Je suis bien embêté avec ce livre ! J'ai adoré
Bouffes Bluffantes et breuvages Bluffants, du même
Nicolas Kayser-Bril.
Là, je ne peux pas dire que j'ai adhéré au projet. Je ne partage pas l'analyse, ou plutôt les conclusions qui sont le coeur de ce livre, et l'idéologie qui en découle. de manière générale, je dois bien dire être assez rétif (sans être Bretonne !) à toutes les analyses provenant des pays anglo-saxons depuis quelques décennies ; à savoir les luttes sectorisées, genrées, racisées. Ça ne me parle pas. Pas du tout. Et pire, cela me semble conduire à une impasse à la fois sociétale et idéologique.
Bon, je ne vais pas mettre la charrue avant les boeufs, et essayé d'étayer un peu mon propos.
Tout a mal commencé dès le premier chapitre, entre l'histoire ségrégationniste d'un logo d'une marque de pancakes aux USA et la justification du mot "race". Moi je suis assez d'accord avec les députés qui veulent enlever le mot race de la constitution. Il n'y a pas de races d'hommes, un Homme et une homme, et même parfois une femme, c'est à dire un humain. Considérons tout le monde pareil et on pourra repartir sur de bonnes bases. Ensuite ce pauvre auteur est obligé de se justifier d'être blanc mais de quand même parler d'un sujet qui touche aux noirs et autres "racisés". Ça me hérisse. Ça place tout de suite le livre dans une mauvaise condition. Pourquoi devrait-il se justifier ? Il veut en parler, il a son idée, et bien allons-y, il a autant le droit d'en discuter avec ses lecteurs qu'un joueur de foot de la philosophie d'Heidegger à l'épreuve du nazisme, si c'est sa passion du moment (et je suis sûr qu'il sera plus lu !).
Dans la suite de l'ouvrage,
Nicolas Kayser-Bril continue de développer cette idée à travers les origines du racismes et ses prolongements aujourd'hui, des hypocrisies marketings et commerciales, à la répartition des postes dans les restaurants en passant par le commerce équitable et le rôle de la colonisation.
Il y a à dire sur tous ces sujets, mais celui qui m'a le plus interpellé est la justification du racisme (plutôt devrais je dire l'explication) dans le commerce du sucre, et la colonisation qui a suivi. Deux choses, de une je ne crois pas que le pire des racistes d'aujourd'hui arrive à la cheville de l'intolérance du plus tolérant des grecs antiques : ils n'y avait peut être pas de théorie raciste dans l'antiquité (quoique, si on lit bien
Platon, les Spartiates ne risquaient pas de passer pour des libertaires) mais n'oublions pas que leurs femmes passaient de la main du père à celle du mari et vivaient dans un gynécée la quasi totalité de leur existence, que les esclaves étaient des meubles, et les étrangers des barbares ou des ennemis. Alors le coup du "avant le sucre, pas de races", il ne passe pas pour moi. le moyen-âge pourrait je crois fournir quelques beaux exemples.
Ensuite, sur la colonisation. On vit en France, en Europe, ou bien ? Les exemples, les sources, sont américaines. Anglo-saxonnes au mieux. Il faut vite faire une traduction, les ventes vont être fulgurantes aux USA, on y parle d'eux. Mais je crois qu'ici, c'est un peu différent. La France n'a pas eu de système ségrégationniste jusqu'en 1960. Elle a eu des colonies, un département (l'Algérie) colonial, menée des guerres de décolonisation, oui, mais avec un contexte et une idéologie bien différente. D'ailleurs Nicolas Kayer-Bril le dit (bien que ce soit très controversé), les colonies ont couté plus qu'elles n'ont rapportés. C'était plus une question d'image, une histoire de lutte avec des rivaux, de puissance, d'économie in fine plutôt que de l'idéologie.
Et c'est là que je diffère le plus avec l'analyse proposée ici : Là où l'auteur voit du racisme, je vois surtout de l'exploitation. Il n'y a pas de racisme dans l'économie capitaliste, libérale (il y a des clichés racistes pour vendre, ça oui, mais il faudrait en parler ailleurs, et je n'aurais surement pas le courage !), et s'il y en a en politique dans les nauséabonds partis acoquinés avec les tenants de la doctrine précitée, c'est bien pour détourner l'attention et continuer à exploiter aussi chez les blancs. Dire à un mineur sorti de
Zola qu'il est suprémaciste, c'est un poil limite. Il est tout aussi exploité que l'autre qui produit le sucre qu'il mange. L'auteur ne dit très bien d'ailleurs. Il n'en tire pas la conclusion qui s'impose à moi, le racisme est surtout économique: une population facilement "escalavagisable" a attiré les rapaces de l'époque Moderne, et continue à le faire.
Les historiens de la "lutte des civilisation" ne sont que des épouvantails dressés dans les facs US pour nourrir l'idéologie des faucons (qui en sont de vrais !) du même pays.
Mettre tout le monde dans le même panier est tout de même fort de café (ah non pardon, de farine de gland torréfié). Pour en finir avec le côté histoire et colonisation, j'ai trouvé étrange de voir
Kipling et pas Ferry, par exemple, et de ne rien lire des débats pourtant puissants et anciens au sein de l'histoire de la colonisation en France. de ce côté on ne peut pas dire qu'on soit trop en retard...
Enfin, la culpabilisation blanche n'est pas pour me convaincre du bien fondé des idées avancées. S'il faut payer plus pour se nourrir c'est simplement parce que la nourriture est la base de la vie et qu'un travail doit être justement rétribué, plus que le capital et les investisseurs ou les boursicoteurs qui achètent et revendent des stocks de denrées vitales pour en tirer le plus de profit. L'accaparement était un crime sévèrement puni, rétablir ce principe et supprimer la spéculation sur la nourriture serait un pas plus grand que cracher sur tous les blancs au seul prétexte qu'ils le sont. Dommage qu'on n'en parle pas dans ce livre. le lien entre exploitation des petits producteurs des Suds et inégalités étaient pourtant tout trouvé !
Bref, cet essai, bien que très documenté comme tous les autres ouvrage de
Nicolas Kayser-Bril ne m'a pas convaincu et m'a au contraire énervé. Il me semble surfer sur une vague idéologie qui ne va pas déterrer les vrais problèmes et causes, et qui pire jette l'opprobre sur des gens n'ayant rien demandé. On ne construit pas bien lorsqu'on croule sous la culpabilité, et pire souvent, on aggrave les erreurs y ayant mené. Enfin, si les raccourcis dans Bouffes et breuvages Bluffants ne m'avaient pas gênés (puisqu'ils ne me paraissaient pas taire un important contexte ou biaiser les raisonnements), ici ce fut le cas ; il aurait sans doute fallu deux ou trois fois plus de texte pour développer des arguments historiques. Malheureusement, sobriété éditoriale et vérité ne font parfois pas bon ménage.
Dommage.