Il y a des livres qui surprennent, qui prennent au dépourvu, qui vous giflent et vous réveillent en attaquant juste là où vous ne l'attendiez pas.
Chavirer m'a fait cet effet-là. Il était dans ma PAL depuis un bon bout de temps mais il a fallu une sorte de déclic pour me conduire à l'ouvrir. J'avais lu « banlieue », j'imaginais des barres de cités à la Kechiche. J'avais lu « viol » et « prostitution », je visualisais des tournantes dans des caves.
Dès les premières pages, j'ai compris que ce n'était pas ça du tout.
Chavirer est un roman qui parle de ma génération, de mon univers. Ce que c'est d'être ado dans les années 80-90, d'avoir des rêves de grandeur qu'on veut réaliser à tout prix, d'être dégoûtée par l'inertie de ses parents dont la vie n'est ni totalement réussie ni totalement ratée. Les murs qu'on se prend par naïveté, par innocence, par incompréhension, parce que personne ne se soucie vraiment de nous protéger. La vitesse à laquelle tout bascule, la culpabilité, la honte que rien ne viendra soigner avant des décennies. le piège des classes moyennes qui prônent réussite et individualisme alors même que ça les conduit à leur perte face aux plus puissants qu'eux. le piège de la famille dont on assimile et reproduit les codes sans même en avoir conscience.
A 13 ans, Cléo rêve de devenir danseuse. Lorsque la belle et chic Cathy la « repère » pour candidater à une bourse des jeunes talents, elle est persuadée d'avoir enfin sa chance et plonge dans hésiter. Enfin vue, entendue, écoutée, prise en compte. Charmée par le regard de celles et ceux qui lui disent qu'elle est exceptionnelle, qu'elle a du talent, de la maturité, un avenir.
Évidemment, la fondation Galatée n'existe pas vraiment. Au fond d'elle, Cléo le comprend le jour où un homme de 50 ans lui impose des attouchements lors d'un « déjeuner ». Mais elle est déjà piégée. Dans l'espoir de ranimer ce rêve perdu, elle accepte de recruter d'autres jeunes filles pour la « fondation ».
La suite du roman prend la forme d'un puzzle, des morceaux éparpillés à l'image de Cléo que quelques minutes ont brisée à jamais, qui aura 13 ans toute sa vie. On la voit grandir à travers les yeux de ses amis, ses amants et amantes. Après #metoo les paroles se libèrent, l'espoir d'une rédemption pointe, fragile. Mais n'est-il pas trop tard pour Cléo ?
Chavirer est un roman puissant, intime. La danse y tient une place importante, avec ses paillettes, ses douleurs, ses jeux d'apparence et ses hiérarchies. La danse comme métaphore du sacrifice d'une vie et d'une génération, sur l'autel du spectacle et du plaisir des autres.