Il a fallu le Challenge Solidaire pour que je relise
Houellebecq. Mais pitié, pas un de ses romans : il a écrit une biographie de
Lovecraft ? Ça ne fait que 130 pages ? Parfait !
Pour commencer, une intéressante et drôle introduction de
Stephen King, élégamment traduite par
Philippe Mikriammos. King y raconte la genèse d'une idée de nouvelle, en imaginant trouver dans la vitrine d'une brocante... l'oreiller de
Lovecraft : un oreiller encore tout imprégné des rêves de l'écrivain. (Puis comment il a oublié son idée, en allant picoler avec des copains.)
Vient ensuite
Houellebecq. Ne vous attendez pas une biographie très détaillée, c'est plutôt une explication de texte s'appuyant sur des éléments biographiques ; et sur la fascination qu'exercent les "grands textes" de HPL sur
Houellebecq.
"Nous sommes là à un moment où l'extrême acuité de la perception sensorielle est tout près de provoquer un basculement dans la perception philosophique du monde ; autrement dit, nous sommes là dans la poésie."
Ça se discute.
Il précise tout d'abord que HPL est un matérialiste qui
ne croit à rien, et en aucune façon à des forces obscures. Par contre, il a vécu toute sa vie dans le regret de l'enfance et de son imaginaire. Toute sa vie il a entretenu également une hostilité face au monde (d'où le titre "Contre le monde, contre la vie"), face à ce que MH appelle "les lois universelles de l'égoïsme et de la méchanceté", d'où la fascination de HPL pour des existences étrangères à l'Humanité.
(C'est sûr que, si vous partez persuadé que tout le monde est égoïste et méchant, vous ne rencontrerez guère de bienveillance en face ; mais ce n'est que mon avis.)
Dans une deuxième partie, la plus pertinente, MH analyse les techniques d'écriture de HPL, comme ses fins ouvertes, ses descriptions architecturales et son utilisation des découvertes scientifiques : il a par exemple cité la physique quantique, sitôt l'idée publiée.
Pour terminer, MH explique l'odieux racisme de
Lovecraft, sa déshumanisation des Noirs ("des chimpanzés graisseux") ou des Asiatiques, par son séjour dans le melting-pot qu'était New-York par rapport à sa province d'origine. Ça m'a paru un peu faible comme argumentation : HPL était déjà un vieux réac à 30 ans, et loin de s'émerveiller de la diversité qu'il rencontre, il se sent agressé par les personnes qui ne
lui ressemblent pas, au point d'en faire d'ignobles caricatures dans ses oeuvres.
On a le sentiment que, s'il vivait de nos jours, il serait un de ces ados attardés de la fachosphère, trollant les réseaux sociaux.
Bref, MH réussit, comble pour un biographe, l'exploit de dégoûter n'importe qui de relire
Lovecraft.
Challenge Solidaire 2023
Challenge Départements (La Réunion)
LC thématique mars 2023 : "Une biographie romancée ou non"