Or la manifestation de l'idée, du Vrai par le phénomène, étant proprement le Beau fini, le Beau qui est l'objet de l'Art, il s'ensuit que l'homme a le sentiment, la perception du Beau avant d'avoir celle du Vrai pur, et qu'ainsi, sous ce rapport, l'Art précède la Science. Cependant, comme on le voit, l'Art implique essentiellement l'intelligence, puisqu'il implique la vision de l'idée, et ses progrès dépendent en partie du progrès de l'intelligence, puisqu'il doit s'élever d'autant plus que l'intuition de l'idée est plus nette et plus vive. Delà vient qu'aucun oeuvre d'art ne saurait être exécuté par des forces purement mécaniques. L'instrument de l'art doit être nécessairement intelligent.
Comme les sons, les couleurs sont pour elles mêmes indéterminées, elles ne représentent comme eux que des formes vagues, flottantes, insaisissables. Dans le langage parlé, les consonnes déterminent le son, elles en marquent pour ainsi dire les contours en je limitant, et ainsi limité il exprime l'idée nette et précise qu'il doit manifester ou rendre visible à l'esprit. Dans le langage des couleurs, le dessin aussi détermine l'image, il en marque les contours en la limitant, et ainsi limitée elle exprime la forme nette et précise qu'elle doit manifester à l'esprit; car les sens ne sont que des intermédiaires, que les conditions organiques de la perception
essentiellement spirituelle. Le dessin, dans le langage des couleurs, a donc les mêmes fonctions et la même importance que la consonne dans le langage parlé. Négatif comme elle, il est comme elle le moyen nécessaire par lequel s'opère la détermination extérieure de l'objet.
Aussi le dessin, expression de la limite, et fondement dès lors de tous les arts qui ont pour objet la manifestation de la forme dans ses rapports avec le sens de la vue, est-il commun à la sculpture et à la peinture. Et puisque la sculpture reproduit le type idéal, le Beau spirituel qui reluit, à travers l'enveloppe corporelle, non moins parfaitement que la peinture, on voit déjà que cette haute partie de l'Art, après laquelle tout est secondaire, dépend entièrement du dessin; d'où la dénomination d'arts du dessin, pour distinguer ceux qui, par quelque procédé que ce soit, représentent à l'œil les formes sensibles.
L'intelligence pure perçoit le Vrai, l'idée dans sa pure essence, indépendamment des conditions qui la spécifient dans un être effectif; elle perçoit, par exemple, la sphère idéale abstraitement séparée de toutes ses manifestations possibles au sein du monde phénoménal.
La manifestation du Beau infini ou de l'Être absolu est infinie comme lui, sans quoi, n'en étant pas la réelle manifestation, le Beau infini ou l'Être absolu, éternellement plongé dans des ténèbres impénétrables, serait éternellement invisible, inintelligible.