Comment commencer la critique de ce livre, dont je rappelle qu'il s'agit avant tout d'un roman, d'une fiction, que les faits se sont bien produits, mais que tous les détails et l'imaginaire sortent bien du cerveau "détraqué"de l'écrivain
Régis Jauffret.
Ma démarche avant tout.
J'ai adoré le ventre de Klara, et puis
Papa.
J ai eu envie de découvrir cet écrivain plus avant.
J ai lu sa bibliographie et j'ai opté pour
Claustria.
Je n'ai pas lu les articles dans la presse, ni la page Wikipedia, ni tout ce qu'on peut trouver sur cette affaire dans la presse.
Et j'ai bien fait.
J'étais néanmoins avertie de la difficulté du livre, de son atmosphère délétère.
Et pourtant je l'ai lu.
Et ici encore, Jauffret est un grand écrivain.
Ce n'est pas parce qu'il écrit un livre "difficile" qu'on doit l'en blâmer.
Lecture très éprouvante, malsaine, effroyable.
Les faits : innomables. Un homme, Fritz, Autrichien, aménage un soi-disant abri anti-atomique dans le sous-sol de sa maison.
En fait, il s'en servira de cave pour emprisonner sa fille et les enfants qu'il lui fera.
Il lui volera deux enfants qui sont en bonne santé et vigoureux. Pour sa vie de là-haut.
Sa fille aînée Angelika, est en fugue, et à son retour, il l'enfermera 24 ans dans cette cave, et elle en sortira à 42 ans.
Entre-temps, elle aura eu des enfants de son père qui la violait régulièrement.
L'inceste aura commencé à l'âge de 11 ans.
Il leur apporte des vivres quand il veut, les prive d'eau et de chauffage à son bon vouloir, il régit son monde à la cave en ayant une vie de famille au dessus avec femme et enfants.
Angelika, son aînée de la prison, essaye bien tant que mal de se protéger du sadisme effréné de ce père-mari, qui va jusqu'à lui montrer les photos de ses vacances avec sa famille d'en-haut. La femme de Fritz saura, mais ne dira rien. de même que les voisins qui ont dû entendre des cris de bébés, et Angelika qui a accouché seule à chaque fois.
Ils vivent dans des conditions déplorables.
Je ne vais pas rentrer dans les détails.
Une fois ce livre terminé, je me suis interrogé sur l'innomable, sur la part plus que sombre des hommes, sur la lâcheté et la poltronnie des gens qui n'ont dit mot à personne. Bande de pleutres.
Encore une fois Jauffret m'a séduite.
Quelque part, il leur a façonné une vie, en racontant encore et encore.
Il m'a montré et révélé son grand talent d'écrivain, car cette structure littéraire est incroyablement juste et prend corps de pages en pages.
Oui, ce livre est un roman, mais un roman raconté par Jauffret. Il invente les pensées, les actes, tous les petits détails de cette cave-prison. Il ne nie pas les faits, les horreurs, et il faut bien avoir cela en mémoire tout au long de la lecture.
D'ailleurs au début, il nous raconte ses recherches, ses hésitations, ses rencontres.
L'odeur était tellement abominable qu'il a vomi ainsi qu'un des juré à qui l'on a fait sentir un bocal avec les remugles de la cave.
Alors oui, c'est glauque et malsain au possible, oui la lecture est très difficile, mais on ne peut nier le talent évident du "conteur", celui qui prend les faits bruts pour les modeler à sa façon. Il leur donne vie, consistance, rêves, jeux, tout ce qu'il peut faire devenir cette prison moins insupportable. D'ailleurs, beaucoup de détails atroces ne sont pas racontés.
C'est un choix de sa part d'avoir choisi cette histoire et je le respecte. Personne n'est obligé de le lire.
Je me sens groggy.
L'homme au statut de patriarcat intense dans une famille dysfonctionnelle (ô combien) dans ce cas bien précis, est un salaud, une pourriture, une ordure, tout ce qu'on peut dérouler. Mais ce ne sont que des mots, banals et éphémères, se délitant dans l'air du soir en Autriche. A ce stade de l'horreur, aucun mot ne me vient pour nommer Fritz.
Peine perdue.
Une pensée pour les enfants de la cave.
Peu ont survécu.