On aime ou on aime pas
Michel Houellebecq, mais force est de constater qu'il ne laisse pas indifférent.
Je ne sais pas vraiment s'il faut m'en inquiéter ou pas, mais à chaque sortie d'un nouveau
Houellebecq, je suis pris d'une irrépressible envie de relire un de ses anciens bouquins...
La sortie de "
anéantir" en début d'année ne fait pas exception à la règle et c'est donc sur "
les particules élémentaires" que s'est jeté mon dévolu.
Commencer une nouvelle année avec un bouquin aussi glauque n'est pas tout à fait anodin pour un lecteur affamé. Cela peut avoir des conséquences psychologiques assez significatives sur son atmosphère littéraire de 2022 selon l'état d'esprit dans lequel on l'aborde.
Heureusement, je savais à quoi m'attendre.
Mais je n'avais pas anticipé que, comme pour Michel et Bruno, les deux personnages du roman, du temps avait passé.
J'ai lu "
les particules élémentaires" pour la première fois il y a une vingtaine d'année. J'étais jeune et vigoureux, célibataire et sans enfant. J'avais 25 ans à l'époque. Je gardais le souvenir d'un livre qui m'avait fait surtout sourire, de part le style provocateur et cru désormais caractéristique de
Houellebecq, mais aussi par la critique succulente de la génération soixante-huitarde dont l'insouciance et la désinvolture n'aura pas laissé que des bonnes choses aux générations d'après.
Sourire quand il explique que "Les serial killers des années 90 étaient les enfants naturels des hippies des années 60".
Sourire aussi quand il compare "l'esprit échangiste des camps naturistes du Cap d'Agde à la social-démocratie", précurseuse du wokisme actuel, cette nouvelle dictature des minorités.
Curieusement, cette deuxième lecture a été plus éprouvante. Elle m'a toujours fait sourire (parfois jaune) mais elle m'a aussi interpellé. du haut de ma grosse quarantaine (un moyen de ne pas dire ma petite cinquantaine), il semblerait que certains passages aient eu chez moi une résonance plus profonde en deuxième lecture, maintenant que la moitié du chemin est faite et que la pente se trouve être descendante.
Au travers des histoires de Michel et de Bruno, les deux demi-frères aux parcours si différents mais au final si comparables, ce livre est avant tout une illustration du temps qui passe, des traumatismes d'enfance dont on ne se remet jamais vraiment, des événements de parcours ou de rencontres faites en chemin qui façonnent tout ce qu'il nous reste à vivre.
De toute évidence, je n'avais pas appréhendé avec toute la profondeur possible, la substantifique moelle de cette histoire, à l'âge où sa principale préoccupation est de savoir si on aura assez de bière et de chips pour finir la fête du week-end.
Il parle aussi de l'inévitable remise en question qui nous guette lorsqu'on bascule au-delà du cap symbolique de la quarantaine, cet âge où on se sent encore suffisamment frais pour changer le monde mais où la réalité nous ramène sans prévenir à notre condition d'ancien jeune ou de jeune vieux.
Il parle aussi d'amour.
De sexe aussi ... beaucoup !
Mais surtout d'amour, le vrai, le beau.
Celui qui permet d'être enfin soi même, sans calcul, sans arrière pensée.
Celui qui est si douloureux lorsqu'il s'efface.
Celui sans lequel la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
Malgré la tortuosité de leurs histoires respectives, cet amour, Michel et Bruno ont réussi à le toucher du doigt, chacun à sa manière.
Ils l'ont vécu intensément. Ou du moins, le plus intensément possible dans le temps qui leur aura été alloué. Il en garderont des souvenirs magnifiques, des regrets aussi sans doute. Mais, ils en garderont surtout une violente déchirure.
Reste à savoir si, au final, la balance restera positive...
Connaissant l'optimisme légendaire de
Michel Houellebecq, on peut néanmoins avoir quelques pistes sur la morale de cette histoire.