«
Passeport » est un recueil de 25 nouvelles, écrites par
Noelle Q de Jesus, auteur des Philippines, traduites par
Patricia Houéfa Grange (2020, Editions Do, 308 p.). C'est traduit de « Blood Collected Stories » bien qu'il ne s'agisse pas d'histoires de sang au sens du gore. Mais plutôt sang au sens de race ou de filiation. C'est son premier livre de fiction qu'elle a mis 25 ans pour l'écrire. Certains de ses premiers écrits datent du début des années 90, avant même que l'auteur ne soit mariée, ni même qu'elle ait des enfants. S'y ajoutent des oeuvres écrites jusqu'en 2015, année où le livre a été publié aux USA mais elle vit à Singapour.
Née aux USA, elle possède un MFA en « Creative Writing » de Bowling Green State University, Ohio ainsi qu'un BA en études interdisciplinaires, avec prépondérance en littérature anglaise de l'Université Ateneo de Manila. Depuis,
Noelle Q de Jesus a publié plusieurs autres recueils de nouvelles, toutes aux USA dont « Fast Food Fiction Delivery » (2003, Anvil Publishing Philippines, 129p.). « Blood Collected Stories » est son premier ouvrage publié. Certaines d'entre elles, dont «
Passeport » a été traduite et publiée dans le numéro 4 consacré aux « Cartes et Territoires » de la revue française « Jentayu » dédiée aux « Nouvelles Voix d'Asie ».
Dans ces nouvelles qui constituent «
Passeport », il va donc être question d'exil, d'identité et de culture, de superstitions, de tabous et de secrets, secrets d'adultes vis-à-vis des enfants, de tradition et de modernité. Avec par-dessus le tout, des relations compliquées entre hommes et femmes, entre la famille et la communauté, et surtout entre les générations
Dans ce livre, de nombreux mots sont directement importés du tagalog– une belle langue qui a su incorporé des mots espagnols et malais, mais aussi des mots en mandarin et en hokkien.
Certaines nouvelles sont de longueur traditionnelle et il y a quelques-unes sont très courtes. Les unes comptent jusqu'à vingt pages alors que d'autres s'étirent à peine sur deux. D'une façon ou d'une autre, ces histoires explorent les thèmes habituels à ce genre de littérature. Il s'agit de la nostalgie du chez-soi, les enchevêtrements du coeur, les définitions du chez-soi, la quête de l'amour véritable, et le passage à l'âge adulte.
Tout commence dans « Une petite consolation » par un jeune couple sans enfant, vivant à New York, chez qui la grand-mère, Consuelo, originaire des Philippines est en visite. le couple est mixte et Thérèse a séduit Ken. « Il était tombé amoureux pour Thérèse aussi sûrement qu'un caillou qui s'enfonce dans un étang ». Un soir, Thérèse rentre avec un bébé trouvé dans un ascenseur. La grand-mère l'adopte aussitôt et la nomme Totoy. La question de l'adoption divise le couple. Services sociaux. Tristesse de la grand-mère. Et si une part du problème était que l'enfant était de couleur. Surtout c'est le choix de Thérèse, qui vient d'être nommé çà un nouveau à responsabilités et qui privilégie sa vie professionnelle. La grand-mère reconnait avoir conçu son premier enfant la nuit e ses noces. Mais « les choses sont différentes maintenant » et « les temps ont changé. Peut-être que tu n'es plus faite pour aimer juste une personne ». Pour l'Américain (kano) Ken, les Philippines sont un territoire exotique mais impossible à vivre. « Bien que Manille ait été fascinante, et même excitante, il savait très bien qu'il ne pourrait pas y vivre - pas avec la chaleur et le trafic et toutes ces domestiques qui le rendaient nerveux »
Une phrase, cependant pour décrire la ville sous la neige. « La ville était un sucrier géant, des collines et des pics de cristaux blancs en poudre scintillants, assez brillants pour éclairer la nuit ».
Comment savoir qu'il fait froid, si ce n'est se faire enfermer dans un réfrigérateur, même avec un manteau. C'est la question posée dans « Froid », sachant que « le coeur et un muscle qui s'adapte ». Même si Katrina vit dans une petite ville universitaire du Midwest. Mais « elle est en quête de sous-vêtements thermiques et d'un chapeau d'hiver chaud chez Beller's »
Même appréciation du froid chez Cora Klein « les petits matins sont presque toujours froids. Même après avoir vécu près de dix ans en Allemagne ». Alors, est-ce le temps ou le fait qu'on l'appelle « Klein » qui lui déplait.
« S'ils avaient eu une fille, le chef aurait voulu l'appeler Merienda » (c'est le terme philippin pour une collation dans l'après-midi) assorti d'une vague relation sexuelle. « Il cuisinait pour elle. Il adorait la nourrir ». Puis « il lui donnait à manger, puis, lèvres, mentons et doigts encore poisseux, ils se consommaient l'un autre ». Puis « son ventre avait enflé et s'était arrondi tel un ballon, tout comme ses cuisses et ses bras ». Résultat, « il ne pouvait plus lui faire l'amour » puis il l'a quittée.
«
Passeport » raconte à la première personne la vie d'une mère qui est venue aux USA comme domestique avec de faux documents et qui vole plus tard le
passeport d'un autre migrant riche afin de faire venir ses enfants. La mère ne souffre d'aucune véritable crise de conscience car elle estime que son crime causera « juste un petit inconvénient passager » pour les riches qui « ont tous les moyens ». Différence de culture, différence de mentalité, différente façon d'aborder les problèmes sociaux et familiaux. « Il y a un océan de différence entre vous et moi ; nous vivons chacun sur des planètes distinctes qui orbitent autour du soleil ». Plongée brève mais saisissante dans le quotidien des employées de maison philippines parties travailler loin de chez elles, en l'occurrence à Singapour. Deux femmes- qui n'ont en commun que la maternité et dont les univers sont diamétralement opposés.
« Sang » fait référence aux premières règles d'une fillette de onze ans. Anne Marie Edwards. « Elle aurait voulu s'appeler Maria Anna ». La famille vit aux USA. Sa mère, une Philippine très simple, est imprégnée de culture traditionnelle, tabous et superstitions. Bien qu'elle aime Mcdonald's, elle n'a pas encore s'assimiler aux voies "étrangères". Elle se réfère toujours aux choses comme « elle » ou « lui ». « Ton premier sang, Anna. Maintenant, il sera votre invité, vous rendant visite chaque mois »
Dans « Troisième Vie », un jeune créatif découvre sa sexualité, et en est ravi « comme un nouveau-né avec une toute nouvelle vie devant lui ». Tant mieux pour lui.
Dans « Un mariage heureux », on se doute que « les chuchotements passionnés » d'un jeune homme bellâtre apportent un peu d'excitation aux rituels familiaux autrement ennuyeux d'une femme au foyer.
Dans « La Robe », une femme rencontre une amie qui collecte des vêtements pour « des femmes laissées pour compte ». Ce qui la choque. Mais un peu plus tard, « après neuf ans de mariage, une femme peut si facilement se glisser dans une liaison, il suffit juste d'une seconde d'imprudence ». « C'était une drogue avec l'engouement qui fait planer et la magie de l'alcool qui arrondit les angles ». D'où l'apprentissage pour valoriser « d'innombrables moments mondains et magiques », qu'elle partage avec sa famille.