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Rose Labourie (Traducteur)
EAN : 9782260055938
400 pages
Julliard (31/08/2023)
3.93/5   27 notes
Résumé :
Hêtre pourpre est d’abord une enquête familiale. Celle que mène Kim, la narrataire, sur sa lignée maternelle lorsque sa grand-mère commence à perdre la mémoire. Pourquoi cette grand-mère ne parvient-elle pas à se détacher de sa mystérieuse sœur ? Qu’est-il arrivé à cette grand-tante, disparue prématurément ? Les vies de ces femmes ne sont-elles pas toutes marquées par le secret, mais aussi par la violence des hommes de leur propre famille ? Poursuivant le travail gé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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°°° Rentrée littéraire 2023 # 49 °°°

De façon générale, je suis peu férue d'autofiction. J'en lis, tout de même, et suis souvent agacée par leur tendance au nombrilisme pour dire du vain et du rien, tout en reconnaissant que parfois, certains textes parviennent à dépasser cet écueil pour toucher à l'universel en célébrant liberté et autodétermination. Hêtre pourpre est tout cela à la fois.

Souvent agaçant voire exaspérant. L'auteur raconte sa queerness, ses interrogations depuis tout petit sur son identité sexuelle, en déversant sur le lecteur une avalanche de sexe homosexuel très explicite rempli de fluides en tout genre. Trop, c'est répétitif et donne au texte un côté « vidange » exhibitionniste qui n'apporte pas une compréhension supplémentaire de la psyché de l'auteur.

Souvent épuisant. Les phrases de Kim de l'Horizon sont une déferlante, un flux narratif sinueux. Un flot de dialogues et de scènes éclectiques dans lequel il n'est pas aisé de se retrouver tant les styles et registres sont variés.

Agaçant, épuisant mais aussi fascinant par l'inventivité de ce chaudron littéraire magique. A sa propre non-binarité, l'auteur propose une non-binarité de la langue, possible en allemand par le recours au neutre grammatical appliqué hors des standards habituels. La traductrice Rose Labourie a choisi des terminaisons inclusives en « ǝ » et « æ » pour éviter les accords genrés. C'est une expérience assez bizarre au départ, mais une fois qu'on s'y habitue, sa pertinence saute aux yeux pour accompagner un auteur en quête d'identité qui mélange tout aussi allégrement allemand classique à un dialecte bernois. Cela donne une écriture pleine de sève, de vitalité, en totale liberté pour proposer une licence poétique explosive.

Et au final, j'ai refermé le livre vraiment touchée. Car même si l'auteur peut sembler exhibitionnisme dans l'étalage de ses sentiments et de sasexualité, il le fait avec une sincérité évidente. Lorsqu'il évoque le petit enfant qu'il était, qui se questionne face à son miroir pour savoir quand il faut décider d'être un garçon ou une fille, ça touche.
Lorsque l'auteur remonte à ses racines maternelles jusqu'au XIIIème siècle, déterrant tout un tas de secrets pouvant expliquer beaucoup de choses du présent, ça touche.

Lorsque Kim de l'Horizon raconte l'histoire du hêtre pourpre planté à la naissance de sa grand-mère maternelle, on est ému des connexions qu'il établit avec cet arbre-miroir, un arbre qui perd ses feuilles mais reste planté là, persiste avec de nouvelles feuilles, se transforme.

Et lorsqu'il parle de sa grand-mère ( en bernois, la grand-mer ) en train de devenir sénile, des objets de sa maison, des parties de son corps, c'est juste sublime :

« Les mains de grand-mer étaient des bêtes. Elles étaient perpétuellement en mouvement. Leur agitation fébrile en faisait des souris, des souris sans poil, avec de la peau, de la peau rugueuse comme de l'asphalte craquelé. Leur forme en faisait des araignées, de petites créatures pleines de pattes au dos rond ; prisonnières de leur corne, elles cherchaient sans relâche à sortir de grand-mer, tâtonnant comme des aveugles qui viennent de perdre la vue. Elles attrapent des patates qu'elles épluchent avec avidité. Empoignant la petite cuillère à moka pour pelleter du sucre dans la tasse de café – oui, ce mouvement étranger à la petite cuillère relève du coup de pelle. »

Un texte vraiment singulier, que j'ai ressenti de façon très inégale, incontestablement déroutant mais qui vaut par ses passages vraiment exceptionnels de vérité cherchée et de vérité retrouvée.
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Entre féminité et masculinité, (en)quête non-binaire expérimentée à travers la langue que Kim de L'Horizon tord, tourne, enfonce, défonce, réinvente…Un texte incandescent d'une poésie renversante, à la fonction exutoire parfois gênante, souvent bouleversante, à l'inventivité rafraichissante ! Pour (h)être, envers et contre tout , le chemin de la liberté se profilant en écrivant!

Ce livre qui écorche la bien-pensance et ensanglante les normes, ce livre de sang (le titre en allemand est Blutbuch qui signifie littéralement Livre de sang), a occupé Kim de L'Horizon (nom de plume inspiré d'une anagramme de ses prénom (masculin) et nom légaux, imaginée pendant son adolescence) pendant dix ans. de nationalité suisse, l'artiste a obtenu en 2022 le prix littéraire le plus prestigieux de la littérature germanophone, le Deutscher Buchpreis, l'équivalent du Goncourt. Auparavant, il (je devrais écrire iel, j'ai hésité j'avoue après la lecture d'un tel livre mais je me décide à garder ma façon d'écrire habituelle) s'était intéressé au théâtre, avait écrit plusieurs pièces et s'était déjà fait remarquer en participant à des concours littéraires suisses. Dès la cérémonie officielle à Frankfurt, ce fut un flot de réactions extrêmes depuis l'admiration jusqu'à la haine et aux menaces de mort, réactions qui sont souvent à l'oeuvre face aux personnes non binaires qui se revendiquent comme telles tant l'ignorance à leur encontre est source de méfiance et de rejet. Il faut dire aussi que l'artiste a fait parler de lui en recevant son prix, moulé dans son incroyable tenue sylvestre (n'hésitez pas à aller voir), se rasant en direct les cheveux et dédiant son prix aux femmes iraniennes.

Désireuse de comprendre la non-binarité qui singularise chaque année une poignée de mes étudiant.e.s, je me suis plongée avec curiosité dans ce texte sur la non-binarité certes, mais qui plus est, écrit par une personne non-binaire. Alors produit promotionnel dans l'air du temps éminemment éphémère ou réel marqueur de la société actuelle en passe de devenir une référence de la littérature du 21ème siècle ?

« Je suis un banc de sable qui se fait passer pour une île. Les marées m'érodent, la houle m'emporte, me défait. Les vagues arrivent chargées de nouveauté ».

Déjà, il me semble que ce livre devrait être lu dans sa langue d'origine, l'allemand, même si la traductrice, Rose Labourie, a fait un travail absolument remarquable et a opéré des choix, choix qu'elle explique dans la préface du livre. Elle a utilisé les « ǝ », « æ » et « ille » et « iel » afin de marquer la revendication non-binaire (genderfluid) de Kim de L'Horizon. L'autre prouesse fut de transposer l'inventivité d'une langue qui mélange et imbrique l'une dans l'autre, passant de l'allemand au suisse-allemand, au dialecte, à l'anglais et est truffée de néologismes propres au langage queer et trans. Dans cette préface, nous ressentons tout le plaisir que la traductrice a pris, l'artiste lui autorisant une certaine liberté pour inventer, elle évoque en effet un « fleuve qui emporte tout sur son passage », une « matière incandescente brûlant les doigts et la langue ». Malgré ce remarquable travail à souligner, qui fait ici de la traduction non seulement un challenge mais surtout un art créatif, je pense que je vais tâcher quand même de me procurer ce livre en allemand pour connaitre le texte d'origine et éventuellement pouvoir le comparer à sa version française.

L'enquête de Kim de L'Horizon, ce sont des lettres adressées à sa « grand-mer » et à sa « mer ». La traduction fidèle du dialecte bernois, GRAND MEER et MEER respectives, permet en allemand comme en français des glissements aquatiques, océaniques et ataviques, centraux dans le livre comme est central cet arbre, hêtre pourpre. Les objectifs sont multiples : narrer les souvenirs alors que sa grand-mère commence à perdre la mémoire, remonter l'arbre généalogique des femmes de la famille et enfin trouver une langue qui ne soit pas influencée par la langue maternelle, cette fameuse « langue de mer » et qui tente de déconstruire la binarité de genre véhiculé par le langage.

« Dans la langue que tu m'as donnée en héritage, dans la langue maternelle donc, « mère » se dit MEER, qui en allemand signifie MER. On dit LA MER ou MA MER, en pompant sur le français. Pour « père », PER. Pour grand-mère, GRAND MER. Les femmes de mon enfance sont un élément, un océan. Je me souviens des jambes de ma mère, je me souviens de les enlacer, de lever les yeux vers elle et de dire : TU ES LA MER. Je me souviens d'avoir le sentiment d'être chez moi et d'être enveloppæ de la tête aux pieds. L'amour des mers était immense, on n'y échappait pas, on n'y échappe pas, on nage toute une vie pour sortir des mers. »

Une première partie est consacrée à l'enfance. Cette partie contient des fulgurances poétiques absolument magnifiques lorsque sont évoquées les relations avec la grand-mère et les ressentis de l'enfant teintés de réalisme magique surtout lorsqu'il se blottit dans l'hêtre pourpre du jardin. Nous voyons déjà en filigrane les interrogations de l'enfant quant à devoir un jour choisir son genre. Cette partie est incroyable car nous sentons combien Kim de L'Horizon a retraduit ses impressions d'enfance avec une justesse et une innocence déconcertante. C'est touchant, beau, simple, j'ai vraiment beaucoup aimé cette partie que je trouve particulièrement réussie.

« Je t'écris ces lignes avec le hêtre sous les yeux, et le hêtre pourpre me revient, un de mes premiers souvenirs me revient, je suis allongæ dans l'herbe, tu te penches sur moi, et derrière toi, le ciel est en feuilles de hêtre pourpre ».

Une autre partie, entrelacée à la première, montre l'auteur.e, adulte, en train d'écrire le livre, construction littéraire marquée par une boulimie de connaissances et de recherches fébriles tant biologiques, botaniques, sociologiques, historiques sur cet hêtre rouge du jardin dans lequel il allait se cacher enfant.
De boulimie de sexe, signe à la fois de désespoir, de quête, d'extrême, de violence et de libération, ce déferlement animal de fluides, à la fois eau, sueur, sperme, sang peut déranger mais elle n'est que l'image de la soif de reconnaissance et de la tentative pour être tout simplement alors qu'il a la sensation d'avoir un corps si transparent, un corps sans limite et qui s'effrite au moindre contact.
De boulimie de recherches sur l'héritage familial à la fois pour le comprendre et s'en libérer.

Enfin, le livre est marqué par ses domaines de prédilection à savoir la sorcellerie et le féminisme (comme le montrent aussi ses nouvelles et ses pièces de théâtre parues avant ce premier roman). D'ailleurs le titre est en lien avec cet éco-féminisme puisque en allemand « Buch » signifie livre mais aussi « ventre » et « hêtre »…Ainsi Kim de L'Horizon relate-t-il toutes les biographies des multiples ancêtres féminines de la grand-mère depuis le Moyen-Âge, sur la base d'un long travail effectué par sa propre mer. Ce sont des passages étonnants, flous mais poétiques, où nous croisons des femmes ensorceleuses, guérisseuses, prostituées, fugueuses, des femmes violées, usurpées, au destin tragique. Je me suis demandé si ces éléments étaient authentiques ou inventés…Ces biographies pittoresques reflètent dans tous les cas l'écoféminisme de l'auteur et traduit la sororité dont il a hérité.


Alors que penser de ce livre hors norme ? Il a le mérite d'explorer de nombreuses problématiques contemporaines à savoir l'identité de genre et la sexualité consécutive, les traumatismes, la transmission intergénérationnelle, la santé mentale…
Il est à la fois déstabilisant, beau à tomber par fulgurances intermittentes (à l'image de la couverture du livre que je trouve si belle), flou à certains moments, gênant et agaçant à d'autres, créatif assurément, ensorcelant pour celles et ceux qui acceptent de se laisser porter. Surtout il permet d'approcher une réalité sociale, la non binarité, qui interpelle lorsque nous sommes loin d'elle : des personnes dont le genre déclaré est à la fois masculin et féminin, ou bien ni l'un ni l'autre, ou encore l'un ou l'autre en plus d'un autre genre…complexe comme ce texte foisonnant qui vaut le détour ne serait-ce que pour mieux comprendre, ne serait-ce que pour son inventivité, pour sa poésie et pour sortir de sa zone de confort.


« Ma langue maternelle est la parole. Ma langue paternelle est le silence. Et ma langue à moi, ce sont des langues et mes langues perlent, gouttent, estompent, ruissellent, enracinent, coulent ».

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De Kim de L'Horizon je n'en dirai pas plus.
«_ Moi aussi, je suis moi. Et c'est tout. Pour moi, c'est normal. Ce sont les autres qui en font toute une histoire. »
Du texte je vous dirai que c'est un mélange de jeux de mots, une sorte de langue des oiseaux (hêtre,être), d'écriture inclusive nous y voilà.
« Ô grand mot, DISSIMULER. Tu signifies tant de choses. Tu caches même des cimes en toi. Peux-tu me cacher moi aussi ? »
Il y est aussi question de la langue : allemand, suisse allemand, anglais et langue familiale.
« My mother tongue is talking. My father tongue is silence. And my own tongue are two tongues, and my tongues are dripping, dropping, blurring, streaming, rooting, flowing. »
Après Kim ressent le poids des études, du savoir qui l'éloignent de ses racines, de sa famille et son un moyen de gravir l'échelle sociale par le biais de l'écriture
« Écrire est une trahison, écrire sur vous une double trahison, écrire en bon allemand une trahison impardonnable.»
C'est parfois beau et poétique :
« Les bouleaux soupirent. Leur souffle est blanc. Leurs soupirs sont de brume. La brume déferle sur l'enfant comme dans un cauchemar. Elle se confond avec sa peau. La peau s'ouvre en deux. L'enfant déferle. »
Plusieurs parties dont de magnifiques pages sur le Hêtre, bien documentées.
« Ce qui est dit ne peut être dédit. L'univers réverbère à jamais l'écho de nos paroles. »
Nous allons découvrir l'incroyable généalogie de mer où la femme est guérisseuse, sage-femme, faiseuse d'ange, herboriste, verra son « pouvoir » disparaître et les hommes l'accuser de sorcellerie quand les médecins souhaiteront l'exclusivité .
Il y est aussi question d'un chamane, en toute fin d'histoire.
Un texte agrémenté des réflexions de Kim souvent très pertinentes. C'est sans pudeur et sexuellement explicite.
« Pour autant, je me rends compte que seul l'extraordinaire me fait rêver, que les vies ordinaires m'ennuient vite. »
Avec les dernières pages en anglais qui est sa langue privée. le travail de la traductrice est énorme et Rose Labourie a toute mon admiration pour un texte exigeant, détonnant, au style novateur.
Mer et grand-mer sans le « e » ont perdu de leur douceur et de leur féminité pour se masculiniser et se durcir (ce n'est que mon avis). En fait c'est une écriture qui demande un temps d'adaptation mais fantaisiste et agréable.
En fin de texte se trouvent une bibliographie et un lexique.
Merci aux éditions Julliard pour cette découverte.
#Hêtrepourpre #NetGalleyFrance
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Je n'ai jamais, lisez-moi bien, jamais lu quelque chose de semblable. Il est 5h du matin et je viens de passer une nuit entière en compagnie de Kim de l'Horizon. J'ai commencé son livre il y a douze jours, avalant les quatre premiers chapitres, comme on boit un thé; savourant tant les arômes que les effluves, soufflant dessus délicatement tout en craignant qu'il refroidisse, cherchant la température idéale pour profiter de tout ce qu'il a à offrir. Alors j'ai reposé le livre. Parce que j'avais compris une chose, je devais être à la disposition du livre. Non l'inverse. Ce n'était pas à lui de trouver une place dans mon emploi du temps. J'ai reposé le livre sur la table du salon, nous attendrions tout les deux d'être disponibles l'un pour l'autre. J'aurai pu le cacher au fond de ma bibliothèque, j'allais y revenir, je ne risquais pas de l'oublier. Ma vie ne manque pas de nuits grises, sommeil suspendu dans le silence des étoiles, et c'est cette nuit qu'il a choisi pour m'envelopper de sa beauté. le livre, das Buch, est terminé et moi je ne suis plus la même.

"Lorsque sa grand-mère commence à perdre la mémoire, Kim tente de combler les silences en invoquant ses souvenirs d'enfance, dans une remémoration d'une infinie et terrible tendresse. S'ouvre alors une tourbillonnante quête familiale sur les figures féminines qui constituent sa lignée maternelle : un arbre généalogique de sorcières entretenant un puissant lien avec la nature, de femmes subversives en recherche permanente de liberté, parmi lesquelles Kim se crée une place."
A travers la généalogie familiale que Kim de l'Horizon dépeint dans son livre, vous accompagnez l'enfant sur le chemin de la maturité. A travers les souvenirs et les portraits de femmes, de mer, qui ont jalonné sa vie, vous devenez autre et à la fois tout. A travers cette écriture flamboyante vous êtes universelle. le roman de Kim de l'Horizon n'est pas une quête, ni un abandon, ni une lutte, c'est une révolution littéraire. La langue choisie est d'une beauté sans égale, novatrice et libre. Je pourrai dire libératrice mais je n'en ai pas envie, parce que je n'ai pas envie d'être libérée, de quoi que ce soit, je suis juste libre. Et Kim de l'Horizon est libre. Libre de nous conter son histoire. D'aucuns diront que ce livre est un livre de transition, du parcours de il à elle, de Dominik Holzer à Kim de l'Horizon, de l'hétéronormé à la non binarité. Je pense que ce livre est un récit de transition oui, mais celle de tout enfant qui devient adulte, tout simplement. Et je pense aussi que Kim de l'Horizon est, depuis sa naissance, une personne éclairée, clairvoyante et d'une sagesse folle. Ce ne sont pas des fées qui se sont penchées sur son berceau, ce sont tous et toutes les philosophes que la terre compte depuis que le monde est monde.
Hêtre pourpre est un roman prodigieux, de la définition même du prodige: Évènement extraordinaire, de caractère magique ou surnaturel, un acte extraordinaire. Non pas de ce qu'il raconte, mais de comment. En refusant le genre, en usant du neutre, habituel dans la langue allemande, en jouant du dialecte suisse-allemand, Kim de l'Horizon n'invente pas une langue: il s'approprie les langues, les fait siennes et à partir de là, les mots parlent à tous et toutes, et nous le comprenons. Kim de l'Horizon n'a pas écrit un roman en langue inclusive, cela va au-delà. Hêtre pourpre est fait d'une langue nouvelle, intelligente et d'une beauté sans égale. La langue des mer est en nous depuis la nuit des temps, avant ce livre je ne le savais simplement pas. Je suis encore dans la maison de Grand-mer, je suis encore une boite, je suis encore un hêtre pourpre, je suis, encore et longtemps, après avoir fermé ce livre.
Vous êtes tour à tour fragile ou exalté, survolté ou révolté, vous êtes vulnérable mais jamais en danger… Vous êtes l'enfant. Ce n'est jamais dangereux d'être l'enfant. Et être l'enfant veut dire que tout est possible, que les contraintes sociétales ne vous ont pas encore muselé, que les rêves deviendront réalité, que l'imagination n'a aucune limite et que vous pouvez être chevalière ou prince, sorcière ou jardinier, bulbe d'orchidée ou buisson, homme ou femme, ou rien de tout cela, et être, simplement. Être l'enfant c'est cela, c'est être libre et je souhaite à la terre entière de s'en souvenir.
Blutbuch, Hêtre pourpre, n'est pas un roman facile à lire, ne vous y trompez pas. Il y a des passages d'une violence folle, des circonvolutions étourdissantes, des doutes déstabilisants, du sexe brut, des peurs réelles mais… La vie est ainsi faite alors pourquoi vouloir le cacher. Ouvrir un livre c'est prendre des risques mais je peux vous (r)assurer d'une chose c'est que la plume, et le bois, dont est fait ce roman est d'une délicatesse, d'une splendeur, d'une vitalité tel que vous ne vous exposez à aucun danger. Si ce n'est de retrouver l'enfant et de vous souvenir que nous sommes tous et toutes des funambules. Kim de l'Horizon aussi, mais qui n'a plus peur de tomber.
Puisqu'il s'agit ici de langue et de langage, je dois vous parler de Rose Labourie. C'est grâce à elle qu'il m'a été possible de lire ce roman, parce qu'elle a réalisé le travail incroyable de le traduire. J'ai 45 ans et en 45 ans, je n'ai jamais ressenti de regret, pour quoi que ce soit. Jusqu'à ce jour. J'ai regretté de n'avoir pas continué mes cours d'Allemand pour pouvoir lire Blutbuch en langue originelle. Il me faut donc saluer et remercier Rose Labourie pour le travail exceptionnel qu'elle a fourni sur cette traduction et sa note en début d'ouvrage accompagne à merveille le lectorat francophone dans l'aventure qu'il s'apprête à vivre.
Kim de l'Horizon a reçu le Prix Suisse du livre 2022 et également le Prix du livre Allemand 2022. Équivalents du prix Goncourt, ces deux instituions ont souligné à quel point « Avec une énorme énergie créative, le narrateur non binaire du roman « Livre de sang » cherche son propre langage. La forme romanesque est en perpétuel mouvement: chaque tentative de langage, de la scène plastique au mémoire sous forme d'essai, déploie une urgence et une force d'innovation littéraire qui ont provoqué et enthousiasmé le jury. »
Je souligne pour ma part que l'éditeur allemand de Kim de l'Horizon a du faire appel à un service de sécurité pour assurer sa protection après avoir reçu son prix. Un déferlement de haine et de menace de mort, non mais rendez-vous compte des menaces de MORT pour un livre! Une campagne de diffamation a été organisée pour noter au plus mal l'ouvrage sur les sites de ventes en ligne. Je vais donc user du langage le plus binaire possible afin que tout le monde comprenne bien le fond de ma pensée: allez bien vous faire cuir le uc!
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Au départ pensé comme une lettre que Kim de l'Horizon souhaitait écrire à sa grand-mère avant qu'elle ne perde complètement la mémoire, qui permettait de revenir et d'enquêter sur la généalogie familiale emplie de non dits, Hêtre pourpre est finalement une oeuvre composite, tant dans les genres, dans les langues, dans les voix, dans les registres, qui donne à voir, en cette esthétique du fragment trouvant son harmonie dans une multiplication qui fait sens, toute la complexité d'un être, plus globalement d'une famille, voire encore plus généralement du monde.

L'enquête familiale devient finalement quête de soi, tentative de compréhension de la façon dont l'on peut se forger, en dehors d'un seul genre, en dehors d'une seule langue, en dehors aussi, d'une certaine manière, d'une seule famille, une fois que l'on a compris quelles barrières du monde pouvaient empêcher de s'épanouir au centre de cet aspect composite qui fait toute la richesse, en somme, d'un être humain, afin de mieux les transgresser, les dépasser.

Je remercie les éditions Julliard et NetGalley pour la découverte, inattendue mais très intéressante, et de ce roman, et de Kim de l'Horizon. J'y ai trouvé quelque chose de percutant, et en même temps de sensible, que j'avais aussi apprécié dans Dysphoria Mundi de Paul B. Preciado.
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critiques presse (3)
LeMonde
26 décembre 2023
Une langue expressive, poétique, nourrie d’anglicismes et de néologismes sauvages [...], pour dire cette invention malicieuse de soi, qui peut se lire aussi comme une lettre à soi-même. Un ardent manifeste de sorcière.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
06 novembre 2023
Lire "Hêtre pourpre", c’est surtout lire un roman d’apprentissage (post-)moderne. Une réflexion sur la non-binarité, entre autres. Le témoignage d’une personne qui refuse d’être réduite à un genre, aussi. Mais par-dessus tout, une étude sur la fluidité et la quête d’une existence organique.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaTribuneDeGeneve
06 janvier 2023
Son premier roman a remporté le Prix suisse du livre et le Prix allemand du livre 2022. Annoncé pour parution à Paris en septembre 2023, «Blutbuch» atteste d’une autre manière d’envisager la littérature – et la vie.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Les mains de grand-mère étaient des bêtes. Elles étaient perpétuellement en mouvement. Leur agitation fébrile en faisait des souris, des souris sans poil, avec de la peau, de la peau rugueuse comme de l'asphalte craquelé. Leur forme en faisait des araignées, de petites créatures pleines de pattes au dos rond ; prisonnières de leur corne, elle cherchaient sans relâche à sortir de grand-mère, tâtonnant comme des aveugles qui viennent de perdre la vue. Elles attrapent des patates qu'elles épluchent avec avidité. Empoignent la petite cuillère à moka pour pelleter du sucre dans la tasse de café - oui, ce mouvement relève du coup de pelle. C'est un mouvement étranger à la petite cuillère, comme si grand-mère s'était directement inspirée de la récolte des patates pour pelleter des cristaux de sucre.
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Dans son dos, un bruit. L'enfant sursaute et se retourne. Un bocal de cerises tombe. Et grand-mer surgit à la porte. L'enfant au milieu de la flaque. Les cerises gargouillent encore. Elles gisent au sol. Comme les globes oculaires de petitǝs aveugles. Les yeux de grand-mer. Des charbons ardents. Elle remonte. L'enfant attend. On entend la porte d'entrée claquer. L'enfant remonte. Les cerises lui collent aux pieds. L'enfant laisse des traces de pas. Des empreintes de jus de petits globes oculaires. Les orchidées se cramponnent à leurs tuteurs en plastique. Elles tendent le cou. Avec des mines charmantes, blanches et innocentes. Mais elles voient tout. Le moindre faux pas. Il y aura des conséquences, petit. De lourdes conséquences. Des conséquences d'une imperceptible lourdeur.
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Je ne me souviens pas vraiment de moi enfant. Ou plutôt : je ne me souviens pas vraiment du corps de l'enfant. À l'époque dont je parle, je n'ai pas encore de corps. Bien plus que d'être un corps, je me souviens d'être une sensation, une tendresse sous les ventres menaçants, errant de-ci de là entre les jambes des adultes comme entre les troncs d'une d'une forêt vierge, une tendresse sur la rugosité, l'asphalte, la peau de grand-mer. Je n'existais pas ; il y avait moi en train de courir, mais il n'y avait pas de jambes ; il y avait le vent qu'on sent quand on court, mais pas de visage ni de nuque pour ce vent ; il y avait les cris de joie qu'on pousse quand on court, mais pas le ventre au creux duquel la joie commence à frémir. Le corps était pour les autres.
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Après cette première phase de documentation, je sais également que les hêtres étaient souvent considérés comme magiques, qu'il y avait des hêtres merveilleux et des hêtres maléfiques autour desquels ces sans-gênes de sorcières dansaient jusqu'au petit matin, je sais à présent qu'au cours du procès de Jeanne d'Arc en 1431, il a été prouvé de manière avérée, sans le moindre doute, selon toute vraisemblance, et même photographies à l'appui, qu'elle avait dansé autour d'un hêtre magique, qui plus est nue, oh indecent girl, et que c'est la raison pour laquelle elle a, à bon droit, été condamnée à être brûlée vive.
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Note de la traductrice

Antiroman des origines, quête d'une autre voie/x, manifeste linguistique et littéraire, le Hêtre pourpre est un feu de joie qui embrase tout sur son passage. Comment transposer de l'allemand au français cette matière incandescente, qui brûle les doigts et la langue ? Le premier roman de Kim de l'Horizon présente toutes les caractéristiques des textes généralement considérés comme « intraduisibles ». Son titre original, en forme de jeu de mots, en est le parfait exemple : Blutbuch signifie littéralement « livre de sang » et fait également écho à l'arbre au cœur du récit, le fagus purpurea qui porte en allemand le nom de Blutbuche - hêtre de sang. Mais peut-être cette prétendue intraduisibilité est-elle au contraire l'occasion de rendre visibles l'absurdité et la créativité de tout processus de traduction.
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Video de Kim de L'Horizon (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Kim de L'Horizon
19 déc. 2022 #SRFKulturSternstunden #SRFSternstunde #SRFKultur Kim de l’Horizon hat eine Sensation geschafft. Die Autor:in hat für den Roman «Blutbuch» den Deutschen sowie den Schweizer Buchpreis erhalten – für das Debüt einer non-binären Person, die sich weder als Mann noch als Frau identifiziert.
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