Je me joins au concert de louanges de cet album, qui est effectivement un opus plaisant à lire malgré son nombre de pages. C'est rapide, j'ai dévoré l'ensemble sans jamais m'interrompre alors même que je voulais aller au lit. Mais je n'ai pu lâcher l'épopée rocambolesque de ce cow-boy un peu dérangé, un brin poète et quelque peu revanchard.
L'histoire est un parallèle entre la vie de
Cervantès (le Miguel) et
Cervantès (le Mike) qui reviens de l'Afghanistan porteur d'une prothèse et d'un sérieux syndrome post-traumatique. Mais à travers le mélange des deux vies, on sent une certaine ode aux fameux "Indomptés" qui refusent de se conforter à un système qui leur semble absurde au dernier degré. C'est une histoire qui prend surtout le temps de montrer les dérives d'un système, dérives revenues d'entre les morts dirait-on, puisque les conditions ont changés mais le fond de ces problématiques est le même : religion, censure, contrôle, privation, etc ... Une sorte de fable à moitié anarchiste, dans laquelle l'appel de la liberté est plus fort que tout le reste. Bien évidemment, les États-Unis restent l'idéal de liberté, porté haut et fort par ses habitants, mais aussi bien souvent mis à mal dans le même pays. D'ailleurs quelques points viendront appuyer l'idée d'entraide, de solidarité par opposition à un monde où l'individualisme prime au-delà de tout.
J'avais une petit appréhension avant me lecture, du fait que lors d'un attachement ainsi d'une histoire à une oeuvre de référence, c'est la citation pour le plaisir et la beauté de la citation, sans réellement apporter autre chose et parfois en n'arrivant pas à s'affranchir de l'oeuvre-mère. Ici, mes attentes négatives ont été balayés sans aucun souci par la maitrise de l'histoire par les auteurs. Certes, nous auront de la citation, et l'histoire ressemble tout de même fortement à celle de ce bon vieux Don Quichotte, mais en même temps l'apport de l'histoire de Miguel de
Cervantes, le mélange des réflexions de Don Quichotte avec celles d'une Amérique contemporaine, et même l'idée de retranscrire cette idée de continuité dans les époques entre les combats contre la censure et l'obscurantisme est franchement bien mené. Au-delà de l'aspect louable de l'intention, je suis surtout charmé par la réelle pertinence du propos. Ce n'est pas une histoire pour simplement se faire plaisir, dire qu'on aime Don Quichotte et le citer, c'est surtout une histoire où le message passe clairement et fait du bien. A travers les marginaux d'une Amérique souvent vue comme pays des ultra-libéraux capitaliste, on se rappelle que l'image d'Épinal (ou de la télé) que l'on a est souvent fausse. Combien d'anciens combattants rejetant un pays qui les a délaissés ? Combien d'oeuvres censurés au nom d'une morale ? Combien de personnes bridés par une religion flirtant toujours plus avec l'obscurantisme ? Combien de pauvres, de rejetés, d'immigrés en quête d'une vie un peu plus juste, un peu meilleure ?
Après tout cela, parler du dessin semblerait un peu surfait, et pourtant il est bien une composante à part entière de la BD. Entre les paysages, part importante de la culture américaine et ici encore une fois sublimés par le trait de crayon, mais aussi à travers les gueules et les représentations, nous sommes face à une BD qui a de la gueule. C'est propre, immersif et rajoutant une touche d'authenticité dans la narration visuelle, qui est impeccable même lors de scènes où l'action prédomine. Je crois bien que c'est ma première lecture de l'auteur, et je suis pratiquement certain que ce ne sera pas la dernière. Après une BD comme celle-ci, on a envie de creuser l'auteur.