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sur 1031 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La Feuille Volante n° 1203
Les belles endormiesYasunari Kawabata [1899-1972]– Albin Michel.
Traduit du japonais par René Sieffert – Illustrations et photos Frédéric Clément.

L'immeuble dans lequel pénètre le vieil Eguchi est une sorte d'auberge où tout est silencieux sauf le bruit des vagues qu'on entend dans le lointain. Les règles qui la gouverne sont étranges et pour éviter des dérives, il convient de ne pas y déroger. de vieux messieurs y viennent pour dormir aux côtés de jeunes filles nues, elles-mêmes endormies grâce à la drogue de sorte qu'elles restent inconscientes toute la nuit, ne seront réveillées qu'après le départ de leur client et ne sauront donc jamais avec qui elles ont passé la nuit. Il ne s'agit pour autant pas d'un vulgaire lupanar puisque le vieillard doit impérativement dormir auprès de la jeune fille en la respectant. Eguchi viendra plusieurs fois dans cette maison, se risquera même à enfreindre légèrement les règles non écrites au risque de se voir refuser l'accès à cet établissement, envoûté et tenté qu'il est par la beauté de corps de la jeune fille mais, n'étant plus capable « de se comporter en homme », il devra se contenter de la regarder, de l'effleurer toute en respectant son sommeil. C'est une situation un peu ambiguë que celle-ci puisque la jeune fille reste provocante par sa nudité, sa virginité, l'odeur de sa peau, elle bouge voire parle un peu à l'invite d'Eguchi et l'interdit qui s'impose à lui lors de ces séances nocturnes réveille ses regrets de jeunesse et accentue son actuelle décrépitude. Pour autant la règle de cette maison veut qu'il s'endorme à son tour et qu'il se réveille avant la jeune fille et parte.
Les partenaires qui sont dévolues à Eguchi sont de très jeunes filles d'une beauté sensuelle mais lui-même n'est plus capable « de se comporter en homme » en face d'une femme, aussi les effleure-t-il des yeux et des doigts en ayant soin de respecter leur sommeil. Pourtant, les sensations visuelles et olfactives qu'il ressent réveillent chez lui des souvenirs amoureux qu'il croyait définitivement enfuis de sa mémoire, mais aussi un sentiment de honte et de gêne. Il avait croisé beaucoup de femmes dans sa vie, qu'elles aient été conquêtes d'un soir ou prostituées mais il gardait d'elles l'image indélébile de leur beauté, de leur sensualité qui se réveillaient à cette occasion, avant de sombrer lui aussi dans un sommeil artificiel chargé de songes et parfois de fantômes. Ses nuits ont cependant été chastes ainsi qu'il convient dans cette maison mais ses souvenirs autant que ses séances nocturnes lui donnent l'intuition de la solitude d'autant plus grande qu'il ressent, comme chacun de ces hommes âgés qui se retrouvent ici, l'impossibilité de rendre à une femme le plaisir qu'elle donne dans l'étreinte. Pire peut-être cette impression de déréliction est exacerbée par le fait qu'ils ressentent du désir pour une jeune et jolie fille qui doit rester assoupie et qu'ils doivent dormir à ses côtés sans pouvoir assouvir leur libido et ce d'autant plus qu'ils ont dû être jadis des amants fougueux. Ils sont le plus souvent veufs ou célibataires, c'est à dire à cause de leur âge délaissés par les femmes et abandonnés à eux-mêmes. Ainsi Eguchi a la certitude que pour lui une page est définitivement tournée, qu'il arrive au terme de quelque chose et qu'il se pourrait bien qu'il dorme ici « d'un sommeil de mort ». Cela l'obsède au point de devenir un tourment, sans doute parce que le sommeil est effectivement l'antichambre de la mort et que, dans son cas comme dans celui de ses autres confrères, le trépas qui est l'inévitable issue de sa vie, peut être rendu plus doux par l'ultime partage d'une nuit, même chaste, aux côtés d'un femme sensuelle. Ainsi la pulsion qu'il ressent se transforme-t-elle en dégoût d'une vie finissante, en ce mal-être que prête la fuite du temps, en une réflexion amère sur la vieillesse, en une indignation face à la camarde qui frappe au hasard.

C'est un texte intensément érotique, tout en retenue où l'auteur souligne à l'envi les traits fins d'un visage, la blancheur d'une peau, l'odeur fascinante d'un corps nu, la pulpe des lèvres, la fluidité d'une chevelure, la rondeur d'un sein, le galbe d'une hanche, la finesse d'une attache, mais à travers l'incontestable charge sensuelle et poétique du texte, j' ai surtout lu une ode au corps des femmes, un hymne à leur beauté. C'est un texte somptueux illustré de photos et dessins non moins évocateurs de Frédéric Clément.

J'ai rencontré Kawabata par hasard et la première impression m'avait surpris (la Feuille Volante n°1202). Je dois dire que j'ai été conquis par cette deuxième approche.



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Dans ce très court roman, Kawabata narre une saisissante opposition faite de paradoxes qui ne peuvent que susciter tendresse chez le lecteur: le vieil homme impuissant éveillé aux côtés de très jeunes femmes endormies.
La distribution des pouvoirs est bouleversante puisque les protagoniste ne peuvent avoir que des désirs insatisfaits: le vieil homme dominant ne peut pas nécessairement faire "parler" son corps, et les jeunes femmes restent passives alors que leur désir serait physiquement possible.
Il ne s'agit pas que d'un roman sur le désir contrarié car le vieil homme de passionné retenu jette un regard plein de tendresse
Le style est limpide comme une caresse sereine, et, en connaissant la vie de l'auteur, on peut penser qu'il crie un silence une magnifique déclaration d'amour.
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Les belles endormies, Yasunari Kawabata
Lorsque Eguchi est introduit chez les "Belles endormies", il découvre un lieu semblable à nul autre. de vieux messieurs paient afin de passer une nuit aux côtés de jeunes vierges endormies par de puissants narcotiques.
Au cours de ces moments volés, Eguchi va s'appuyer sur ce qu'il découvre dans la chambre des voluptés pour revenir sur les femmes qui ont marqué sa vie... indéniablement... de celles qu'il a aimées à celles qui l'ont marqué. Veritable réflexion sur la vie, l'amour, le temps qui passe et l'inéluctable fin, ce roman court, paru en 1961 au Japon, émeut autant qu'il captive.
Kawabata est un immense écrivain, doté d'une plume d'une rare finesse et il me tarde d'aller plus avant dans la découverte de ce prix Nobel de littérature.
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Les belles endormies/Yasunari Kawabata
Né à Osaka en 1899 Yasunari Kawabata est mort en 1972 après avoir obtenu le prix Nobel de littérature en 1968.
Écrivain majeur du XXé siècle, toujours en quête du beau, il a écrit des récits brefs au style travaillé, concis, épuré de tout mot superflu riche de sensibilités diverses et d'une pudeur suggestive particulière. Son souci du détail qui change tout en fait un esthète de la littérature japonaise.
Dans ce récit très célèbre, il met en scène de pitoyables vieillards en quête de sensations et de rêveries troubles auprès de jeunes filles en principe endormies par un narcotique. Une certaine perversité teintée paradoxalement d'une grande pudeur plane tout au long de ces instants de contacts furtifs avec le corps des jeunes et belles adolescentes.
En principe, seuls des vieillards « de tout repos » fréquentent ce lieu mystérieux de bonne réputation. le fait que les adolescentes soient endormies « épargne aux vieillards la honte du sentiment d'infériorité propre à la décrépitude de l'âge et leur permet de s ‘abandonner sans réserve à leur imagination et à leurs souvenirs relatifs aux femmes. » Incapables de traiter la femme en femme, ils se contentent » de dormir paisiblement aux côtés de jeunes filles, illusoire consolation dans leur poursuite des joies de la vie enfuie. »
« Ce qui montait du fond de leur poitrine quand ils étaient étendus au contact de la nudité d'une jeune femme endormie, peut-être n'était-ce que la terreur de la mort prochaine et le vain regret de leur printemps disparu. »
Eguchi va pour la première fois goûter à ce lamentable divertissement de la vieillesse en se posant moult questions non seulement sur lui-même mais aussi sur la jeune fille nue à ses côtés.
« Soumise à tout et ignorante de tout, étendue là, avec son visage ingénu, plongée dans un sommeil léthargique, elle respirait paisiblement. »
Les sens d'Eguchi vont–ils savoir rester muets alors qu'au premier contact son coeur se met à battre la chamade ?
« L'affreuse décrépitude des lamentables vieillards qui fréquentaient cette maison menaçait de l'atteindre lui-même dans peu d'années. L'immense étendue des désirs, leur insondable profondeur, jusqu'à quel point les avait-il finalement mesurées au cours des soixante-sept années de son passé ? Et puis, autour des vieillards naissent innombrables les filles jolies, à la peau neuve, à la peau jeune. Les désirs rêvés à perte de vue par de misérables vieillards, les regrets des jours perdus à jamais, ne trouvaient-ils pas leur aboutissement dans les forfaits de cette maison mystérieuse ? »
Avec une grande sensualité et une belle maîtrise, Kawabata nous décrit les gestes et les pensées d'Eguchi découvrant ces corps juvéniles endormis.
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L'action se déroule entièrement dans une maison étrange dont la réputation est assurée par le bouche-à-oreille. Sur rendez-vous, les vieux messieurs viennent y passer la nuit avec des jeunes femmes préalablement endormies à l'aide d'un puissant somnifère: quoi que fassent les clients, elles ne sortiront pas de leur sommeil. le lecteur comprend bien que, en contrepartie de leur prestation, ces jeunes femmes sont rétribuées. Mais ce sont des prostituées très spéciales: leurs clients sont « de tout repos », c'est-à-dire impuissants; ils tentent surtout de retrouver les sensations érotiques de leur jeunesse. Mais cette expérience les place devant la réalité de leur décrépitude.
Le personnage principal et presque unique est Eguchi, qui ne se sent pas encore tout à fait « décrépi ». Les confrontations avec ses partenaires successives sont décrites d'une manière sobre. Eguchi se contente d'explorer (assez timidement !) le corps des belles endormies. En leur présence, des souvenirs reviennent inopinément à son esprit: des images inattendues, mais surtout la mémoire de rencontres - plus ou moins heureuses - avec d'autres femmes, mariées ou prostituées, quand il était plus jeune. Dans le récit, il n'y a aucun "suspense", c'est seulement l'itinéraire mental du héros qui compte. Mais ses visites nocturnes s'interrompront d'une manière inopinée: la quatrième de ces nuits, passée avec deux jeunes femmes en même temps, finit très mal. Avertie par Egichi, la tenancière de la maison fait le nécessaire pour éviter le scandale…

Avec un sujet aussi scabreux, l'auteur de ce curieux roman devait absolument éviter les écueils de la grivoiserie, du voyeurisme, du mauvais goût, mais aussi du moralisme. Il y parvient: en particulier, il n'y a pas de connotation morale dans le livre. le héros est placé face à lui-même et échappe au jugement extérieur. Un équilibre est trouvé entre la réalité d'un érotisme vague et triste, et l'imaginaire d'un homme qui commence à deviner l'approche de la mort.

Dans le récit, tout est évoqué avec précision, sobriété et simplicité. La langue est fort simple. C'est un court roman "à l'ancienne", qui prend le temps de bien décrire les lieux, les personnages, les comportements - mais sans s'étendre inutilement et sans effet de style. Il n'intéressera ni les lecteurs pressés, ni les amateurs d'émotions fortes.
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http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/search/label/Kawabata

Extrait :

C'est peut-être avec la littérature asiatique que le problème de la traduction se fait le plus sentir. Il se perd sans doute plus par le passage du japonais au français que par le passage d'une langue européenne à une autre non seulement parce que la musicalité du japonais diffère essentiellement de celle du français, mais surtout parce que les implicites attachés à cette langue et à sa culture ne peuvent sans doute pas être rendus. Peut-être sont-ce là les raisons qui m'ont toujours empêché d'apprécier à leur pleine mesure les grands auteurs japonais.
Malgré cela, la poésie des Belles endormies de Yasunari Kawabata m'a profondément touché. le thème général de ce petit texte est celui qui se retrouve chez tous les auteurs japonais que j'ai pu lire de Sôseki à Murakami Ryû : l'alliance intime entre l'érotisme et la mort.
Le vieil Eguchi, 67 ans, se rend dans un bordel que lui a recommandé son vieil ami Kiga (peut-être est-il le mystérieux propriétaire du lieu puisqu'il est au courant de tout ce qui s'y passe, du nom des clients – alors que ceux-ci ne devraient pas se connaître les uns les autres – et même des circonstances du décès de l'un d'eux). le rituel est précis et il se répète à l'identique lors des cinq nuits (correspondant aux cinq chapitres du livre) qu'Eguchi passe dans cet étrange hôtel. Il est accueilli par une femme d'une quarantaine d'années, impassible et froide, qui l'introduit dans une grande pièce au premier étage de cette petite maison. Cette pièce jouxte la chambre dont la porte est fermée à clé et la clé n'est remise à Eguchi qu'une fois la cérémonie du thé présidée par l'hôtesse est terminée. Il y a donc une dimension religieuse incontestable et cette maison est un temple tout autant qu'un boxon. Impossible d'échapper et à cette cérémonie, impossible de boire autre chose que du thé, même du saké comme le demande Eguchi la première fois.
Il est difficile pour nous, Occidentaux, de saisir ce caractère mystique à la prise du thé. Il faut pourtant savoir que la voie du thé est un rite remontant au XVème siècle mettant en exergue des valeurs telles que le respect, la simplicité, la pureté, etc. Dans le livre du thé, Okakura écrit :

« le théisme est un culte basé sur l'adoration du beau parmi les vulgarités de l'existence quotidienne. Il inspire à ses fidèles la pureté et l'harmonie. Il est essentiellement le culte de l'Imparfait, puisqu'il est un effort pour accomplir quelque chose de possible dans cette chose impossible que nous savons être la vie. »

Il peut sembler étrange qu'une telle cérémonie se déroule dans un lieu tel que celui-ci. Mais ce bordel n'est pas un bordel comme les autres : il est réservé à des vieillards, « clients de tout repos » dont Eguchi ne fait cependant pas partie, contrairement à ce qu'a dû croire Kiga.
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Une poésie caresse la féminité juvénile des jeunes filles dans le regard remplie de mélancolie joyeuse d'un homme qui marche lentement vers la fin de sa vie d'homme ......un plaisir
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Roman d'une douceur et d'une extrême finesse. Descriptions magnifiques de la féminité et de la sensualité. Raconter les circonstances de ses descriptions enlèveraient beaucoup de charme au livre, tant ces circonstances sont déroutantes. Emblématique de l' esthétique de Kawabata :un érotisme doux et poétique.
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Tout l'art de Kawabata est inscrit dans ces pages de pure merveille.

Erotisme, nostalgie, rituels, des thèmes largement abordés dans la littérature en général. D'où vient donc la magie de cette histoire où il ne se passe presque rien ?

Comme à son habitude, Kawabata traite avec une plume d'une délicatesse infinie ce qu'on ressent comme de puissants torrents de sentiments et d'émotion. le tonnerre le plus violent des passions d'une vie qui s'achève y revêt l'apparence du velouté d'une peau de femme ou l'économe échange de rituels codifiés.

En ces temps de superlatifs télévisuels, politiques et autres contingences, comme autant de baudruches de vacuité, Kawabata nous apprend combien la vie s'immisce dans des détails infimes pour qui leur préfère un peu de contemplation.
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La visite d'un vieux pervers dans un établissement pour le moins particulier qui propose de passer des nuits avec des femmes droguées aux somnifères. L'histoire sert de prétexte à l'auteur pour réfléchir à la brièveté de la vie, à la mort et à tous les sujets que l'on préfère habituellement taire. le roman est très bref et peut être relu plusieurs fois avec intérêt.
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