Ce tome est le premier d'une nouvelle série se déroulant dans l''univers partagé de l'éditeur de comics Valiant. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2015, écrits par
Matt Kindt, dessinés par
Trevor Hairsine, encrés par
Ryan Winn, avec une mise en couleurs de
David Baron. Les couvertures ont été réalisées par Jelena Kevic-Djurdjevic. Il n'est pas besoin d'être familier de l'univers partagé Valiant pour apprécier ce récit. Il comprend également 4 pages de croquis de concept, exécutées par
Matt Kindt, ainsi que 12 pages à différents stades d'exécution (crayonné, encrage, couleurs) commentées par
David Baron.
Le récit est accompagné par les observations, les remarques ou les informations biographiques d'un narrateur (David Camp) qui n'est pas omniscient, mais qui dispose d'un point de vue dans le futur. Son identité apparaît dans le quatrième épisode. L'histoire raconte la vie d'Abram Adams, un homme de couleur, né en 1941 en URSS. Au vu de ses excellents résultats scolaires et de sa condition physique, il est intégré dans un programme spatial.
Abram Adams est choisi pour être envoyé dans l'espace dans un programme secret. Il s'agit pour les soviétiques de damer le pion aux États-Unis, en envoyant une fusée aux confins de l'espace alors qu'ils n'en sont qu'à essayer de marcher sur la Lune. Néanmoins pour ne pas risquer le ridicule, ce lancement effectué en 1960 est gardé secret. Abram Adams laisse derrière Eva qui attend un enfant de lui. Il espère être de retour dans 30 ans. Il revient avec des capacités inattendues.
En 2012, l'éditeur Valiant Comics fait un retour, après avoir arrêté de publier des comics plusieurs années durant. Il décide de relancer à zéro les personnages dont il détient la propriété intellectuelle. En 1992, il avait lancé plusieurs séries dont Harbinger, X-O Manowar, Rai, et Shadowman. 20 ans plus tard, le lecteur découvre les nouvelles versions de ces personnages, avec curiosité (surtout s'il ne les connaissait pas), ou avec plus ou moins de réticence s'il avait apprécié les versions initiales. En quelques années l'univers Valiant s'est étoffé, et cette nouvelle série marque l'introduction d'un personnage original qui n'existait pas dans l'itération des années 1990.
L'identité du scénariste met plutôt le lecteur en confiance a priori, car il a réalisé de nombreux récits sortant de l'ordinaire : Pistolwhip, Red Handed: The fine art of strange crimes, ou encore 3 story: The secret history of the giant man, Mind MGMT. de fait, le lecteur découvre l'histoire, sans pouvoir déterminer de quoi il retourne. le premier degré est simple : le retour de ce cosmonaute qui atterrit dans le bush australien, avec des retours en arrière pour découvrir les conditions de son voyage spatial.
À la fin du deuxième épisode, il s'établit une connexion avec l'univers partagé Valiant, sous la forme de l'intervention de l'équipe de superhéros Unity, composée de X-O Manowar (Aric Dacia), Ninjak, Livewire (Amanda Mckee) et Eternal Warrior (Gilad Anni-Padda). Néanmoins l'intrigue ne se transforme pas en un récit de superhéros, et l'enjeu reste de savoir ce qu'il va advenir d'Abram Adams. Il est bien sûr hors de question d'en dévoiler plus sur l'intrigue puisqu'elle constitue tout le sel de cette lecture, aiguisant l'envie du lecteur d'anticiper pour partie la suite, sans y parvenir.
Matt Kindt a conçu une histoire qui laisse le lecteur dans l'expectative, sans savoir de quoi la prochaine séquence sera faite. Il génère ainsi une véritable curiosité ludique chez lui. Certes Abram Adams dispose de ce que l'on peut qualifier de superpouvoirs, mais il ne les utilise ni pour faire le bien, ni pour faire le mal; il échappe à ce clivage basique. Il n'arbore pas un costume moulant aux couleurs voyantes. Bref, ce n'est pas un superhéros et cette histoire s'inscrit plus dans le genre anticipation ou science-fiction.
L'arrivée des membres d'Unity ramène une composante superhéroïque. Mais il s'agit de superhéros encore relativement neufs, et ils constituent surtout une équipe d'intervention du gouvernement, composée d'individus aux capacités extraordinaires, mais là encore avec une position morale ambigüe. Et puis, ce n'est pas leur histoire. Finalement
Matt Kindt raconte le retour d'un cosmonaute parti au fin fond de l'espace et qui redécouvre une partie de l'humanité avec un point de vue radicalement altéré, qui n'exclut pas une forme conflictuelle. Il insère un discret métacommentaire, sous la forme du pouvoir d'Abram Adams qui peut défiler le temps, comme on tourne les pages d'un livre, ou d'un comics. L'histoire apporte une résolution satisfaisante à ce premier chapitre. La dernière page (après les sketchs de Kindt et les explications du metteur en couleurs) indique qu'un deuxième chapitre est en préparation.
Trevor Hairsine réalise des dessins qui s'inscrivent dans une approche naturaliste et descriptive, avec un degré de simplification. Dans le premier épisode (et le temps d'une poignée de pages dans le deuxième), il doit représenter des décors que l'on suppose être moscovites. Il montre bien des rues et des aménagements intérieurs, mais seules les cellules de texte du biographe David Camp permettent de savoir que ces scènes se déroulent en Union Soviétique. Par contre, les meubles et les accessoires disposent de juste assez de détails pour que le lecteur puisse constater que l'action ne se déroule pas de nos jours, même si là encore les cellules de texte apportent les éléments concrets.
Tout au long du récit, le lecteur hésite donc entre la satisfaction de voir le dessinateur faire l'effort de s'attacher à représenter l'environnement, même quand il s'agit d'une zone désertique, et la frustration que les visuels restent à un niveau trop générique. David Byron réalise un travail remarquable de mise en couleurs, ajoutant de manière discrète des textures, au sol ou à au feuillage des arbres. Ainsi les dessins gagnent en substance pour devenir plus ancrés dans le concret. de manière tout aussi discrète, il joue sur les nuances, là encore tout en retenue, pour légèrement accentuer l'impression de volume des surfaces. Les 12 pages commentées par ses soins en fin d'ouvrage donnent un aperçu très intéressant sur sa façon de concevoir la mise en couleurs.
Trevor Hairsine a réalisé un travail de conception graphique pour les personnages, qui permet au lecteur de facilement les mémoriser, et de les identifier au premier coup d'oeil. Les expressions des visages transcrivent bien les émotions, sans être très nuancées. Ce dessinateur révèle ses capacités lors des séquences plus conceptuelles du scénario.
Matt Kindt a prévu qu'Abram Adams se trouve confronté à quelque chose au fin fond de l'espace (il faut bien qu'il acquiert ses capacités exceptionnelle d'une manière ou d'une autre). Facile à écrire pour le scénariste, beaucoup plus difficile à rendre visuel, sans tomber dans un cliché, ou dans des dessins creux.
Trevor Hairsine s'en sort très bien avec une mise en scène intelligente qui laisse planer le mystère, et une mise en couleurs complémentaires, tout aussi en sous-entendus.
Dans l'épisode 3, le dessinateur doit à nouveau mettre en scène une séquence conceptuelle, dans laquelle les membres d'Unity se retrouve chacun coincé dans une tangente temporelle (la lecture permet de mieux comprendre le concept). À nouveau Hairsine construit un découpage visuel qui hisse le récit au-dessus des poncifs habituels pour donner à voir ce qui se passe, de manière originale, compréhensible et convaincante.
Dans l'épisode 2, il doit aussi faire comprendre de manière visuelle comment Abram Adams peut suivre les événements se déroulant sur Terre, pendant son isolation dans l'espace. La narration de Kindt s'avère un peu basique, demandant au lecteur d'accepter ce dispositif comme ça, sans chercher à discuter. Même l'adresse picturale de
Trevor Hairsine n'arrive pas à récupérer cette gaucherie.
En 2012, l'éditeur Valiant a décidé de remettre sur rail ses propriétés intellectuelles, en redémarrant son univers à zéro, et en retraçant des chemins déjà parcourus 20 ans avant, avec une réussite plus ou moins louable. En 3 ans, es responsables éditoriaux ont prouvé leur compétence professionnelle, en reconstruisant un univers cohérent, et en proposant une alternative aux superhéros Marvel et DC, avec des personnages plus neufs, et originaux (pas de simples déclinaisons plus ou moins inspirées de ceux de la concurrence). Avec ce premier tome,
Matt Kindt,
Trevor Hairsine,
Ryan Winn et
David Baron profitent de la taille raisonnable de cet univers partagé pour y raconter une histoire imprévisible, très intrigante, bien intégrée à l'univers Valiant, qui peut se lire s'en rien en connaître. le lecteur se délecte de cette intrigue au goût inusité. Il constate que la partie graphique présente des dehors quelconques, mais recèle une intelligence narrative visuelle très impressionnante. 5 étoiles pour un dépaysement réussi. Les lecteurs des comics Valiant des années 1990 ressentiront une petite bouffée de nostalgie lorsqu'un des personnages indique que le temps n'est pas absolu (le slogan du crossover Unity de 1992).