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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Rarement, un roman aura si bien porté son titre !

Gisèle, 29 ans, et Damien,30 ans, vivent ensemble depuis quelques années.
Un matin où Damien est parti au travail, son père débarque chez eux sous prétexte de changer un robinet défectueux. Il vient en fait pour annoncer à Gisèle que Damien la quitte ... Il n'a pas eu le courage de l'annoncer lui-même alors c'est son père qui s'en charge. Ce dernier vient chercher les affaires de son fils (vêtements, disque dur de l'ordinateur) et veut même récupérer une garde-robe qu'il leur avait donnée, quitte à la jeter à la déchetterie ... Après avoir outrageusement fait des avances à Gisèle, il la conjure de descendre l'armoire avec lui ! mission qu'elle accomplit d'ailleurs ! Il passe aussi son temps à injurier son propre fils pour sa lâcheté et se demande comment Gisèle a bien pu l'aimer !

Ce roman est composé de 4 personnages : Gisèle, Damien, son père et sa mère, qui soit soliloquent, soit échangent des propos venimeux.

Après le passage du père lubrique, nous assistons à la conversation téléphonique entre la mère et Gisèle. La mère insulte copieusement la jeune femme, la jugeant bonne à rien, étant ravie que son fils l'ait quittée et l'enjoint à pleurer tout son saoûl et puis de refaire sa vie avec un moins que rien qui lui convienne ... Elle espère cependant que Gisèle soit profondément malheureuse, la rupture que son fils lui impose mérite bien ça et lui, en sera tellement fier, tout enorgueilli. Comme Gisèle ne donne plus signe de vie, elle tient absolument à la consoler de la perte de Damien, espérant bien que la jeune femme soit désespérée, elle pourra ainsi la consoler et peut-être s'en faire une amie ...

Damien est un être veule, lâche, alcoolique, sexuellement dérangé et ses parents ont honte de lui en leur for intérieur. Des désirs d'inceste mère-fils parasitent régulièrement ce fameux gaillard qui par ailleurs déteste sa mère et méprise son père mais qui est revenu chez eux se blottir dans un cocon douillet.

Les parents (surtout la mère) de Damien harcèlent de plus en plus Gisèle qu'elle veut absolument voir souffrir ... pour la gloire de son fils et la sienne.

Remarquablement écrit, il faut toute la plume déjantée de Régis Jauffret pour nous faire rire du burlesque de la situation. Humour noir, cynisme et burlesque se disputent la 1ère place : ce n'est plus un roman, c'est un sketch ! Mais ne y trompons pas, sous ses propos venimeux outranciers, l'auteur dénonce beaucoup de vérités familiales que connaissent la plupart des familles. Comme il le dit lui-même vers la fin du livre : "Vous avez dû trouver cette famille étrange, mais plus encore que les histoires d'amour, toutes les familles sont des asiles de fous"

Ce livre génial s'adresse aux lecteurs qui possèdent un sens de l'humour au 2ème voire au 3ème degré sinon passez votre chemin, il ne vous apportera rien que de l'incompréhension et de l'ennui ...

Et n'oubliez pas que si les sketches font rire, c'est parce qu'il se cache toujours un solide fond de réalité dramatique dessous !



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L'histoire débute par un long monologue chaotique. Gisèle, la trentaine, apprend que son compagnon, Damien, décide de rompre après cinq années de vie commune. Il n'a pas eu le courage d'annoncer la nouvelle lui-même ; il a délégué la corvée à son père, François (dont on apprendra plus tard qu'il s'appelle aussi Joseph). Entrée en matière sur le mode délirant, un peu déroutante mais, si le lecteur veut bien se laisser faire, la perplexité se transforme assez vite en curiosité pour la suite.
S'ensuit l'entrée en scène des trois autres personnages composant la famille brocardée par l'auteur. Volontairement caricaturaux, chacun d'entre eux va livrer tour à tour sa vision personnelle de l'affaire (la rupture), dévoilant ce qu'il est, ce qu'il n'est pas, ce qu'il voudrait être, ce qu'il n'a pas le courage d'être, etc. Un grand déballage de mensonges, d'hypocrisie, de fantasmes, d'égocentrisme, où perce néanmoins parfois, une franche lucidité.
« La rupture » apparaît ainsi comme un prétexte permettant à l'auteur de barbouiller de vitriol un tableau satirique de la famille et finalement, de lui régler son compte. D'Institution sacrée porteuse de valeurs et fondée sur l'amour, elle devient sous la plume acide et vigoureuse de Régis Jauffret, un creuset étouffant où les comportements et les relations hautement pathogènes se développent comme des champignons. Vénéneux bien sûr. Solange, la mère, possessive et castratrice, insupportable d'arrogance, est omnipotente. le père, lâche et mesquin, est soumis à la tyrannie de son épouse et fait figure de pièce accessoire à peine tolérée ; le géniteur en tant que -mal nécessaire-. Damien, le fils, produit résiduel du décapage maternel, vampirise un milieu familial qu'il critique mais dont il profite ; veule, carriériste, insensible à tout, il est incapable d'une quelconque autonomie, incapable de grandir.
Asile de fous… famille de dingues fictive ? Au bout du compte, avec un petit effort d'imagination et de franchise, on pourrait bien, sous les traits forcés, reconnaître des situations et des individus familiers. Sous la caricature, l'impression de déjà vu…
On apprécie, ou pas. Mais dans tous les cas, on ne peut qu'admirer l'ingénieuse construction de ce roman dérangeant et le talent audacieux de l'auteur dont la jubilation caustique transparait à chaque ligne. On rit ; parfois-jaune- ; on grince des dents…mais à aucun moment on ne s'ennuie.
J'ai bien aimé.

Lien : http://lascavia.com
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"A la longue, il finira de toute façon par m'indifférer, parce que tu l'appliqueras sur le mien comme un emplâtre. Ta conversation m'exaspèrera, toujours les mêmes histoires de carburateurs, de tension artérielle, de bricolage, tes rêves de ferme à rénover dans une région boueuse où les agriculteurs rendus neurasthéniques par le climat bradent leur bien pour ne pas devenir fous. Ton petit emploi, ta mère qui téléphonera chaque jour pour te reprocher tes dents de lapin. Ta peur du vide, de la guerre, de la vieillesse, des rides, d'une alimentation trop carnée, de la cuisine grasse à la cantine. Ta terreur devant la moindre ambulance, tes érections dans l'escalier quand tu croiseras la voisine du second, étudiante en économie politique, et mon amour pour toi dont tu riras quand je te le montrerai sous la couette comme un trésor. Car malgré tout je t'aimerai comme on souffre, comme on se sacrifie, mais mon amour t'incommodera comme une odeur de friture. Tu me diras sans cesse de le cramer dans le four, de l'enfermer dans un poudrier et d'aller l'enterrer au pied d'un arbre du Forum des Halles."

Une rupture, le sujet a été maintes fois étudié, explicité, romancé. Mais jamais de la sorte. Imaginez, votre beau-père, sous prétexte de changer votre robinet de cuisine qui fuit, vient vous annoncer que son fils vous quitte. Imaginez tous les arguments qu'il va mettre en place, déployer dans votre esprit, pour vous convaincre que c'est la meilleure chose à faire de toute façon. Que Damien ne pourra pas évoluer dans une relation comme celle-ci. Qu'ils (ses parents), le rémunèrent chaque fois qu'il prend une bonne décision (leur décision). Qu'il vous dit que vous avez eu de la chance de le connaître, qu'il ne faut pas en vouloir à Damien, il n'a jamais été un grand passionné, à peine affectueux, et surtout par obligation. Imaginez qu'il commence à vous dire qu'à votre place, il n'aurait pas supporté de vivre avec un tel homme, qu'il n'est pas forcément un fils exemplaire, mais que c'est le sien, et qu'il doit faire avec. Là, vous venez de pénétrer l'univers de Régis Jauffret. le monologue à deux personnes.

C'est au tour de la mère de Damien : "Surtout, évitez de vous suicider, Damien n'aime pas la mort, vous le savez. Il serait impressionné, et aussi bien votre mère viendrait lui faire des reproches qui le tarauderaient durant plusieurs semaines.", et aussi "le mépris que j'éprouve envers vous pèse sur ma raison, elle éclate comme une mouche sous le maillet d'une vieille gâteuse qui a la phobie des insectes.". Mais surtout : "Vous le connaissez, et c'est moi qui l'ai fait. Admettez qu'il est injuste que nous ne soyons pas la même femme." On retrouve la même structure dans les discours parentaux. du mépris pour cette fille qu'on quitte, et puis de l'apitoiement, un peu de compassion, et pour finir une forme d'amitié, du moins d'attachement. La perversité, la folie commence à suinter. La folie d'une mère qui se croit omnipotente. Oscillation de la passion maternelle, qui gonfle jusqu'à l'obsession, la frénésie, et glisse jusqu'au dédain, jusqu'à la haine. Cycle infernal, éternel. le désarroi d'un père qui n'a pas touché sa femme depuis plusieurs mois, qui a dû faire un test de paternité pour convaincre son fils de leurs liens sanguins. Une "famille" dans laquelle on se côtoie plus qu'on ne se connaît.

Enfin c'est à Damien de nous donner sa version des faits. "Maman braillait, obsédée par cette fille que j'avais oubliée avant de l'avoir connue, à moins que je m'en souvienne, qu'elle teinte mes pensées comme de la cochenille." "La famille, porcherie ancestrale, et aujourd'hui entreprise de salaison ultramoderne, à la chaîne du froid jamais interrompue, jambon de père, tranché, daté, sous blister, tripes de maman, en bocaux, en barquettes, avec les produits frais à côté des yaourts..."

Un chaos sous-jacent, imperceptible à l'oeil nu, qui se révèle au moindre grain de sable dans l'engrenage de la routine. Poussière qui rend dingue la ménagère parfaite, goutte d'eau qui provoque l'inondation. Damien, perçu comme un assisté, un rigide un précoce, un cerveau en sous-régime. Jusqu'à ce qu'il donne sa version des choses. Jusqu'à ce délire éthylique poussé à l'extrême. Tout éclate, implose, gicle, déborde. Enfer pavé d'aucune intention, enfer tout court, Damien défonce toutes les convenances, détruit les a-priori, explore les corps, la folie des autres, vides à combler éternellement. Catharsis. Sa séparation a mis en relief les fêlures de ses géniteurs, oeufs plongés dans une eau portée à ébullition, et dont la substance fuit dans la casserole comme la cervelle de leur crâne.
Niveau expressionnisme, Ellis peut aller se rhabiller, nivrau déjanté, Palahniuk a encore des progrès à faire. Question vocabulaire, on pense parfois à Artaud. Point de vue originalité, c'est du Jauffret tout craché. A l'instar de Damien, qui crache à la gueule de ses parents leur folie douce amère, leur folie ordinaire.
Lien : http://www.listesratures.fr/..
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Ce livre, c'est un peu les Contes de la folie ordinaire qui seraient une suite de variations à partir d'un seul substrat. La cellule familiale n'a jamais aussi bien porté son nom. Et Jauffret montre son immense talent pour créer des rapprochements entre des scènes banales de la vie quotidienne et des images incongrues et délirantes. Avec lui, la réalité se transforme en un monde peuplé de psychopathes peut-être normaux en apparence mais au fond vraiment très bizarres.
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Je m'aperçois que j'ai oublié de laisser un commentaire sur "Asiles de fous", probablement l'un de mes préférés de cet auteur. J'ai le souvenir de quelques scènes inoubliables, notamment celles où il est question d'un remplacement de robinet. On meurt de rire, c'est parfaitement noir, loufoque et, surtout, magnifiquement écrit. Personne ne pousse l'extravagance aussi loin quand il s'agit de mettre en scène l'ivresse d'un personnage. C'est un roman que je relirai bientôt.
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Dans Asiles de fous, asiles est au pluriel. A chacun le sien : un cerveau, un ciboulot, là-haut qui, malgré sa forme, ne tourne pas rond.
Les quatre personnages de la famille zinzin, le père, la mère, le fils et l'amante du fils, parlent à la première personne de ce Je si singulier qui, selon Jauffret, nous différencie si peu.
On glisse de l'un à l'autre sans changer de délire, dans un même ébahissement de réel et de menterie, de méchanceté et de naufrage.
Oui, cynisme et pessimisme alimentent la chronique éhontée. Mais on pardonne au poison de ce texte outrancièrement beau dont les visions s'enchaînent, instruisant plus qu'une prose, un rêve de poésie, une ode à l'amour, ce mot poubelle, coupable et victime de notre ensorcellement.
Un livre passablement enivrant, un des plus forts remontants de la langue française avec, à la fin, la douce lumière d'une fin d'après-midi d'automne. Héroïque.
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