Revue Labyrinthes5/5
4 notes
Labyrinthes, n°1
Résumé :
Revue de littérature polygenre, où s'exprime l'individualité d'auteurs indépendants, le travail sur l'écriture (fiction, extrait, nouvelles, work in progress, feuilleton...) ; revue d'idées, où s'exprime la singularité des voix, des regards, des expériences ; revue d'arts graphiques, parce que les images sont des mots, et les images des mots.
Michel n’aime pas son prénom. Déjà, à la naissance du garçon, en 1961, il n’avait plus guère le vent en poupe, sauf chez les parents d’un certain âge, qui avaient trop longtemps attendu l’avènement d’une certaine aisance matérielle pour se décider enfin à se reproduire dans les meilleures conditions matérielles possibles.
Se méfier tout de même des considérations sociologiques à l’emporte-pièce. À dose homéopathique, à raison de quelques maigres remarques savamment disséminées sur l’ensemble du texte, cela peut éventuellement amuser le lecteur, voire lui laisser à penser qu’il se trouve en présence d’un écrit ambitieux. À la rigueur, ces apartés pourraient même lui servir d’alibi si d’aventure il se faisait surprendre avec le livre entre les mains, sauf bien sûr si son caleçon côtoie déjà ses mollets. Ne perdons cependant jamais de vue l’objectif de départ : le rut (probablement solitaire), seul véritable aboutissement susceptible de satisfaire notre client. Alors les digressions plus ou moins digestes sur le prénom de notre héros, c’est non.
Aloysius Chabossot - De l’impossibilité d’écrire une nouvelle érotique
Cette pâtisserie a des allures de sapin de Noël, derrière la vitrine que mon souffle embue à chaque expiration. Je déchiffre péniblement le petit écriteau planté de travers devant lui. Re. Li. Gi. Eu. Se. Je comprends l’allusion ; un tel dessert ne peut qu’être une manifestation divine. Que ne donnerais-je pour y enfouir mes dents ? Je n’ai aucun référentiel pour concevoir le goût que cela peut avoir, aucun souvenir culinaire qui puisse offrir une amorce à mon imagination gustative. Je dois me contenter de cette étrange synesthésie qui fait saliver mon regard.
Bouffanges - Tectonique du désir
Ses cheveux tombaient, il en semait partout. Le voyant gêné, je lui ai proposé de lui raser la tête.
Perspective qui ne l’enchantait guère, mais il s’y est résolu. Quand les événements nous dépassent, feignons de les organiser… Alors on a fait ça, tranquillement, assis devant la glace, la serviette autour du cou, commençant aux ciseaux, finissant au rasoir avec de longs passages en quart de cercle, consciencieusement croisés. Ensuite, quand tout est lisse, un bon massage du cuir chevelu avec une lotion, et quatre bisous dans l’oreille. Nickel, pas de coupure. Mine de rien, ça a pris près d’une heure.
Laurent Guillo - Mille cinq cents signes
Je redescends sur terre en fourrant mes pensées dans ma poche interne qui n’a pas encore de nom. Je rigole d’une cousine qui dit « mon petto » pour parler de cette poche d’âme, c’est à cause d’in petto, entendu de ses parents et plus ou moins expliqué. Non, rien à voir avec le popotin. On va continuer à enquêter. Je ne dis rien. Mes secrets sont à moi. Car la famille, on l’aime, oui ; mais bon – un papa ingénieur inventeur fier de ses brevets et peinant à les vendre, si vous croyez que c’est facile.
Marie J. Berchoud - Géo Je T’aime, et autres leçons clandestines
La gondole en exil, ondulante et voluptueuse, glisse sur les flots sombres vernis d’écarlate par les derniers feux d’un soleil mourant, qui se reflètent aussi sur les azulejos des ponts à balustre dans un pâle scintillement cuivré. Devant l’étrave qui taille mollement le tissu moiré des eaux peu profondes, les flamants roses s’écartent avec nonchalance, hautains et indifférents ; quelques semaines à peine après le début de l’épidémie qui a presque exterminé les habitants de la ville, confiné les survivants – du moins ceux qui n’ont pas réussi à trouver un refuge illusoire dans les campagnes environnantes – et fait fuir les voyageurs, les animaux liminaires se sont enhardis et occupent chaque jour un peu plus effrontément l’espace urbain.
Patrice Salsa - El Burlador