Pour moi, ce premier roman de
Violaine Huisman est le dernier que je dois lire dans le cadre de la sélection hiver 2018 des 68 premières Fois.
Le titre,
Fugitive parce que reine, m'a tout de suite intriguée ; son sens m'échappait, sa construction me gênait sans que je m'explique pourquoi : causalité bancale, verbe omis... ?
Ce roman est le récit à la première personne d'une femme dont la mère souffrait de « schizophrénie, mythomanie, kleptomanie, alcoolisme, tour à tour neurasthénie et hystérie ». La narratrice raconte son enfance avec sa soeur de deux ans son aînée, les sautes d'humeur de leur mère, ses moments de force et d'euphorie, sa fragilité et ses défaillances, sa dépendance aux médicaments... Cette description du quotidien, le portrait de cette femme tantôt attendrissante, souvent diabolique deviennent vite dérangeants. Ce que vivent les deux fillettes est une tragédie au sens classique qui provoque horreur et pitié.
Quand, à la p. 81, nous apprenons le prénom de la narratrice, Violaine, la tension monte d'un cran car le récit prend une dimension autobiographique difficilement soutenable. Puis le nom de la mère, Catherine Cremnitz, est enfin prononcé p. 183 et le portrait de femme prend alors sens : Violaine Huysman nous raconte sa propre mère, décédée en 2009, dans un récit haletant, mêlant la passion amoureuse de ses parents, les excès en tout genre (sexe, drogues, médicaments), l'angoisse quotidienne et un véritable travail sur le langage...
Le sujet est difficile : comment expliquer la maladie psychiatrique à des enfants ? Comment se faire une idée claire de ce type de maladie quand on est enfant ? C'est « irreprésentable », peut-être encore plus difficile dans ce milieu de « grands bourgeois » où tout se joue dans une forme de paraître...
L'écriture est soutenue, travaillée, esthétique, riche d'une intertextualité évidente ou en filigrane qui me parle avec
Apollinaire ou
Baudelaire par exemple ; soudain cela devient grossier, insultant quand il s'agit de retranscrire les mots de la mère. C'est assez brut aussi, sans filtre, mais non dépourvu d'humour et de dérision, sans pathos excessif surtout. L'auteure a un réel souci du détail pour décrire les intérieurs, les ambiances et les situations ; l'effet de réel est indéniable.
Le récit de la première partie est à l'image de la personnalité et du délire de la mère : pas de découpage, pas de chapitre mais une litanie entrecoupée de pauses. Ce n'est pas ennuyeux, mais oppressant comme une « mélopée », « une écriture représentative d'un vécu paradoxal » pour reprendre les mots qui caractérisent l'écriture de la mère dans son propre roman. La seconde partie est purement biographique, dans une narration omnisciente qui semble trancher avec ce qui précède ; le contraste est comme une respiration, ce changement de registre et de tonalité est reposant, du moins à prime abord, car rapidement, le récit revient à une déclinaison des mêmes thèmes avec les mêmes mots, le même style : « folle vie de luxe et de luxure ». le lecteur relit la même histoire : seul varie le point de vue. le JE de la fille reprend la parole puisque la troisième partie commence avec l'annonce de la mort de la mère.
Une clé de lecture est souvent mise en avant avec le personnage mythique de Médée, très beau personnage de femme, mais extrêmement controversé ; C'est une femme savante, mais aussi une sorcière et surtout une infanticide car, abandonnée par Jason, elle se venge en assassinant ses deux enfants. Cette référence laisse planer une menace et l'entretient.
La littérature et l'écriture sont aussi présentes et servent de fils conducteurs, par le biais du livre de la mère, Saxifrage, du poème de la petite fille librement inspiré d'
Apollinaire et enfin de ce roman.
Voilà une lecture difficile pour moi, que j'ai mis plusieurs jours à mener jusqu'au bout et que je qualifierai de « sulfureuse » et même de toxique. Selon la formule consacrée, ce roman ne laisse pas indifférent(e).
Je respecte la catharsis de l'écriture mais ce roman n'est pas pour moi : la rencontre n'a pas eu lieu.