Lorsque l'on m'a proposé la masse critique pour Persona, j'ai sauté sur l'occasion : un roman avec un univers magique sur fond antique ? Grand oui !
Si j'avais été conquise dès les premières pages par l'univers, qui est une fantasy sur fond antique (mon coeur de Lettres Classiques ne pouvait que fondre), par la religion et la magie du monde, par le personnage d'Andrea, j'ai malheureusement bien vite déchanté.
Persona a été une lecture sympathique, certes, mais pas vraiment à la hauteur de mes attentes. de nombreux points dans ce roman sont intéressants, comme le rapport de force entre les différentes classes sociales ou la construction de la religion officielle. Il y a de réelles bonnes idées comme baser la monnaie sur la Lumière, créer un élément météorologique lié à elle, ou imposer une limite d'utilisation de la magie avant qu'elle ne vous consume.
Cependant, j'ai trouvé que l'autrice n'avait pas assez exploré, pas assez creuser ces ressorts. Tout reste malheureusement un peu trop en surface et manque de complexité ; il ne suffit presque que d'une remarque d'Andrea à Thisbé pour que celle-ci se rende compte des biais qu'elle a envers la classe sociale la plus méprisée du royaume, les Eluminati.
De même, si Andrea est, comme le montre si bien son prénom, à la fois gender fluid et non-binaire, tout et rien à la fois, de par son Don de Lumière lui permettant de changer de genre, d'apparence, de caractère, de masque à volonté, j'ai trouvé dommage que cela ne se retrouve pas plus à la narration. Pourquoi ne pas totalement genrer Andrea au féminin lorsque le personnage incarne une femme, puisqu'elle est alors une femme ? Pourquoi ne pas utiliser un pronom neutre lorsqu'il s'agit de parler de l'Andrea sans masque, l'Andrea de tous les jours ?
L'autrice s'appuie beaucoup sur sa narration pour transmettre des informations, des idées ; sa plume est ainsi très directe et ne prend pas de détours. Je regrette un peu cette trop grande efficacité, mais il ne s'agit là que d'un avis subjectif ; elle trouvera son public.
de même, elle essaie d'établir un jeu avec son lectorat, ce qui est tout à son honneur ; de petits indices nous sont laissés ici et là afin de monter nos propres hypothèses. En revanche, ils sont un peu mal répartis, à mon avis ; impossible pour le lecteur de formuler une hypothèse correcte sur le pouvoir d'Isidore, par exemple, puisqu'on ne connait pas ce pouvoir en particulier. C'est fort dommage, parce que, à mon sens, toute la saveur de ce genre de roman est de s'essayer à mettre en place les pièces du puzzle, de remuer nos méninges et de confronter nos théories au fil du récit.
Les personnages sont globalement bien exécutés, même si leur écriture a quelques faiblesses, notamment une trop grande naïveté de manière générale, qui peut vite en devenir agaçant en fonction de la situation. Certains se livrent aussi de manière trop rapide alors qu'il est expliqué dès le début qu'ils gardent des souvenirs douloureux, enfouis, qu'ils ne partagent à personne.
Ce roman a donc de bonnes idées, qui ne sont pas assez explorées, quelques faiblesses, certes, mais rien qui rende la lecture trop difficile. Si ce n'est un point qui m'a particulièrement crispée. J'ai conscience qu'il s'agisse ici d'un point de détails, très technique ; il n'engage que moi. Mais non seulement la narration est bien trop étouffée, surtout au début, par une abondance de termes latins qui n'apportent pas grand-chose à l'univers et qui finalement rendent la lecture assez complexe (et pourtant je suis en Lettres Classiques, je ne suis donc pas la plus dérangée par les incursions intempestives de cette langue, m'enfin j'ai un peu de mal à voir à quoi sert d'utiliser le terme latin pour les tuiles) mais en plus le ton des notes est bien trop docte. D'autant plus que certaines sont, au mieux, aux fraises, au pire, complètement à côté de la plaque.
Il n'y a aucun monde dans lequel princeps signifie professeur, et l'écrire avec un tel d'aplomb dans les notes est tout simplement faux. Les réinterprétations sont toujours les bienvenues mais pas lorsqu'elles prétendent reprendre exactement ce dont elles s'inspirent.
De même, instructor n'est pas un instructeur en latin, il s'agit d'un calque sur le mot français, certes fort pratique pour le lecteur afin de comprendre de quoi il en retourne, mais encore une fois, pourquoi ne pas faire une note en accord avec cela ? Je pense que personne n'en aurait voulu à l'autrice si elle avait fait une petite note expliquant qu'elle s'inspirait du latin et se réservait donc le droit de le réinterpréter à sa sauce, bien au contraire.
Et reste toute l'affaire de lucem afferre. C'est, encore une fois, du détail, c'est certain, que j'aurai complètement ignoré si les notes ne se faisaient pas si catégoriques. Ce n'est pas une locution latine, ni une expression, c'est une citation tronquée de
Cicéron, prise hors contexte, où lucem prend le sens de salut. de même, cela ne se traduit pas par « que la lumière vous guide », tout simplement parce que, premièrement, afferre ne signifie pas… guider. Apporter, oui, guider, non. Tout à fait littéralement, cette phrase signifie « apporter la lumière », que l'on pourrait traduire, en faisant quelques pirouettes culturelles via l'univers du roman, comme « Que [vous] soit apporté la lumière », ce qui fonctionnerait ! Mais là encore, pourquoi faire une affirmation fausse plutôt que de dire que l'autrice a ici fait une réinterprétation ? S'essayer à la transposition d'une langue sur un univers de fantasy est absolument passionnant, et est toujours tout à l'honneur de l'auteur ou de l'autrice qui s'y lance. Même en ayant fait des études sur le domaine, il est possible de faire des erreurs, c'est normal, ce n'est pas grave.
En revanche, afficher une confiance mal placée me laisse beaucoup plus perplexe, et a franchement ruiné ma lecture. C'est d'autant plus dommageable qu'Ielenna semble avoir fait un vrai travail de recherches derrière…
Loin d'être une lecture horrible, puisque ce roman reste tout de même assez sympathique, il ne m'a cependant pas donné envie de continuer l'aventure…