J'ai enfin lu
le meilleur des Mondes. Pas trop tôt à mon âge.
On peut prendre ce roman par plusieurs facettes. La plus pertinente, il me semble, est celle d'une critique du système capitaliste. Comment résoudre les crises sociales qu
i le secouent régulièrement (la dernière en date étant chez nous celle des Gilets jaunes) ? Telle est la question que se sont posés les instigateurs de ce nouveau monde (le meilleur..) mis en place.
Le problème (foutu problème) est que les gens de basses conditions, qui font les travaux les plus pénibles et les plus mal payés, en ont souvent marre (on les comprend…) et mettent en péril, par leurs révoltes et leur demande insensée de justice et d'amélioration de leurs conditions de vie, la stabilité de la société toute entière et son système hiérarchique implacable.
Dès le début du roman, le directeur du Centre d'Incubation et de Conditionnement nous donne la clé de la solution.
« Et c'est là, dit sentencieusement le Directeur, en guise de contribution à cet exposé, qu'est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu'on est obligé de faire. Tel est le but de tout conditionnement : faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper ».
Tout est dit.
Un perfectionnement scientifique ultime au service des puissants et des dominants a supprimé la reproduction par viviparité qui implique un embryon se développant dans l'utérus de la mère. Fini tout cela. Ici, dans ce meilleur des mondes, on clowne (le terme, inconnu à l'époque, n'est pas utilisé), par centaines de milliers, des humains qui se développent sans parent dans des incubateurs. Les mots de père et de mère sont supprimés du vocabulaire puisqu'il n'y en a plus et sont même interdits comme révélant une pratique ancienne, honteuse et répugnante.
Ainsi, des jumeaux par milliers, hommes et femmes, sont dès leur plus jeune âge conditionnés pour se ranger sans soucis dans la case qu
i leur est destinée. En haut de l'échelle sociale, les sujets Alpha, en bas les Espilon. Entre les deux les Gamma et les Bêta. Une alchimie chimique opérée au moment de leur conception les distingue physiquement et intellectuellement. Chacun est heureux d'être à sa place. N'est-ce pas merveilleux ?
Pour éviter des couacs, chacun a à sa disposition des pilules (le soma) que ces êtres sont conditionnés à prendre, une sorte de pilule du bonheur qu
i les transporte dans un univers factice ou tout est merveilleux et qui aide (s'ils en ont besoin) à accomplir les loisirs auxquels ils sont destinés. Dans le même temps, les sentiments (l'amour en particulier), mais aussi la haine, la colère, l'amitié, et toutes les émotions, ont disparu de ces pauvres jumeaux et jumelles. On ne souffre plus de rien.
Cet univers, où coexistent (dans l'harmonie des classes sociales) des êtres humains qui n'en sont plus vraiment, est mis en opposition avec celui de la réserve. Dans la réserve survivent des humains archaïques, se reproduisant toujours par viviparité, remplis de superstitions, adorant des Dieux, vivant misérablement dans la misère et la saleté. L'un d'entre eux (par un artifice du romancier) va entrer dans le meilleurs des Mondes et va en faire l'expérience.
Il en sera dégoûté. Est-ce vivre que de ne plus sentir ?
S'ensuit, clé de voûte du roman, une confrontation entre ce sauvage et l'un des plus éminents chefs du meilleur des mondes dans un long dialogue où sont comparés les deux systèmes. Les deux protagonistes ne manquent pas d'arguments. Ne pas souffrir et être heureux de sa condition étant le principal du meilleur des Mondes. Ne plus ressentir des émotions, ne plus penser, ne plus réfléchir, ne plus avoir d'autonomie, d'indépendance, ni de libre arbitre étant l'argument principal du sauvage.
Je vous laisse choisir. Pour mo
i, le choix est vite fait. Je suis un sauvage…