Le plus touchant dans l'histoire d'
Anne Joubert c'est la manière avec laquelle elle a négocié le chemin tortueux qui l'a conduite à faire partie de la haute administration, en intégrant l'ENA fin 2005. C'est ce qu'elle raconte avec une sincérité désarmante dans son livre. L'histoire d'une jeune fille de la bourgeoisie lyonnaise, bonne élève au lycée du Parc à Lyon - l'un des meilleurs de France - et qui en terminale scientifique bascule dans la marge.
Après les squats, les beuveries, la drogue, les défonces à l'éther, les communautés glauques, elle s'est retrouvée à 43 ans doyenne d'une promotion d'élèves - l'élite de la nation - avec des congénères qui avaient l'âge de ses deux filles. Elle affronte, mais là elle n'est pas la seule, le mépris des élèves externes pour les internes (ceux qui sont déjà en poste dans la fonction publique), comme elle.
Anne a beaucoup fugué. Elle garde de son enfance le souvenir "d'une très grande solitude", celle d'une enfant unique et de parents âgés. A la maison, pas de télévision, la gamine avait pour seules distractions "les émissions de France Culture ou la lecture du Monde".
La rencontre sur les trottoirs de Lyon avec Pierre, un baba séduisant et plus âgé qu'elle de neuf ans fait basculer sa vie. Suivront des années chaotiques jusqu'à la séparation avec Pierre en 1987 puis elle se pose, en 1993, dans l'éducation nationale, après avoir passé un capes de lettres.
Anne était "attirée par le malheur des autres". Sa famille habitait dans un quartier bourgeois de Lyon, les Brotteaux, environné d'un habitat vétuste. Elle y a découvert la misère, les appartements surpeuplés. Son père, lui, faisait partie de la direction générale de la Lyonnaise de banque, à l'entrée de laquelle sa fille en rupture se plaisait à faire la manche.
Depuis sa sortie de l'ENA en mars 2008,
Anne Joubert est en poste à Paris, chef de bureau à la direction générale de l'action sociale, chargée des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions. Un travail dans le social, ce qu'elle souhaitait. Elle assure ne pas avoir beaucoup changé. "Je suis toujours la petite fille qui voulait transformer le monde et être au service des autres." Une manière d'expliquer qu'elle a laissé l'utopie et la révolution au vestiaire pour une voie moins confortable, faite de compromis et d'équilibres.