Le surréalisme veut rendre possible un nouveau rapport au réel par la réforme de la pensée. Contre le réalisme qui le copie et contre l’abstraction qui s’en éloigne, les surréalistes entendent à la fois libérer et dépasser le réel en explorant des données nouvelles comme le rêve, le hasard, l’inconscient, le désir, l’irrationnel, le mystère. Le tableau de Magritte La Magie noire1 (1934) s’inscrit dans ce programme : le spectacle érotique d’un corps de femme est placé dans une chambre étrangement ouverte sur la mer, tandis que le titre suggère un maléfice. La magie noire aurait le pouvoir de blesser par la pensée. Le tableau, moins inquiétant que le titre ne le laisse penser, présente un portrait de Georgette Magritte nue, dont le corps se dédouble par un effet de coloration : les jambes, les avant-bras et le ventre remplissent les conditions d’une représentation réaliste du corps, pendant que le torse, les bras, les seins, le cou et la tête, peints en bleu à partir de la ligne de l’horizon, se fondent dans le ciel. Par cette opération de métamorphose, Magritte convertit la pulsion érotique en élan mystique, où le corps désiré devient céleste.
"Magritte et le surréalisme", Clara Pacquet