Pour la remarquable collection "Ma nuit au musée",
Lola Lafon a accepté de se laisser enfermer dans la "Maison
Anne Frank" à Amsterdam.
Pour lire ce livre, il m'a fallu au préalable un temps de questionnement et de réflexion. Est-il possible de passer une nuit, juste une nuit dans cette Annexe, qui n'est pas un simple musée mais un des symboles de l'horreur nazie ? Est-il possible d'accepter d'en ressortir le lendemain matin libre, pour rentrer à son hôtel, en sachant que la petite Anne y a été confinée de longs mois et en est sortie avec sa famille pour terminer sa vie dans un camp de concentration.
Il me semble que le jour, cette Annexe appelée maintenant "
Maison Anne Frank" remplie sa fonction de musée qui accueille des visiteurs du monde entier.
Mais la nuit, ce lieu reprend t'il sa vie d'avant ?
Lola Lafon nous explique que c'est un musée du vide, de l'absence. Il n'y a plus rien dans ce lieu puisque l'Annexe a été pillée quand ses habitants ont été déportés.
C'est un lieu vide mais un vide bien particulier. Un vide rempli d'ombres, de souvenirs, et d'infimes traces laissées par la présence de ses derniers occupants. Il reste des images découpées par Anne et qu'elle accrochait sur le mur de sa chambre. Il reste une histoire que la petite Anne a écrite sur son cahier parce qu'elle voulait devenir écrivain. Il reste la trace de l'horreur nazie.
Lola Lafon a donc passé une nuit dans ce lieu. Elle s'est laissée envahir par le silence, elle a regardé cet espace vide, a écouté un éventuel écho de voix venues d'un autre temps, a ressenti des présences et a médité sur ces traces laissées dans cette maison mais aussi sur les siennes, celles de sa famille. En effet,
Lola Lafon est juive d'origine roumaine. Une grande partie de sa famille a été déportée.
Alors, fallait-il pousser cette fausse bibliothèque qui cachait l'entrée de l'Annexe pour inviter une écrivaine à y passer une nuit ?
Oui il le fallait. Grâce à cette expérience, l'écrivaine
Lola Lafon redonne à
Anne Frank toute sa dimension d'écrivaine que
L Histoire lui a volée.
Lola Lafon écrit p.75 "Si lire son journal "c'est entrer" avec elle dans l'Annexe le 6 juillet 1942, le Musée, lui, remonte le temps. Il prépare le visiteur à l'Annexe, par étapes : l'éclairage moderne des premières pièces se tamise, les peintures satinées cèdent la place aux fissures de murs lambrissés."
Lola Lafon fait exactement pareil avec son lecteur. Elle le prend par la main et l'emmène dans l'Annexe envahie par le froid et la solitude de la nuit. Elle le guide vers la vérité dépouillée de ses oripeaux cousus savamment pour faire de cette tragédie, une histoire universelle. Les lecteurs du Journal d'
Anne Frank ont été manipulés et son autrice spoliée. C'est avec toute sa sensibilité, son intelligence et sa foi en la littérature que
Lola Lafon redonne à l'écrivaine
Anne Frank l'intégralité de son journal, sans les parties censurées qui l'ont transformé en une oeuvre complaisante qui ne devait pas scandaliser. La censure a coupé les passages qui auraient pu offusquer certains pays, comme l'Allemagne ou bien les Etats-Unis. Nous étions après la guerre, Il fallait oublier... C'est ainsi qu'
Anne Frank est devenue cette icône mondialement connue. Mais ce n'est pas la véritable
Anne Frank.
Lola Lafon écrit p.128 : Comme elle est aimée, cette jeune fille juive qui n'est plus. La victime de la Shoah la plus célèbre au monde. La victime de la Shoah dont le journal est le plus lu au monde, même s'il en manque la fin.
Peut-être est-ce pour cela qu'elle est tant aimée. Aurait-elle survécu, nous savons ce qu'elle aurait raconté, ce qu'elle aurait écrit : Westerbork Auschwitz-Birkeneau Bergen-Belsen.
Peut-être n'aurions-nous pas eu autant envie de la lire.
La dernière entrée de son journal est piquée de points de suspension, comme autant de silences, ceux d'une enfant confinée, "d'une prisonnière dans une cage", rappelle
Cynthia Ozick.
Si tous les hommes sont bons, Auschwitz n'a pas existé.
Bruno Bettelheim, survivant de Dachau et de Buchenwald. (p.128)
Entrer dans la chambre d'Anne c'est un peu comme pénétrer la matrice de cette histoire. Lola lafon ne peut pas. Elle tourne autour, aperçoit les photos sur le mur de cette chambre vide. Mais ce vide est rempli de la présence d'Anne. Comment ne pas en être submergé. Comment ne pas être prise en flagrant délit de voyeurisme.
Le livre va se terminer, le lecteur attend. Il attend que
Lola Lafon se décide d'entrer dans cette chambre…
Les dernières pages se tournent et nous apportent avec elles, la clé de ce titre énigmatique et nous révèlent aussi toute la qualité littéraire de ce livre. Pas de voyeurisme, ni de misérabilisme rien de tout ça.
Lola Lafon écrit un livre d'une grande justesse, d'un parfait équilibre entre cette nuit passée au musée et les réflexions qui en découlent.
L'histoire d'
Anne Frank, c'est une histoire sans fin et
Lola Lafon nous en raconte une autre en parallèle. Celle d'un autre adolescent que
L Histoire a pris dans ses filets. Un autre génocide, celui perpétré par les Khmers rouges au Cambodge.
"
Quand tu écouteras cette chanson" est une prise de conscience. Si nous savions déjà que l'Histoire a volé la vie d'
Anne Frank, grâce à ce livre on apprend qu'elle est revenue après sa mort pour réécrire son journal.
Lola Lafon grâce à sa nuit passée dans la "Maison Anne Franck" redonne à
Anne Frank son statut d'écrivain.
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