Les
Rubayat ou Rubaiyat (
quatrains) d'
Omar Khayyam, publiés après sa mort survenue en 1131, sont une institution, une forme poétique universellement aimée, citée et pastichée en Perse et dans l'Iran contemporain. J'apprends que leur nombre est estimé entre cinquante et plus de mille à partir de divers manuscrits posthumes, plus ou moins tardifs et authentiques. La République Islamique d'Iran en aurait donné une liste officielle (que je n'ai pas trouvée sur Internet), ce qui est remarquable compte tenu du fond agnostique et même ironique de l'oeuvre (p 11 et 53 de l'édition 1994) :
Le Coran, qu'on appelle la grande parole,
On le lit de temps en temps, jamais tout le temps ;
Sur ce verre, en enluminure, un verset du Coran ;
Ce verset, on aime se le verser en tout lieu, en tout temps !
…
Au vin ne renonce personne d'esprit résolu !
Le vin, c'est ce qui fortifie l'individu !
Le mois du Jeûne, s'il faut renoncer à quelque chose,
Que ce soit aux prières ! C'est, semble-t-il, la meilleure chose.
Je me suis procuré deux versions publiées en Français par Gallimard, dans la collection Poésie (1994) et dans la collection Folio Sagesse (2002). Une minorité seulement des
quatrains est citée dans les deux livres qui n'utilisent pas de numération commune. La divergence peut être masquée par les écarts de traduction, par exemple (Editions 1994 p 73 et 2002 p 13) :
Bois du vin ! car Dieu sait que tu sommeilleras dans la glaise
Sans compagnon de jeu, sans ami, sans camarade, des journées et des années !
Prends garde à garder ce secret bien caché :
Aucune tulipe fanée n'a refleuri jamais !
…
Bois. Tu devras sous la terre dormir plus que ton content
Sans compagne et sans confrère, camarade ou confident.
Il est un profond secret qu'il ne faut dire au profane :
La tulipe qui se fane ne refleurira jamais.
L'obstacle de la langue rend la prosodie inaccessible. La distance culturelle et les écarts de traduction (grande platitude de l'édition 1994) ne donnent qu'une idée confuse de la poétique et des images. Sur le plan des idées, au-delà de nombreuses répétitions (ou pastiches ?),
Khayyâm a des siècles d'avance sur
Ronsard par le scepticisme épicurien, et même sur le Mallarmé de Brise marine (« La chair est triste hélas, et j'ai lu tous les livres ») ou le
Saint-John Perse d'
Amers (« Nos livres lus, nos songes clos, n'était-ce que cela ? ») :
Tous les plaisirs, les avoir voulus... et puis ?
Tous les livres, les avoir lus... et puis ?
Khayam, tu vas vivre, admettons, cent ans…
Mettons, si tu veux, cent ans de plus… et puis ?
(Edition 1994 p 25)
Une goutte d'eau frémit, puis s'engloutit dans la mer ;
Une poussière surgit, puis se dissout dans la terre.
Et toi, qu'es-tu venu faire en ce monde ? Eh bien, voici :
Une bestiole prend vie un beau matin, puis se perd.
(Edition 2002 p 54)