Évidemment, si vous n'avez pas lu
Shining, l'enfant lumière il va vous manquer des pièces du puzzle. Un peu comme si vous décidiez de commencer la saga Star Wars par la dernière trilogie.
Une fois qu'on a dit ça, on se rend compte que, pour autant que l'intrigue du
Docteur Sleep est très entraînante – le minimum syndical lorsqu'on s'appelle
Stephen King ! –, elle n'est pas – elle ne saurait être – du niveau de
Shining. Car
Shining est un roman non seulement unique en son genre mais encore il appartient à notre nostalgie. Et, suivant l'adage désormais fameux : c'était mieux avant. Ce que l'auteur explique parfaitement en note : « J'aime bien penser que je suis encore assez bon dans ce que je fais, mais rien ne peut rivaliser – je dis bien rien – avec le souvenir d'une bonne vieille terreur, surtout quand elle a été administrée à quelqu'un de jeune et d'impressionnable. » J'étais jeune et impressionnable, je le suis moins…
Alors oui, je partais avec des a priori au moins aussi gros que les mensonges de tel Président affirmant qu'il aime le peuple ! Mais, comme on dit, il faut laisser une chance au produit. Ce que j'ai fait et, faut-il l'avouer, je me suis bien plu dans cette écriture confortable sans autre prétention que de divertir. Pari réussi donc, même si le petit Danny continue de rafler la mise, explorant l'abominable hôtel Overlook ou fuyant un père possédé par le Mal surnaturel des lieux. le grand Danny du
Docteur Sleep ne peut rivaliser…
Pour autant, le tandem Abra/ Danny – tous deux réunis par le Don – est une réussite. Quant au Noeud Vrai, avec son air de ne pas y toucher en roulant comme des bidochons friqués à bord de leurs superbes camping-cars, c'est une excellente trouvaille, avec en point d'orgue leur cheftaine Rose. Rose, ce personnage ambivalent aussi séduisant que repoussant, qui se partage entre son amour pour sa tribu et sa cruauté digne du tueur en série Dennis Rader – plus connu sous le nom de BTK – Bind, Kill and Torture : lier, torturer et tuer, selon son mode opératoire.
Si l'horreur est encore là, elle est étouffée – ce qui n'est pas un reproche – par l'idée de rédemption. C'est aussi la fin de l'errance pour Danny, qui, en plus d'aider une jeune fille en danger, s'aide lui-même et trouve un sens à sa vie : accompagner les mourants dans l'au-delà avec le plus de douceur possible, comme en miroir des souffrances infligées par les membres du Noeud Vrai à leurs victimes. Comme en miroir, aussi, des souffrances reçues, dont celle d'un père alcoolique ayant cédé aux sirènes maléfiques. Comme les moribonds à qui il tient la main pour les libérer de leur enveloppe charnelle en vue du dernier voyage, Danny devra aussi libérer les fantômes de son passé. La boucle est bouclée.
Notons dans l'intrigue le clin d'oeil discret à
La Guerre des mondes, d'
H.G. Wells. Ce qui est une marque de
Stephen King, à savoir distiller tout au long de son oeuvre ses influences, rendant à César ce qui est à César.
Enfin, l'ombre d'un autre monstre plane dans ce roman : l'alcoolisme de l'auteur, ce dont il ne se cachait pas en 2013 lors d'un entretien accordé à Télérama, à l'occasion de la sortie de son roman : « J'ai multiplié, à un moment de ma vie, les expériences avec l'alcool, et les drogues en général.
Shining et
Docteur Sleep sont autobiographiques au sens où, oui, j'ai été un alcoolique, dépendant. Mais jamais je n'ai été violent, jamais je n'ai frappé mes enfants ! Dans l'écriture, quel que soit le sujet, l'imagination est première. »