A l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, on a vu fleurir dans nos librairies un nombre incalculable de documentaires, romans ou bandes dessinées revenant sur tel ou tel aspect de ce moment charnière de notre histoire. L'ouvrage de Kriss et
Maël, ressorti il y a peu sous forme d'intégrale, figure pour sa part parmi les incontournables à ne pas manquer. le récit prend la forme d'une enquête policière menée par le lieutenant
Vialatte dépêché en Champagne en 1915 suite à la découverte à proximité du champ de bataille des cadavres de plusieurs femmes, assassinées puis abandonnées selon une mise en scène macabre. Inutile de préciser que mener une investigation de ce type dans une Europe plongée dans la folie de la guerre s'avère plus que délicat... Notre héros doit d'abord faire face au mépris des soldats pour lesquels il ne représente qu'un planqué de plus. Il se confronte aussi à sa hiérarchie à qui il doit rendre des comptes, et vite ! Et puis il y a aussi cette rencontre troublante avec une ancienne connaissance, le caporal Peyrac, désormais chargé de superviser un groupe de nouvelles recrues à peine sorties de l'adolescence et constitué d'anciens prisonniers s'étant vu offrir le choix entre l'enfermement ou les tranchées. C'est le début pour le lieutenant d'une enquête éprouvante qui l'amènera à côtoyer au plus près toute l'horreur de cette Première Guerre mondiale. « J'aurais voulu être ému, ressentir, frissonner... Je me répétais « c'est ça la guerre ». Mais il m'aurait fallu des cris, du tumulte, des corps en rage jetés les uns contre les autres, le feu roulant d'une fusillade... Des sons qui, à tout cela, auraient donné une âme. Au lieu de quoi, je finis par atterrir, seul et désorienté, en plein coeur d'un ventre de boue humide et glacée. J'avais trouvé la guerre et je n'avais pas mis une heure à m'y perdre. »
Maël et Kriss mènent leur intrigue de main de maître, s'amusant à entraîner enquêteur et lecteur sur de fausses pistes jusqu'à un dénouement final surprenant. L'intérêt de l'ouvrage réside également dans le fait qu'il ne se limite pas à dépeindre les sanglants assauts sur le champ de bataille ou les conditions de vie déplorables des soldats dans les tranchées. le lecteur a ainsi l'opportunité d'avoir également un petit aperçu de la vie des civils « à l'arrière » : la mobilisation des femmes de l'époque, l'essor du mouvement pacifiste, la rancoeur à l'encontre des « planqués », et surtout l'indifférence (voire le dégoût) avec laquelle les pauvres bougres démolis par la guerre sont accueillis. Les auteurs s'attardent notamment sur les séquelles tant physiques que psychologiques accumulées par ces soldats qui, pour beaucoup, ne parviendront jamais à s'en défaire et à mener à nouveau une vie normale : « malgré l'envie ou le désir qui le tenaille, il ne pourrait plus rejoindre cet autre pays qu'il découvre par la fenêtre, qui ne sait rien de la guerre et qui semble vivre sur une autre planète. Ce pays qui l'admire, le romantise mais le repousse de peur que ses brodequins amochent les bottines à la mode, que ses effets sales et rapiécés maculent de boue les uniformes d'opérette que trimballent sur les boulevards des mannequins vivants mais vides. » le travail de documentation mené est impressionnant, l'ouvrage fourmillant de détails qui rendent l'ouvrage plus réaliste et les personnages plus poignants. Difficile d'oublier les portraits de tous ces hommes et femmes rencontrés au fil de ces quatre complaintes superbement écrites et illustrées. Un mot, pour finir, sur les graphismes qui collent parfaitement à l'ambiance de l'époque et contribuent énormément à l'afflux d'émotions qui assaillent le lecteur tout au long du récit.
Avec cette intégrale réunissant les quatre complaintes consacrées à l'enquête du lieutenant
Vialatte au coeur de la Première Guerre mondiale,
Maël et Kriss signent un ouvrage remarquable en tout point qui sonnera comme une véritable claque. Alors prenez votre courage à deux mains et sortez vos mouchoirs, mais lisez-le !