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EAN : 9782021045826
252 pages
Seuil (29/09/2011)
3.12/5   4 notes
Résumé :

Le jeune narrateur de La Mort de l'adversaire (roman commencé en 1942, achevé après la guerre, publié en 1959 et récemment redécouvert en Allemagne et aux États-Unis, à l'occasion du centenaire de l'auteur) décrit sur le mode métaphorique – sans jamais employer les mots " nazi " ou " juif " – la puissante ascension d'Hitler, la souffrance d'un enfant juif et de ses proches devant la haine dont ils sont l'objet, la trahison des êtres aimés.

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
A dix ans on n'a pas d'ennemi. Mais lorsqu'on est juif dans l'Allemagne des années trente, on apprend très vite à travers la violence des autres enfants, le regard haineux des adultes, les paroles voilées des parents, à perdre l'insouciance propre à l'enfance ; on découvre le chagrin et la solitude de celui qui est progressivement mis au ban de la société.

C'est le cas de notre narrateur anonyme. Il livre ici un récit intime dans lequel il regarde le garçon qu'il a été et qui a grandi avec la montée en puissance du nazisme et l'avènement au pouvoir d'Hitler, ou plutôt de B, cf. « Mon ennemi – je l'appellerai B – est entré dans ma vie, je m'en souviens, il y a environ vingt ans. A ce moment-là, je n'avais qu'une vague idée de ce que voulait dire être l'ennemi de quelqu'un, encore moins de ce que signifiait avoir un ennemi. »
Oui pendant longtemps, l'ennemi était invisible, ce n'était qu'un étranger qui inquiétait les parents puis il a modifié le comportement, la langue et les gestes des autres enfants. Sous l'effet des vexations et humiliations toujours plus nombreuses et douloureuses pour celui qui jusqu'ici ignorait sa confession religieuse, cet ennemi est devenu une obsession au point de conduire le narrateur à construire une relation personnelle avec B. A défaut de le connaître, il s'est façonné un personnage, « «nous étions liés l'un à l'autre par les liens d'une inimitié dans la vie et la mort ». Il était son adversaire, il lui appartenait de comprendre ses motivations, de trouver une explication rationnelle à la haine qu'il subissait … allant jusqu'à nourrir l'illusion de délivrer B de son délire. Candeur de la jeunesse certes, mais sur le chemin sinueux de la compréhension des évènements, un jour peut-être prendra-t-il conscience qu'il a été la proie de son propre aveuglement et de ses égarements …


Ce pourrait être un énième roman nourrissant la littérature abondante sur l'Allemagne nazie et l'antisémitisme, pourtant Mort de l'adversaire n'a rien de commun avec ce qui a été écrit jusqu'à présent. Réflexion continue, volonté de garder une distance comme pour anesthésier la réalité, jeu d'ombres et de lumières, ce récit est une immersion radicale dans l'ostracisme à contre-courant des témoignages de victimes. A partir de métaphores, on écoute la voix d'un garçon puis d'un jeune adulte qui découvre la souffrance, celle de ses parents, la peur, la haine, la fascination que peut exercer un homme sur la foule…
Fruit de l'effort constant du narrateur de ne pas se laisser porter par le chaos, porté par la force calme de son incompréhension et de sa colère, La mort de l'adversaire n'a pas moins le pouvoir de saisir les variations de la tragédie qui se joue. Au contraire, ce roman démontre que l'intelligence – basée sur les observations d'un enfant et l'analyse qui en est faite - facilite l'accès à la souffrance morale. Les fragments de vie racontés par le narrateur exercent l'étrange pouvoir de capter avec force et émotion les tremblements de terre intimes et douloureux.
En excluant toute référence aux évènements historiques et toute identification des personnages et des lieux, l'auteur revisite avec force un passé émouvant et révoltant. Il parvient à insuffler cette puissance qui se diffuse en-deçà des soubassements du texte…
…Peut-être parce que ce roman est en partie autobiographique, Hans Keilson ayant fui l'Allemagne pour les Pays-Bas où il s'est consacré en tant que pédopsychiatre au traitement des traumatismes chez l'enfant.
Roman remarquable qui confère au dramatique le visage délicat et mutique de la jeunesse.

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« Mon ennemi – je l'appellerai B – est entré dans ma vie, je m'en souviens, il y a environ vingt ans. A ce moment là, je n'avais qu'une vague idée de ce que voulait dire être l'ennemi de quelqu'un, encore moins de ce que signifiait avoir un ennemi. Pour comprendre son ennemi, il faut la même maturité que pour connaître son meilleur ami. »

Puissance de l'imaginaire, d'une écriture qui à travers des scènes quotidiennes, si quotidiennes, fait revivre des êtres et leurs pensées, décline des ressentis, des attitudes hésitantes, le poids d'un basculement, la mobilisation de foules et la construction d'un mythe, d'un état/État…

Des feuillets pour après la guerre, des feuillets où l'essentiel est dit, sans énonciation de nom(s).

Une histoire de photo truquée entre chat et chien, de timbres surchargés, de jeu collectif et pourtant de mise à l'écart, « le ban qu'ils avaient tracé autour de moi imprimait sur moi la marque du proscrit, de celui qui est à l'écart. Je sus que j'étais banni, que je ne pouvais plus compter que sur moi. Je m'imaginai que je portais la marque au front, à la vue de tous. Cette sensation a pris racine si profondément en moi, que des années plus tard, je n'avais toujours pas réussi à l'arracher ». L'invention de l'autre et du silence interrogatif sur demain.

L'amitié et l'incompréhension, la vie citadine et le grand magasin, la réunion dans la salle d'un café, les gestes et les vociférations, le temps suspendu à la négation de la résistible poursuite du mouvement.

Un récit du viol des sépultures, « Et j'étais assis, étranger parmi eux et à leur insu, ne perdant rien du récit ». Derrière la banalité des récits, tout est dit.

Le fils des jours, le sursis et l'attente.

« On ne peut pas se débarrasser des rides du visage en les découpant, comme on retranche d'une pomme les parties pourries. On doit porter ces rides sur le visage et savoir qu'on les porte, on les voit jour après jour comme dans un miroir quand on se lave ; on ne peut les retrancher, elles appartiennent à ce visage ».

Une découverte.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Une chose m’échappait : de même que j’ignorais qui était celui dont mon père parlait comme de notre ennemi, de même j’ignorais qui était ce Dieu dont il évoquait la miséricorde. Je ne connaissais pas plus l’un que l’autre, alors que tous deux étaient présents dans ma vie
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Tandis qu'il parle et écoute, son visage reflète la tristesse, le tourment, comme si un voile noir s'abattait à l'intérieur, dévastant ce visage et le masquant tout en servant d'arrière fond, alors que par-dessus, en avant, l'autre visage, l'extérieur, muscle, peau, cheveux, où glisse le mouvement, est détendu. Parfois un sourire s'ébauche encore, mais chaque fois qu'on observe ce visage on sait que derrière, sur son socle, sont tapies détresse et affliction, venues du tréfonds.
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On ne peut pas se débarrasser des rides du visage en les découpant, comme on retranche d’une pomme les parties pourries. On doit porter ces rides sur le visage et savoir qu’on les porte, on les voit jour après jour comme dans un miroir quand on se lave ; on ne peut les retrancher, elles appartiennent à ce visage
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Un authentique collectionneur ressent une double joie : celle de pouvoir étaler ses biens et les voir s'accroître, et celle de pouvoir disposer sa collection bien rangée devant lui et de feuilleter longuement son album, marque de son zèle et de sa ténacité.
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L'échange de timbres avec des adultes revêt un charme particulier : ils se penchent vers toi, tenant ces petits carnets entre leurs grandes mains, et discutent d'homme à homme avec toi, car ils te prennent au sérieux, non pas comme un enfant mais comme un partenaire.
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