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sur 979 notes
Ouvrir ce livre et y entrer comme on entre dans le chant clair d'un ruisseau. Laisser ses pieds nus cheminer dans l'eau fraîche, sur les galets à peine lissés par le cours de l'onde.
Ce livre nous parle de la vie ordinaire, des destins faits de riens, à quoi tient la vie au juste. A peu de choses, la vie tient peut-être seulement dans la force d'une brindille, on peut en faire ce qu'on veut dans nos doigts pétris d'espoir et d'illusions. C'est ce que nous dit Charles Juliet, dans ce très beau récit, sobre et poétique. Lambeaux, selon la définition du Petit Robert, cela veut tout simplement dire : morceaux déchirés. Mais étymologiquement, le Petit Robert nous parle aussi de l'origine du mot et qui signifie : morceaux de chair. Voilà, tout est dit. Ce livre nous parle de blessures, de déchirures, de vies lacérées.
Il nous faut entrer dans ce livre à pas menus, pour ne pas effrayer la voix qui nous chuchote. Car les mots de ce livre se disent à peine du bout des lèvres. C'est une voix singulière, pleine de larmes et d'émerveillement.
La lumière d'une âme pure se voit souvent par le contraste des ombres qui s'en saisissent. Car les âmes pures ont des trajectoires qui traversent parfois la boue des autres sans toutefois les éclabousser, du moins dans leur âme.
Dans de livre sobre et ténu, Charles Juliet nous dit cela. Et nous avons deux bonnes raisons de le croire, puisqu'il nous parle de ses deux mères auxquelles il rend ici hommage.
Charles Juliet a eu deux mères, l'une biologique, l'autre adoptive. Il les nomme ainsi : l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée. Il les aime l'une autant que l'autre. Il leur doit tout et le leur rend dans ce texte fondateur et réparateur de lui-même, qu'il a mis du temps à écrire.
Le récit est composé de deux parties inégales ; la première partie est un hommage à Hortense, sa mère biologique qu'il n'a pas connue, l'autre plus concise est dédiée à sa mère adoptive, Félicie, à qui il sera confié provisoirement.
Et voilà le texte qui se déroule, nous découvrons Hortense qui voudrait échapper à sa condition de paysanne et de pauvreté, fuir ce père d'une brutale autorité, vivre autre chose que ce qui pourrait être déterminé par avance. Il la fait revivre dans ce tutoiement intime. Nous découvrons cette femme aimant la vie, mais, qui veut quitter le sort inexorable qui l'attend. Elle tient son journal sur un cahier acheté à un colporteur de son village. le besoin décrire de Charles Juliet est peut-être né dans ce signe transmis par sa mère. Elle est sensible et malheureuse et c'est sa voix intérieure qui s'exprime sur un petit cahier. Nous sommes dans un village de montage isolé durant plusieurs mois du reste du monde, à cause des neiges de l'hiver. C'est un silence qui enferme le paysage, les femmes et les hommes. Au printemps, la neige fond et ruisselle sur les chemins et les pentes. Elle ruisselle comme des larmes sur le visage de ce paysage austère, isolé de tout. Sur le visage de cette femme qui cherche sans cesse à partir, s'enfuir c'est son rêve, fuir ce destin inexorable qui l'entraîne peu à peu si loin de ses rêves et l'enferme chaque jour de plus en plus dans ce cloisonnement intérieur…
Puis vient la seconde partie, plus concise, comme si tout fut donné à celle dont les rêves de vie furent ravagés. Certains diront peut-être que ce texte est bancal. Et tant mieux donc car rien n'est symétrique dans une vie faite de blessures et d'espérance. Dans le second texte, il peint Félicie, par le détour de son enfance à lui, d'un autoportrait, l'enfant de troupe qu'il fut, sensible et meurtri sans peut-être le savoir encore, du poids de l'abandon de sa mère biologique, alors qu'il a sans cesse peur de perdre sa mère adoptive, l'aimante, peur de la perdre à jamais.
Ce texte est une écriture intime d'un enfant qui s'adresse à ses mères. Se remet-on un jour d'une enfance blessée, meurtrie ? Nous refermons ce livre très beau avec cette question qui nous fait mal. Mais avec aussi la pensée consolante de savoir que l'écriture peut aider à apaiser cette douleur.
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A mi-chemin entre dialogue intérieur, biographie poétique et récit psychologique, ce court roman nous entraîne vers l'enfance, son essence et ses traumas.
La narration à la deuxième personne du singulier est une adresse directe au lecteur qui explore ainsi l'intime. Ce procédé donne aussi l'irrésistible envie de coucher ses propres lambeaux sur le papier, de se dire, de s'apprendre.
Ce, afin d'exulter, de se désaliener, de trouver la liberté.

Une perle !
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Mais toujours en toi vibre cet amour de la mère. Un amour qui te soutient, t'enjoint de tenir, de te montrer docile et courageux, de lui témoigner ta gratitude en veillant à ne rien faire qui pourrait la peiner. (p107)

Lambeaux de vie, d'une enfance qui a marqué toute une vie, de la perte de sa mère à laquelle il fut arrachée à peine né, morte affamée pendant la guerre dans un asile d'aliénés, de l'amour d'une seconde sans lien du sang mais avec des liens d'amour inconditionnel, une seconde famille qui l'a accueilli et reconnu comme l'un ses siens. C'est de cela qu'il est question dans ce récit très chargé en émotions et aveux d'un homme, Charles Juliet, qui s'adresse à ses mères perdues, comme un hommage à leur courage face parfois à des injustices, mais également à lui-même avec l'emploi du "tu" pour donner à l'ensemble une ambiance d'intimité encore plus forte accentuée par la simplicité et la sincérité de la parole mise en mots.

Comment rester de marbre face à cette mère inconnue, qui perdit son premier amour avec un sentiment de culpabilité, qui subit sa vie faite de grossesses et du dur travail de mère et de paysanne, elle qui rêvait et aurait eu la possibilité d'études mais qui était plus utile sur les terres que sur un banc d'école, qui ne fut jamais entendue, écoutée.

Mais au bout du compte, ces instants que tu passes à arpenter les chemins en parlant les mots qui montent de ta nuit, ne te soulagent guère, et de jour en jour grandit en toi une âpre révolte à l'idée qu'on peut mourir sans rien avoir vécu de ce qu'on désire si ardemment vivre (p77)

Comment ne pas entendre la voix de Charles Juliet retraçant son parcours, peu doué pour les études et placé comme enfant de troupe très jeune avant d'avoir eu la révélation que l'écriture allait être à la fois sa bouée mais également son destin, malgré la difficulté d'écrire, de trouver l'inspiration, les mots justes.

Je suis toujours aussi intéressée par le travail de l'écrivain, ce qui se cache derrière les mots, la plume, le parcours emprunté et lorsque j'ai découvert lors d'une émission de la Grande Libraire Charles Juliet , sa façon discrète d'être incroyablement présent, le choix et la profondeur des mots qu'il utilisait, son humilité et sa simplicité, s'exprimant à la manière d'un poète, je n'ai eu qu'une envie le lire et d'avoir confirmation de ce que j'avais ressenti. Nous sommes le plus souvent ce que notre enfance fut et restons souvent marqué à jamais par celle-ci.

Une enfance et une histoire simples, rurales, comme il en a existé tant mais quel hommage à ses mères qui lui donnèrent tant, même si la chaleur des sentiments n'était pas exprimée, quel regard à la fois distancié par rapport à l'enfant qu'il a été mais également très intime, se révélant à lui-même certains aspects de sa personnalité, de ses choix. Une plongée dans son moi le plus profond pour faire le lien entre tout ce qui l'a construit et devenir l'homme de lettres qu'il est devenu.

Tu as l'inestimable satisfaction de te dire que le destin a prouvé qu'il t'accordait le droit de vivre. (p113)

Ecrit entre 1983 et 1995, sans effet linguistique mais avec la sincérité du coeur, il porte un regard à la fois bienveillant, reconnaissant mais également critique sur une époque où la femme n'était que deux bras, un ventre et qu'il lui était pas reconnu d'avoir des ambitions et des capacités. Un récit d'enfance, à la fois doux et révolté mais sans violence parce que les mots suffisent par eux-mêmes, parce qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter, parce qu'avec le temps et le recul, il a compris et accepté celle qui l'a engendré et celle qui l'a élevé.

C'est un vibrant chant d'amour pour ses femmes silencieuses inconnues et une introspection sur une enfance qu'il accepte et vénère parce qu'elle a fait de lui l'homme qu'il est.

Coup de 🧡.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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1ère rencontre avec cet écrivain ,un livre pioché dans une boîte à livres, et je dois avouer: belle pioche !
Roman autobiographique,
L'auteur ,au travers ce court roman : 155 pages ,rend hommage à ses deux mamans:
--L'ésseulée et la vaillante ,
--La jetée-dans -la -fosse ,

--L'étouffée et la valeureuse,
--La toute-donnée.

Pour la 1ère maman ( mère biologique ) l'auteur ne la décrira qu'en employant le "tu" et emploiera les mots:
《 La douleur d'être ,mettre ta pensée en sommeil,ce tourment qui t'exténue》,ce qui résume bien la personnalité de cette femme.
C'est une enfant incomprise qui pleure lorsque les vacances d'été arrivent de ne plus voir son maître d'école, qu'elle vénère pour le savoir qui lui transmet .
Reçue au certificat avec mention 1ère du canton elle n'aura aucune félicitations des parents fermiers, elle sait que sa place est désormais à la ferme .Son monde s'écroule : elle aurait tant voulu apprendre.En fait,elle est d'une sensibilité exacerbée et refoule ses sentiments par une attitude froide et fermée.Son destin est tracé: elle épouse un brave gars Antoine ,qui lui fait trois enfants en trois ans et au 4ème ( notre auteur) elle ne résiste plus et fait une tentative de suicide, sauvée in extremis par une voisine,elle est hospitalisée dans le service des dépressifs et malades mentaux à 38 ans elle décède : morte de faim.
Extrait page 79:
《 Tu te caches pour pleurer.Un combat se livre en toi où agonise le peu d'énergie qu'il te reste.Ta force de vie finissante subit les assauts d'une force contraire qui te tire vers le bas ,t'invite à tout lâcher ,à disparaître. Poussée en un point limite où tu vacilles.Continuer à mener cette existence où tout n'est que contrainte,effort,affliction.Ou bien ,céder à l'appel du repos ,du sommeil》.
2eme partie,
L'autre maman,elle ne parlera pas,mais entoure l'enfant d'un amour inconditionnel. Je ne vous raconte pas la suite ,j'espère juste vous avoir donné l'envie d'ouvrir ce merveilleux roman intimiste,qui,en fait,malgré la détresse qui s'en dégage tout au long de la narration, se révèle être un merveilleux message d'espoir ,un coup de coeur pour moi .Nelly.⭐⭐⭐⭐.
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Jamais chez Charles Juliet ne se profile l'ombre d'une vanité, d'un contentement de soi, d'une revendication attachée à cette individualité distincte qui est pourtant sa seule matière, son seul objet.. Mais cette matière, il l'aborde par la face obscure et non par celle où l'on se plaît à briller.
Ainsi s'exprime l'écrivain Patrick Kéchichian à propos de Charles Juliet..
Et dans cette face obscure, n'allons surtout pas y voir de trouble bipolaire.. Il a un fardeau si lourd à porter, plus lourd que pour les autres qu'il ne s'en plaint pas ; il arrive à aimer la vie, les choses et les êtres qu'il contemple avec poésie et attachement, mais pour moi cela reste un mystère chez cet homme qui atteint maintenant un âge respectable, une curiosité faite d'admiration.
J'ai pensé l'autre jour que je ne voudrais pas partir avant mes chats pour ne pas les voir souffrir, sachant trop ce que je leur apporte, je ne pense pas que la vie arrive à prendre le dessus, mais l'idée d'être là pour assurer le bonheur des autres a quelque chose de supérieur ; je me demande si chez Charles Juliet il n'y a pas quelque chose comme cette dimension humaine, presque morale.

21 mai 2022
Charles Juliet c'est indéniablement son enfance qui n'est jamais si bien racontée que par lui-même, déchirante, poignante, c'est aussi ma jeunesse où je me souviens bien qu'il racontait si bien à la radio son attachement à Pessoa. C'était alors ses premiers pas balbutiants dans la littérature, le verbe était haché, timide, mais profond, où il fut alors repéré par ses pairs comme un original qui n'évoluait pas comme les autres avec ses galets mais sentaient bien qu'ils étaient en présence d'un artiste insigne .. Il est vrai qu'à l'époque la poésie connaissait des temps difficiles et ne semblait appartenir désormais qu'à des initiés et à un monde confidentiel. Je pense même qu'avec ses journaux, il prit un essor véritable et fut lu par un plus grand nombre, ce qui lui valut d'être reconnu à sa juste valeur comme un grand prosateur dans le monde de la littérature, son récit s'ouvrit alors à un champ beaucoup plus vaste, extérieur, et lui permit surtout une complète aisance dans l'expression de son quotidien au combien riche à l'intérieur. Il parle de Camus si bien, son intérêt pour la peinture lui fit prendre aussi des ailes ..

13 février 2023
Il me viendrait presqu'à l'idée d'écrire un journal sur Charles Juliet tant je pense à lui en ces moments. C'est la magie de babelio qui opère par le biais d'une contributrice qui me fait l'amabilité de me suivre et que je remercie. Je ne savais pas que Charles avait fait paraître un nouveau titre en 2022. Je me demande bien pourquoi il m'a échappé ? Comme si on ne faisait plus bruit de rien du tout ? des choses qui vaillent en tout cas ! Ca me fait penser qu'il faut que je lise Fragments, l'écrire ici me sert de pense-bête. de cette littérature de Charles Juliet si personnelle, j'ai toujours l'impression qu'il s'est fait sa réputation à la force du poignet, bien que son capital littéraire et poétique roule maintenant pour lui en toute quiétude, façon de parler avec cet écrivain sensible qui ne s'assagira jamais ; en tout cas contrairement à d'autres qui à grands renforts de publicité ont une réputation usurpée et c'est ainsi que le mot de Kéchichian à l'endroit de Charles : "aborder les choses par la face obscure" me revient !.. Je ne pensais pas si bien emprunter !..
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Dans ce livre, l'auteur nous parle de ses mères. Celle qui lui a donné la vie mais qui a été interné pour dépression un mois après sa naissance et celle qui la recueilli et qui l'a élevé comme son fils.



Livre coup de poing et coup de coeur. C'est un de ces livres où l'on ne ressort pas totalement indemne. Un auteur qui écrit sur sa mère, on ne peut pas dire que cela soit rare, mais avec ce talent, si. Une écriture aussi belle et sans chichi où l'auteur, en peu de mots, nous trace les portraits magnifiques de ses deux femmes.

Portrait tragique de sa mère, une femme d'origine paysanne qui a sombré dans une dépression et qu'il ne connaîtra pas.

Portrait émouvant d'une mère de substitution qui l'a élevé comme son enfant. Mais en filigrane c'est aussi l'auto-portrait de l'auteur avec sa scolarisation dans une école d'enfant de troupe, sa soif inextinguible de lecture pour acquérir une culture littéraire puis ses premiers essais d'écriture qui se heurte a son perfectionnisme et a sa recherche du mot juste. C'est aussi un mal de vivre et ses pensées suicidaire.

Petit livre (155 pages) mais d'une grande densité où l'on sent que chaque mot a été pesé et où le silence est omniprésent. Pas de voyeurisme mais un livre où l'émotion est présente. Une ode d'amour, de désespoir et d'espoir. Ma note 10/10 pour ce bijou de littérature.
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Un lambeau est une portion d'étoffe mise en pièce. C'est à dessein que Charles Juliet a recours à cette allégorie pour titrer ainsi son ouvrage.

Sa jeunesse a été mise en pièces, sans doute par héritage de celle d'une mère à la destinée tragique : amour interdit, mariage de résignation, grossesses non désirées et pour clore cette vie d'accablement, l'enfermement dans un asile et l'horrible mort dans la solitude, par privation. C'était l'époque au cours de laquelle la solution finale pouvait faire des émules. On ne s'embarrassait pas trop longtemps des dépressifs chroniques.

Lambeaux est un ouvrage autobiographique très intimiste que son auteur a organisé en deux parties. Une première faite de ce que Charles Juliet a pu reconstituer de la vie de sa mère biologique. Une seconde du souvenir de ses jeunes années. Placé dès ses premiers mois au sein d'une famille d'adoption, il n'a pourtant pas manqué d'amour. La reconnaissance qu'il aura en retour à l'égard de ses parents d'adoption sera faite du même sentiment, fort et sincère.

Puis il y a eu dès l'âge de onze ans le pensionnat au collège militaire d'Aix- en-Provence. Il en a fait le récit dans L'année de l'éveil. Parvenu à l'âge adulte il acquiert la certitude que sa vocation est d'écrire. Sa lucidité lui fait ne pas ignorer la difficulté qui l'attend pour vivre de ce penchant. Les débuts tiennent leur promesse. Longtemps doute, remise en question, tentation d'abandon sont au rendez-vous. le mal-être des origines brouillées fait surface. Mais la persévérance est là aussi. Elle se confirme lorsque dans sa quête de soi, à force de volonté, il s'affranchit de la culpabilité d'être la cause de la perdition de sa mère. Elle est partie à la dérive au moment de sa naissance. La maturité délivre l'homme. le succès se fait jour. Enfin. Il ne faut jamais désespérer.

Le point commun entre les deux parties de cet ouvrage, c'est le style adopté : le tutoiement de cette mère qu'il n'a pas connu d'abord et avec laquelle par ce procédé il se familiarise, l'apprivoise, la comprend : "Pour aimer, il faut avoir beaucoup à offrir, et tu ne sais que trop que tu es dépourvue de cette véritable richesse". Il découvre petit à petit le champ de ruine qu'a été sa vie. le tutoiement persiste dans la deuxième partie même quand il parle de lui. Une façon de se familiariser aussi avec cet enfant qu'il a été. Il s'extrait de sa vie, se place en observateur, s'adresse à lui-même : "Si ta mère n'avait pas sombré, qui aurais-tu été ?".

Et cet épilogue dans lequel il explique la démarche de celui qu'il a été : "Un jour, il te vient le désir d'entreprendre un récit où tu parlerais de tes deux mères, l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée. Leurs destins ne se sont jamais croisé, mais l'une par le vide créé, l'autre par son inlassable présence, elles n'ont cessé de t'entourer, te protéger, te tenir dans l'orbe de leur douce lumière."

Des paroles de naissance à la vie, lorsque l'espoir est venu s'installer dans son coeur.
C'est touchant et bien écrit, avec des mots simples, des mots vrais.
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Je connaissais à peine le nom de Charles Juliet avant d'entreprendre la lecture de ce magnifique récit, hommage à ses mères.

L'auteur évoque d'abord sa mère biologique, l'étouffée, dont le destin aurait dû être bien différent si elle avait pu continuer à étudier comme ses maîtres le conseillaient à ses parents. Mais à cette époque, les enfants ne s'attardent pas sur les bancs de l'école à fortiori s'ils appartenaient à une famille de modestes fermiers.
Devenue épouse et mère, elle s'enferme peu à peu dans une tristesse insurmontable qui la conduira en asile psychiatrique où elle se laissera mourir.

La valeureuse a élevé le petit Charles lorsque l'étouffée n'a plus pu faire face à un quotidien trop lourd.
C'est en quelque sorte une seconde naissance pour l'auteur qui voue à cette femme un amour infini.

Dans la deuxième partie du récit, l'auteur revient sur son enfance dans une école d'enfants de troupe à Aix-en-Provence. Il devient un petit militaire avec toutes les rigueurs et la discipline que cela suppose.

Par une plume superbe toute en délicatesse et sensibilité, Charles Juliet rend un très bel hommage à ses mères dévouées et au pouvoir rédempteur de l'écriture.
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Dans une langue forte et limpide, Charles Juliet nous fait ressentir le profond tourment de sa mère, paysanne exposée à une vie rude et sans espoir, alors que tout son être aspire à un ailleurs où elle serait détachée de la vie de bête de somme qui l'écrase et l'annihile.Il nous fait revivre les deux déchirures de sa vie d'enfant non aimée: l'arrêt de l'école, où elle buvait littéralement les paroles du maître, la torture de ne plus s'abreuver aux mots, de ne plus se sustenter de connaissances à la fois support et protection contre les questions métaphysiques qui l'agitent et l'angoissent, et qu'elle tourne et retourne dans une solitude seulement traversée des bruits de la nature et du silence animal. Le chagrin d'amour après la rencontre d'un être qui possèdait la même fragilité qu'elle. Mariée à un homme qui ne comprend rien à ses aspirations et ne mesure pas ce qu'est pour elle le danger de la solitude et de l'isolement, elle met au monde quatre enfants, tente de se suicider un mois après la naissance du dernier, l'auteur de cet ouvrage.

Elle est alors traitée comme une démente et internée dans un hôpital psychiatrique, soit à l'époque sans traitement autre que la relégation et l'oubli, un univers carcéral qui deviendra un mouroir sous l'occupation, au nom de l'eugénisme et de l'éradication des malades mentaux et des faibles et autres handicapés. Sa mort atroce, abandonnée elle-même de tous, morte de faim autant que de faim de mots et de relation humaine fait frissonner le lecteur qui trouve là un des abîmes de l'inhumanité.

Charles Juliet doit la vie à sa mère de naissance, mais aussi la détresse qui l'accable pratiquement dès celle-ci. On peut imaginer que les pleurs constantes qu'il versa les premiers mois correspondent à la détresse d'un nourrisson lui-même brusquement coupé de ses premiers liens, séparé de la sécurité fondamentale qu'est pour tout petit d'homme la personne dont il a respiré l'odeur, senti la chaleur, dont il a reçu les soins, l'attention, l'affection et la nourriture, et qui brusquement a disparu, le laissant dans une deréliction totale. Solitude et laisser en plan qui resurgit sous forme d'une angoisse sans nom à chaque fois qu'il ne retrouve pas sa nourrice au retour de quelque absence, ou qu'il doit seul traverser des ténébres pour aller remplir un pichet.

Apparaît alors l'autre mère, la nourrice qui le recueille et chez laquelle il restera jusqu'à son départ en pension à Aix en Provence chez les enfants de troupe. La mère idéalisée, qu'il a toujours peur de blesser ou de ne pas aimer suffisamment bien,ou suffisamment et dont il redoute toujours confusément qu'elle l'abandonne, sans connaître à l'époque le ressort de sa propre histoire

Juliet doit aussi à sa mère de naissance son propre rapport salvateur à l'écriture, planche de salut qu'il ne trouve qu'au terme de longues années de ténèbres durant lesquelles, qui sait, il cherche peut -être à retrouver sa mère dans les ténèbres où elle même fut d'abord engloutie. Cette traversée d'une longue dépression résonne un peu comme une ultime loyauté envers l'auteure de ses jours, en même temps qu'une ordalie, épreuve dans laquelle on périt ou à travers laquelle on témoigne qu'on mérite de survivre, et au-delà de vivre.

L'écriture simple et ensauvagée, la pureté du style, évoque dans un univers mental très différent une autre immense écrivaine issue de la glèbe paysanne : Marguerite Audoux et son chef d'oeuvre : Marie-Claire.

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Lambeaux de vie, lambeaux de rêves, lambeaux d'un semblant d'existence, de printemps sans couleur habillé de chagrin. Tel est le destin que nous livre Charles Juliet dans cet ouvrage dédié aux deux mères qui ont pris soin de lui.
Celle qui l'a mis au monde la passionnée, l'ardente, l'assoiffée d'études, élève brillante qui voit son avenir s'effondrer lorsque ses parents lui interdisent de poursuivre ses études. Résignée, cette mère va connaître une double souffrance lorsque que l'amour de sa vie s'éteint à la suite d'une pneumonie.

Marié à un autre par la force des choses, sa vie ne sera qu'une suite de tristesse, de dépression, d'un mal de vivre que même ses enfants ne parviennent pas à alléger. Détruite physiquement et moralement, enfermée en hôpital psychiatrique après une tentative de suicide, la mort aura raison de son mal être qui la délivrera à jamais de son esprit dévasté.
Dans ce récit, Charles Juliet se confie à coeur ouvert sur son enfance, son adolescence et sa vie d'adulte torturée de la même manière que celle de sa mère.
Au fil des pages, il se cherche, essaie de s'apprivoiser, de se concilier avec lui-même après un chemin semé d'embuches.

Un hommage éblouissant à ces deux mères dont il gardera à jamais les effluves.
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