non, c'est trop dire, car la religion demeure seulement une nostalgie. Pour le personnage principal tout au moins et sans doute pour l'auteur, qui a cependant, comme il l'écrit dans un de ses poèmes, le désir de "retourner dans la maison du Père". Mais il y a de curieuses échappées. Et aussi deux personnages éminemment positifs qui ont une foi profonde. Ceux-là d'ailleurs les lui a-t-on assez reproché ? Parce que ce couple a le défaut d'être proche du Rassemblement National. Et en outre ils ont le toupet d'être bons, humains, sensibles, intelligents, cultivés. Et en plus, visiblement, l'auteur les aime. Il est vrai qu'il aime tous ses personnages, à une exception près.
Alors, Houellebecq réac ? Peut-être. Est-ce que c'est si grave? Mais en fait, pas vraiment.Ce n'est pas tant qu'il soit de droite, c'est qu'il n'aime pas la gauche actuelle. Remarquez, il n'aime pas non plus la droite libérale. Dans les deux cas, il y a un peu de quoi.
En tout cas c'est un chef-d'oeuvre.
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Quelle expérience étrange que la lecture de Houellebecq. J'avais beaucoup ri aux débuts de Sérotonine et je m'attendais donc à trouver, par endroits au moins, le même humour désabusé dans Anéantir. Ça n'a pas été le cas.
C'est un livre froid dans lequel on ne rentre pas.

Ou plutôt, pas plus le lecteur que les protagonistes d'Anéantir ne semblent entrer dans l'univers que construit Houellebecq pour eux.

Les personnages existent indépendamment du monde, indépendamment les uns des autres aussi, en des sortes d'unités autonomes qui n'éprouvent, ne pensent, ni ne s'impliquent que rarement et qui ne créent ensemble quasiment jamais rien.

Ainsi que des planètes en orbite d'un improbable et aveugle centre, dans la même indifférence à leur propre trajectoire ou à celle des autres, dans la même impuissance à la gouverner, Bruno, Cécile, Paul ou Aurélien, Prudence accomplissent leur petite révolution. Paul m'a ainsi fait penser à ce pauvre Frédéric de L'Education sentimentale, il a sous les yeux un monde foisonnant dans lequel il ne parvient pas à s'engager, pour lequel il ne fera rien.

On baigne dans l'impression métallique d'un hermétisme froid, d'une opacité tour à tour absurde, tragique ou indifférente.

Avec d'autres figures littéraires contre-révolutionnaires, Pascal est souvent convoqué à travers le roman. C'est à mon sens, plus qu'un arrière-plan ou une référence, le palimpseste philosophique sur lequel se tisse la toile romanesque. Et Anéantir n'est jamais que la glose de ce passage : « Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'enferment comme un atome, et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j'ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter. » (Pensées, liasse « Misère »). Même froideur éternelle, même absence de sens, même gratuité ontologique.

Pourtant, on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien ou que le roman ne soit que cérébral : il y en a du rocambolesque ! Là où Sérotonine nous baladait dans les pâturages de la suisse normande, Anéantir nous fait sillonner quelques jolis villages du Beaujolais, nous emmène dans une ou deux rues parisiennes, et passer quelques heures en Bretagne. (On croirait presque une tentative de couvrir la diversité de nos belles régions françaises et de ne laisser aucun lecteur penser que Houellebecq l'aurait oublié.) Partis un temps pour un roman d'espionnage avec services secrets, complots et, pourquoi pas, secte hallucinée et satanique, on pique ensuite droit sur le thriller politique, suivant par légère anticipation la campagne électorale de 2027, laquelle ressemble très fortement et tristement à celle de 2022.

En sus de tout cela, on aura exploré la piste du roman de moeurs, de la place de chacun dans les fratries, des recompositions à la faveur du temps, de la maladie et des deuils. On aura tiré le fil de la fin de vie, de la misère des hôpitaux et EHPAD publics, on aura fait du fauteuil roulant et même pris une ambulance en contrebande. Il y aura eu un peu de patrimoine, quelques statues et tapisseries anciennes aussi.

Alors quoi ?

C'est que tout cela est aussitôt posé que désinvesti.

Le lecteur court après son histoire, happe chacun des procédés fictionnels pour se raccrocher au fil du récit, suit la piste proposée tel un bon limier bien dressé. Et qu'importe que les pistes soient nombreuses, on y croit, on y va et on ne lâche pas. Comme Houellebecq est un conteur hors pair, ce n'est pas trop difficile, on s'accroche à chaque nouveau fil de trame et on tisse du récit avec lui. Malgré le froid, on adhère, on veut connaitre la suite, on veut notre dose de péripéties. Ouaff !

Pourtant, rien à faire, ça se délite.

Tout le roman m'a fait penser à une installation : mots par mots, Houellebecq construit des mondes, des potentialités fictionnelles tout à fait convaincantes dans le seul but de les détruire. D'augmenter la déflagration de leur dynamitage par la maestria avec laquelle elles ont été créées. Et le titre alors s'impose. Anéantir comme un immense happening duquel il ne reste rien… ou presque.

Car, deux choses séparent Paul du Frédéric flaubertien. D'abord, il n'a plus rien du blanc bec puisqu'il approche la cinquantaine. Ensuite, et surtout, il trouve une forme de justesse à être dans la relation revitalisée qui le lie à son épouse. Dans l'animalité d'une sexualité en dépit de tout. Comme si, face à la mort et à l'inanité de notre existence, ce n'étaient plus les mots qui sauvaient mais bien la persistance dans une relation charnelle au long cours.

N'empêche que, ce faisant, Houellebecq assoit plus triomphalement que jamais le pouvoir enchanteur de son verbe et la démonstration est magistrale.
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