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4,17

sur 1088 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Jeanne la narratrice relate des épisodes de sa vie d'enfant et d'adulte marquée par un père maltraitant. Jeanne grandit dans le Valais suisse, une région montagneuse et rustique où les langues se délient peu et ou les affaires de famille restent secrètes. Claire, la mère de Jeanne est battue par son mari, elle subit sa colère pour un rien mais se résigne à cette violence. En règle générale, Jeanne parvient à esquiver et anticipe les accès colériques de son père avec beaucoup de caractère et une forte envie de s'en sortir. Lorsque sa soeur Emma se suicide car elle a subi bien plus qu'elle les affronts d'un père abusif, le rupture entre Jeanne et ce qu'il reste de sa famille est inéluctable. Elle s'installe à Lausanne, devient institutrice et s'autorise une vie amoureuse. Mais il n'est pas si facile d'oublier les traumatismes d'une enfance ravagée par la violence, il est même quasiment impossible de s'extraire du carcan de la maltraitance pour correspondre à une norme sociale élitiste.

Ce roman traite du combat mené par une enfant, puis une adulte contre un père qui souffre de toutes les tares possibles et imaginables : maltraitant, violent physiquement et verbalement, alcoolique, abusif (non pas envers l'héroïne Jeanne mais envers sa grande soeur Emma, qui était « la préférée » du père)… le monstre caché sous le lit des classiques peurs d'enfants prend aux yeux de Jeanne le visage de son propre père. le manque d'amour et d'éducation est flagrant. Si elle s'en sort dans la vie c'est grâce à sa mère et à l'intérêt que celle-ci porte aux livres. C'est par les mots que Jeanne parvient à surmonter ses traumatismes, c'est en se réfugiant dans les livres qu'elle entrevoit un autre monde, celui pour lequel il faudra se battre avec ardeur pour échapper à sa condition. Au fur et à mesure de ses expériences dans la vie, Jeanne se découvre, s'apprend, s'étonne de ce qu'elle peut ressentir, elle qui a tant été bridée, brimée, rudoyée, blessée. Mais après toutes ses années de maltraitance, de « conditionnement » à subir, Jeanne qui devrait avoir le droit de vivre, garde en elle des traces ineffaçables de son passé. En dépit de ses efforts et de son parcours abouti dans l'échelle sociale, une part d'elle-même sera toujours imprégnée de l'héritage primitif du père. Elle se surprend à des excès de violence qu'exacerbent certaines situations de conflit. Comment se construire dans ces conditions ? Dans ce sens, Sa préférée relate une sorte de parcours initiatique, on peut le comparer à un récit d'apprentissage, celui d'une jeune femme coupée d'une vie sereine par la violence parentale, le dénigrement et des brimades inoubliables et impardonnables. Il est question du pardon dans ce livre, ou plutôt de l'impossibilité de pardonner tant les blessures sont béantes et sans cesse réssucitées. A mille lieues de la moderne résilience, ce livre est une autopsie de la souffrance psychologique instaurée par la violence.

L'écoute de ce roman est d'une grande intensité. La voix assurée de Lola Naymark vibre de toutes les émotions ressenties par Jeanne. Avec simplicité, celle-ci évoque ses souvenirs, fait le constat de ce qu'a été son enfance, et l'on comprend petit à petit le pourquoi du comment. Comment elle en est venue à détester les hommes (sauf un), à ne pas leur faire confiance. Avec ce qu'il me reste d'âme d'enfance, j'ai parfaitement compris ses sentiments, sa haine et la difficulté qu'elle peut avoir à pardonner. Dès les premièrs chapitres, le récit apparaît poignant et douloureux, horrifique parfois. Certains passages sont emprunts de poésie par rapport à la nature, (notamment au lac Léman qui lui apporte beaucoup de sérénité), car celle-ci l'éveille à la vie. J'ai par dessus tout aimé l'écriture de Sarah Jollien-Fardel, cette façon de trouver avec précision le terme adéquat pour appuyer là où ça fait mal, elle a véritablement le souci du vocabulaire utilisé pour exprimer une idée ou un sentiment spécifique. le réalisme est tel que l'on pourrait croire que ce récit a été vécu. J'ai pensé au cours de mon écoute à l'autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule de Edouard Louis qui m'avait beaucoup marquée et qui traite des mêmes problèmes, dans le même milieu défavorisé.

Je ne regrette absolument pas d'avoir tenté la lecture de ce roman en livre audio car l'écoute parfaite était très agréable, j'ai juste le regret (et c'est le seul inconvénient à mon avis du livre audio) de n'avoir pas pu m'attarder sur certaines passages si bien écrits, de ceux que l'on aime relire pour les savourer pleinement. Lancé dans l'écoute, sans avoir de crayon et de papier à disposition (car c'est là aussi l'intérêt du livre audio c'est de pouvoir faire autre chose en même temps), les mots filent trop vite pour les noter ou les retenir. J'ai tant aimé ce livre que j'ai trouvé cela dommage, mais qu'à cela ne tienne, je vais me procurer cet excellent roman en version papier pour le relire.

Je suis ravie d'avoir découvert cette autrice et je suivrai dorénavant avec attention ses publications. Je remercie les Editions Audiolib via Netgalley pour ce partenariat.
Lien : https://loeilnoir.wordpress...
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Jeanne, la narratrice a huit ans au début du récit et les premières lignes, la première page du roman donnent le ton- glaçant :
« Tout à coup, il a un fusil dans les mains La minute d'avant, je le jure, on mangeait des pommes de terre. […]Ma soeur jacassait. […]Elle ne sentait pas lorsque le souffle de mon père changeait, quand son regard annonçait qu'on allait prendre une bonne volée. Elle parlait sans fin. Moi, je vivais sur mes gardes, je n'étais jamais tranquille, j'avais la trouille collée au corps en permanence. Je voyais la faiblesse de ma mère, la stupidité et la cruauté́ de mon père. Je voyais l'innocence de ma soeur ainée.»

Nous plongeons pendant deux cents pages, dans l'enfer quotidien de Jeanne, de sa soeur, de leur mère et nous en sortirons complètement chamboulés après avoir été témoins de leurs efforts pour survivre à la terreur, à la détresse et à leur traumatisme. Mais peut-on réellement survivre à une enfance fracassée, aux abus physiques, psychologiques et sexuels? La mère, démunie, encaisse et subit, sa seule porte de sortie sera la lecture de romans d'amour et le rêve; sa soeur Emma, va s'engager dans des relations- je n'ose pas dire amoureuses- avec des hommes et va reproduire les patterns d'abus qu'elle a connu.Elles sont trois, elles sont seules, complètement seules, dans un petit village rural du Valais où tout le monde « sait » mais personne ne fait rien même pas le cher médecin venu réparer les dégâts infligés à un corps de fillette : « alors Jeanne , tu joues les cascadeuses » trouve-t-il à dire.

Heureusement, Jeanne a des atouts. Elle a reçu de sa mère le goût des mots et va découvrir très jeune l'écriture et bientôt le désir de faire des études. Avec la rage immense qui l'habite, les études seront le moteur de sa résilience. Elle va pouvoir quitter sa famille, son village, son milieu social mais rien n'est acquis pour autant. Elle est gauche, incapable d'établir des relations normales. Elle doit tout apprendre, les codes sociaux, les codes de la féminité, apprendre le monde.

À 20 ans, indifférente à la sexualité, imperméable à tous les plaisirs elle va connaître des relations initiatrices avec des femmes qui vont lui permettre de combler certaines lacunes et s'outiller en tant qu'humaine. « Par intuition, par protection, par instinct de survie je suis allée là où on ne me ferait aucun mal » L'on ne peut qu'être impressionné par son instinct de survie.
Mais pour arrêter de survivre, pour vivre vraiment, elle doit aussi affronter la colère, la haine et la violence qui bouillonnent en elle et qui l'empêchent de suivre son désir et de peut-être de créer une relation réparatrice avec un homme.

Sarah Jolien-Fardel avec Sa préférée nous livre un véritable chef d'oeuvre d'empathie et nous sensibilise à l'importance de voir et d'agir face à la violence familiale, à la violence faite aux femmes aussi destructrice qu'universelle.

Convaincant. Clair. Net. Sans pathos.Magistral!
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Quel livre magnifique, même s'il est difficile à lire.
Jeanne, petite Jeanne fille d'un monstre. Elle fait de la résistance, contrairement à sa grande soeur qui sent moins le danger qu'elle. Mais le sent-elle moins ? En fait au fil des pages, nous savons qu'elle connait elle aussi la perfidie de leur père, au combien !!!
Jeanne, petite Jeanne veut essayer d'échapper à l'ogre et se plonge dans les études, seule possibilité de partir. Pourtant elle culpabilise de laisser sa mère aux mains du méchant.
Elle va essayer de se trouver, d'avoir sa propre identité, sa propre vie. Elle est attirée par les femmes, forcément, comment l'être par un homme, celui qui aurait les mêmes attributs que l'autre, celui qui fait du mal.
Sa recherche d'identité dure longtemps, même après le décès de celui qui lui a tout pris et à qui jamais elle ne pourra pardonner.
Je me demande s'il est possible d'écrire un tel roman sans avoir vécu la terreur. Moi qui l'ai vécu, je n'y arriverais pas !
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Premier roman lu d'une traite, emportée par la force et la puissance de l'histoire et du texte.

Nous sommes dans un village du Valais, à quelques encablures de Genève. Trois femmes, une mère et ses deux filles, et un homme, le mari, père et tortionnaire, violeur, pervers … Tout cela à la fois ! Oui ça fait beaucoup. J'aimerai tant me dire que cela n'existe que dans les livres. Force est de constater que non. A l'heure où j'écris ces lignes, 98 féminicides ont déjà eu lieu depuis le début de l'année (et je ne parle pas des cas d'inceste).

Jeanne, la narratrice nous raconte son enfance dans cette famille où les coups du père tombent sur la mère, Claire, ou sa soeur, Emma, comme bon lui semble. Jeanne développe très tôt une sorte d'instinct de survie « Je vivais sur mes gardes, je n'étais jamais tranquille, j'avais la trouille collée au corps en permanence ».
Même si certains passages sont insoutenables, je ne sais ce qui est le plus dur dans ce livre ?
Ces faits racontés de façon presque clinique ou la difficulté de Jeanne à continuer à vivre malgré cela (ou plutôt avec cela) ?
A moins que ce ne soit la lâcheté des voisins et du médecin de famille qui savaient et qui n'ont rien dit.

Comment (sur)vivre après avoir enduré ces scènes d'une violence tant physique que psychologique ? Comment aimer, accepter d'être aimée, comment vivre avec la culpabilité d'avoir fui ce foyer violent, laissant sa mère et sa soeur aux mains et aux mots abjects de cet homme ?

Il faudra deux cents pages à cette primo romancière pour tenter de répondre à cette question. C'est fort, puissant, émouvant, porté par une écriture à la fois brute, âpre, mais aussi d'une grande sensibilité.

A lire absolument !
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Jeanne a grandit dans un village Suisse au paysage bucolique et apaisant, un décor paisible. Sa maison d'enfance aurait dû accueillir des souvenirs, des rires, des moments de complicité avec sa mère, sa soeur ou encore avec son père. Rien de tout ça ne constitue leur maison, les pleurs, les coups, le sang qui coule, c'est ça qui constitue les souvenirs d'enfance de Jeanne. Elle vit aux aguets, en hyper vigilance du père violent qui a tout moment déraille, tape, hurle, exprime une violence physique et verbale atroce.

Cette violence a totalement noyée les désirs et mis un voile sur la notion de plaisir dans la vie de Jeanne. Alors quand elle est en âge de quitter la maison, elle fuit, elle s'en va, pas bien loin, juste à une dizaine de kilomètres en internat. Mais la fuite physique n'induit pas la fuite mentale. le cerveau se souvient, se rappelle de la vigilance permanente, de la violence assourdissante. Les fondations sont bancales, un tremblement de terre et tout peut s'écrouler.

C'est la vie de Jeanne qui nous ai raconté par Sarah Jollien-Fardel. Une vie inaudible où la violence est telle que devenir une adulte apaisée et harmonieuse paraît indomptable. Les mots sont posés, ils sont nets, m'ont transpercé. La douleur se ressent.
Quand la brutalité est assimilée à l'éducation, comment faire pour grandir sainement ? Comment se sortir de ce schéma irrépressible ? La notion de pardon est exploitée, jusqu'où pardonner ? La colère bouillonne, se mue en rage, ça explose. La paix semble inatteignable pourtant elle est vitale. Un premier roman intense ! 🧡
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Dans un village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait et personne ne dit rien. La narratrice Jeanne doit faire face à la brutalité perverse de son père, sa mère et Emma, sa soeur aînée, se résignent à la violence verbale et physique que leur inflige le père qui fait régner un climat de terreur dans la famille. Jeanne lui tient tête mais un jour, pour un mot de trop, son père la tabasse pour la première fois. Elle a huit ans et pense que le médecin du village, appelé à son chevet, va intervenir et mettre fin à leur calvaire. Mais il se tait comme se taisent les enseignants, les voisins qui font tous preuve d'une lâcheté qui foudroie la petite fille

Dès lors, la haine de son père ne quittera plus Jeanne "Je suis en guerre. Depuis toujours. Pour toujours". Cinq années à l'Ecole normale d'instituteurs, à distance de chez elle, lui offrent un peu de répit mais le suicide de sa soeur aînée la replonge dans l'horreur.

La narration à la première personne sous la forme d'un monologue de Jeanne contribue à la force de ce roman. La dureté du texte tient à la violence que le père fait subir à sa famille mais aussi à l'enfermement de Jeanne dans une colère, une haine et une volonté de ne rien oublier qui la détruisent. Cet enfermement, cet empêchement sont le sujet central du roman.
Comment peut-elle s'en sortir quand les années, la distance, des séances de thérapie, l'aide de ses amis, ne parviennent pas à la libérer de ses tourments de façon durable ? "Emmurée dans ma haine, sans concession, à ressasser toujours les mêmes souvenirs. Incapable de pardon... Je me gargarise de la violence de mon père alors que je devrais grandir."
L'auteure restitue parfaitement la violence, l'inculture, l'obscénité verbale, la bestialité paternelles qui engendrent une misère familiale dont Jeanne réussit à s'extraire en s'isolant dans les livres et les devoirs. L'ambivalence des sentiments de Jeanne envers sa mère est bien analysée, entre amour et colère contre sa soumission à son mari. Jeanne éprouve de la honte, des remords et de la culpabilité de devoir rejeter sa mère " Je lui en ai voulu si souvent, presque autant qu'à mon père, de ne pas partir, de ne pas fuir."
Une héroïne forte et orgueilleuse qui a réussi à tenir debout face à son père, une femme pourvue d'un instinct de survie qui lui a permis de fuir, une femme qui tentera de trouver l'apaisement auprès de personnes bienveillantes et d'un lieu qui sait la calmer : le lac de Lausanne.
Une écriture âpre, une histoire forte bien menée, des personnages marquants, une analyse fine des sentiments, des lieux, montagnes valaisannes et Lausanne, particulièrement prégnants, des scènes très fortes qui seront difficiles à oublier et un dénouement qui serre le coeur. Un premier roman coup de poing qui soulève quantité de questions essentielles. Une vraie réussite.
Lien : https://leslivresdejoelle.bl..
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Sa préférée / Sarah Jollien-Fardel

Sarah Jollien-Fardel, voici un nom d'auteur que vous allez pouvoir retenir, chers lecteurs. Son premier roman, "Sa Préférée" annonce un début prometteur. Sarah commence fort en proposant un récit poignant saisissant sur les violences familiales, sans toutefois glisser vers le pathos. Ce roman nous questionne sur le poids du passé, les traumatismes de l'enfance.
Dès sa naissance, Jeanne, la narratrice a vécu les agissements violents et l'inculture paternel. Tout se savait dans le village, mais personne ne parlait. Cependant, déjà enfant, Jeanne a un fort caractère et très tôt a su esquiver la brutalité de son père contrairement à sa mère et sa soeur, totalement soumises à cet homme.
Dès son plus jeune âge, Jeanne a toujours refusé d'être une victime.
Fuir à Lausanne a permis à la jeune fille d'échapper à son bourreau et de découvrir la vie, la vraie. Pourtant, ce passé douloureux ressurgit toujours, malgré un cercle d'amis bienveillant qui tente, désespérément de le lui faire oublier.
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Chronique sur la version Audio
« Sa préférée » ? Viens, Jeanne, viens… Tu ne me connais pas, mais moi je te connais. La plupart de tes paroles, je les sens résonner en moi, j'aurais pu les prononcer. « Moi, je vivais sur mes gardes, je n'étais jamais tranquille, j'avais la trouille collée au corps en permanence. Je voyais la faiblesse de ma mère, la stupidité et la cruauté de mon père. » La violence physique, la violence verbale, la peur omniprésente, la difficulté à respirer… et la dissimulation, se faire passer pour une autre, cacher ce qui nous oppresse, je connais aussi. Cette colère qui t'anime, qui te permet de ne pas couler, qui te tient debout, je vis avec depuis 48 ans. « Je n'avais pas trente ans, j'étais en guerre. Depuis toujours. Pour toujours. » Comment exprimer plus profondément les émotions que tu as décrites si parfaitement ? « Moi, je suis née morte. » Il n'y a pas grand-chose à ajouter à cela. C'est dit en peu de mots, mais tout est dit. « Les mots étaient importants. Je devais les écouter tous. Et leur intonation aussi. » Je t'écoute Jeanne, et j'ai tout compris, même les choses que tu ne dis pas, persuadée que tu es d'être pourrie de l'intérieur. « Je ne suis pas bonne. Ça prend pas. Mauvaise terre, mauvaise graine. »

Nos racines sont identiques, nos évolutions différentes, même si la vie s'arrêtait au retour du père. Si « Derrière les mots, la haine, la misère, la honte. Et la peur. », il y aurait pu y avoir aussi une forme de guérison dans les bras de quelqu'un qui pouvait t'accepter avec tes forces et tes faiblesses. Je comprends que tu n'aies pas pu pardonner, ni à ton bourreau, ni à celle qui a gardé le silence et laissé faire, même si au fond tu l'aimais elle, maladroitement peut-être, mais tu l'aimais. « – je reniais ma famille et par ricochet ma mère. Je haïssais viscéralement son rôle de victime, je lui en voulais de ne pas avoir fui pour nous protéger. À huit ans, je l'avais questionné en criant après ma fameuse dérouillée “Pourquoi on part pas de cette maison ?” » Moi aussi j'ai posé cette question… tant de fois. Je me suis heurtée à un mur. Pourquoi rester dans cet enfer ? « L'amour pour ma mère patauge, atone, quelque part au fond de moi. » Tu as fui… moi aussi…

Tu as prêté ta voix à Lola Naymark. Elle aussi a tout saisi. Elle est entrée sous ta peau comme on enfile un costume, a pénétré ton coeur, est allée creuser au fond de ton âme pour déterrer les blessures exprimées, et celles tues. N'aie crainte, elle a été une formidable porte-parole. Sa voix a su exprimer toutes tes émotions, tes pleurs, tes terreurs, ton audace lorsque tu as appelle ton père « Cher ami » et que ça te vaut une dérouillée mémorable, tes coups de gueule, les moments où tu te laisses aller, ceux où tu te dégoûtes de toi-même, tes doutes et cette rage qui ne te quitte pas un seul instant. Son rôle était difficile : elle devait être toi dans tes peines, toi dans tes rages, et toi aussi quand tu rapportais les injures ou les actes de ton père. Dire ses insultes. Trouver le bon ton, celui qui tétanise, et crois-moi, elle y est parfaitement parvenue. Sa voix est à la fois celle du soulagement lorsque tu es partie et celle de la femme en guerre. Elle est mélodieuse, si expressive qu'elle te laisse sonnée, une inflexion qui traduit tes émotions sans tomber dans le misérabilisme. Elle est toi aussi quand tu vas bien, quand tu te laisses aller, quand tu sonnes un armistice temporaire avec toi-même, quand la tendresse arrive dans ta vie par une porte que tu n'espérais pas. Un cadeau. Une forme de réconciliation avec la vie. Elle devait incarner un peu Charlotte, qui entre nous soi dit m'a bien énervée avec ses petits problèmes de fille à papa, et Marine avec sa patience et son empathie légendaires, puis Paul celui qui essaie d'entrer dans ta vie sur la pointe des pieds.Il faut dire que les hommes, tu as eu ta dose ! Entre le père complètement frappé et le médecin qui ne veut pas voir ni entendre, comment penser que « ce sexe » puisse un jour être fiable ? Lola Naymark a dit ton mépris, toi qui voulais simplement être aimée. Comme toi, elle a détricoté « ton passé jusqu'à le rendre supportable. » Elle est devenue toi. C'est tellement troublant d'entendre sa souffrance à travers la bouche d'une autre…

« Faut l'imaginer, ça, tous les jours, la trouille, tous les jours. (…) Mon corps est un rempart. (…) Mon corps est un radar. (…) Mon coeur fait mal et je renie ses douleurs, brûlures d'estomac, ulcère à vingt ans, dos en pagaille. Mon corps n'existe pas, mon corps ne connaît ni la consolation ni la jouissance. Mon corps ne m'appartient pas. Mon coeur a été évidé. » Lola Naymark dit ton corps programmé, ton esprit cannibalisé par cette enfance omniprésente dont tu ne parviens pas à te débarrasser, ce père toujours là même lorsque tu es partie. Elle dit aussi la fatigue de la lutte perpétuelle, la colère qui ronge, la rancune qui enfle, l'espoir de paix intérieure qui s'enfuit. Les intermèdes musicaux permettent de reprendre un peu son souffle, mais contribuent à accentuer cette idée qu'il n'y a pas d'échappatoire possible… que quand les racines sont pourries, elles sont pourries ! Tout ce qui pousse là-dessus est altéré. « La haine et la colère restaient comme figées. Je suis devenue rance. Je détestais celle que je devenais. Incapable de pardon, incapable d'avancer ou de me défaire des frusques puantes de mon enfance. Plus je me détestais, plus je me cloîtrais. »

Jeanne, on ne se défait jamais de son enfance, on apprend à vivre avec.

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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Ce livre m'a été recommandé par ma professeur de français. La manière dont elle m'en a parlé m'a subjuguée : ne m'attendais à être bouleversée, mais pas à ce point. Habitant en Suisse, c'est très agréable de reconnaître des lieux, des expressions, des moeurs que je ne retrouve pas dans les romans que je lis habituellement. L'auteure décrit selon moi justement tous les défis, les questionnements, l'impact que peut avoir sur soi une enfance telle que l'a vécu Jeanne. Elle ne romantise, montre avec brutalité et parfois même vulgarité la vérité sans faux semblants. Tout n'est pas rose, tout le monde ne se remet pas de ces traumatismes, on peut nous aussi reproduire ce qu'on a vu même si on se bat pour pas le faire. Elle brise certains tabous et ne rentre pas dans les clichés.
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Une méga claque ce roman, j'ai dû patienter avant de rédiger une critique, le temps de digérer ce que je venais de lire.

Au début, j'ai tout de suite pensé à un récit autobiographique mais après quelques recherches, il s'est avéré que non.

C'est l'histoire de Jeanne, valaisanne, qui comme sa soeur et sa maman, vivent sous le joug de leur père. Un père aimant selon lui, mais un père violent, brutal, pervers et alcoolique. Ce sont surtout sa soeur Emma et sa maman qui souffrent, Jeanne se protègera grâce à son effronterie jusqu'à défier son père du regard. Elle fera tout pour échapper à cet enfer afin de prendre sa vie entre les mains malgré les séquelles psychologiques qui la tourmenteront toute sa vie.

C'est un roman bouleversant, qui m'a profondément ému et questionné sur la nature humaine.
Comment se reconstruire et aimer après ça? Ce sont des questions qui taraudent le lecteur tout au long de la lecture. Eh bien on se rend compte que quelle que soit la démarche de reconstruction, les stigmates sont toujours là et génèrent de l'instabilité dans les relations amicales et amoureuses.

La repentance, est également présente à l'ordre du jour, mais peut-on pardonner après tout ce que l'on a subi? Sara JF explore également ce thème avec brio. Chaque individu perçoit les choses différemment, le curseur du pardon n'est donc pas au même niveau pour tous.

La psyché de Jeanne est excellement restituée, elle est fouillée dans ses moindres recoins, on ressent tout, ses questionnements, ses volte-face, ce qui en fait un personnage complexe.

Si bémol il y a, c'est peut être la psychologie du père qui à mon sens manque un peu de substance pour totalement cerner le personnage. J'aurais aimé en apprendre davantage sur sa personnalité. Mais bon, je n'enlèverai pas d'étoile pour ce point, le 5/5 l'emporte haut la main.

Gros coup coeur pour moi malgré le sujet difficile.
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