J'ai été séduite par l'originalité de ce court roman, ses personnages atypiques, son contexte inhabituel, et même par le caractère décousu de son intrigue dont le fil conducteur semble peu à peu s'effilocher.
Elle débute dans la RDA des années 70, plus précisément dans la petite imprimerie moribonde d'Udo Posbich, où la narratrice travaillait alors. Elle avait renoué avec le métier de typote qu'elle exerçait, ainsi qu'elle l'avoue elle-même, sans grande compétence, attendant le jour où elle serait une fois de plus virée, n'étant "… bonne qu'à s'affaisser toutes les cinq minutes sur le tabouret, à fumer des cigarettes et bouger (ses) orteils douloureux". Ses collègues l'avait surnommée Puppi, en référence à une célèbre éléphante pompette et manchote… Elle dresse d'elle-même un portrait sans concession, imagé et précis, qui donne d'emblée une idée du ton acéré, à la fois empreint de mélancolie et de dérision, qui va nous porter tout au long du récit.
"Sous un amas de cheveux gras noir de jais, j'ai deux oreilles remarquablement grandes qui, étant donné ma peau claire et bien irriguée, brillent quand elles sont rouges (…) d'une lueur bleuâtre, ou plutôt violette, et que j'arrive à remuer grâce à une sorte de gymnastique du cuir chevelu, ainsi que des petits yeux bruns tout ronds, très éloignés l'un de l'autre, dans un visage plat, arrondi, à l'expression enfantine, voire un peu niaise, d'où émerge tristement un long nez charnu".
L'équipe dont elle était entourée était exclusivement masculine, composée de Fritz, le "King of the Linotype", comme il se désignait lui-même, un quadragénaire sec et marqué par l'acné mais blond comme un ange, détestant les voitures et faire des projets ; de Willi, un vieux maigre et crasseux dont la carnation, tirant vers le gris, évoquait le saturnisme, typographe expérimenté qui bien souvent terminait son travail ; de Manfred enfin, imprimeur étrange et mutique, du moins avec ses semblables, car persuadé que les machines lui parlaient, il entretenait avec les presses d'interminables dialogues.
Elle évoque des épisodes de leur quotidien, scènes au départ ordinaires qui se colorent, par la singularité des personnages, d'une dimension cocasse ou saugrenue. Une banale histoire de flirt se transforme ainsi en une incroyable anecdote à propos de gémellité parasitaire, la contrariante réapparition d'une ancienne amie de la narratrice est l'occasion d'une digression évoquant les déboires que valurent par le passé à Manfred ses problèmes psychologiques…
Puis, un jour, Udo Posbich disparaît. L'imprimerie est alors fermée, la police y pose des scellés… leur patron se serait-il enfui à l'ouest ? Toujours est-il que nous voilà embarqué dans une autre histoire….
Vous vous demanderez comment vous en êtes arrivés là, à cette conclusion sans lien avec ce qui la précède, sans toutefois vous sentir complètement perdu, la voix de la narratrice vous servant de repère dans cette déambulation en coq-à-l'âne où elle vous emmène, égrenant des épisodes disparates dont le point commun consiste à parer les personnages -y compris les plus insignifiants- d'une aura particulière et inattendue en dévoilant, comme en passant, leurs improbables secrets.
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