Ecrites par Laza Lazarević vers 1880, les cinq nouvelles présentées dans ce petit recueil récemment publié aux Editions Gingko,
Au puits, nous font faire un voyage vers la Serbie de la seconde moitié du XIXème siècle, plus précisément dans le monde rural.
Né en 1851 et mort de la tuberculose à 39 ans, Laza Lazarević était médecin mais également écrivain. Son testament littéraire est finalement assez réduit (il n'a écrit que neuf nouvelles, dont cinq publiées ici), mais n'en a pas moins marqué l'histoire littéraire de son pays. Les nouvelles présentées ici se déroulent dans une Serbie qui venait d'être libérée de l'Empire ottoman (à l'occasion du Congrès de Berlin de 1878, ayant suivi la guerre russo-turque de 1877-1878, et marquant le retrait de la Sublime Porte de la majeure partie du continent européen).
L'intérêt de ces nouvelles est multiple : il est d'abord littéraire. L'auteur et narrateur omniscient est capable d'emmener en quelques phrases, souvent courtes, son lecteur dans un univers qui semble pourtant loin de lui. Dans la nouvelle A la bonne heure, il nous interpelle comme si nous étions des camarades, et cela donne beaucoup de vie au texte.
Le second intérêt est le témoignage qu'il apporte sur cette région d'Europe à la fin du 19ème siècle. En lisant la première nouvelle
Au puits, dans laquelle une jeune épouse refuse de se soumettre au type de vie communautaire qui s'impose à elle, on en apprend beaucoup plus sur ce qu'on appelle une zadrouga, l' « association de plusieurs familles ayant un ascendant commun. Ses membres sont placés sous les ordres de l'aîné mâle de l'association qui commande et administre ». L'insertion de mots non traduits dans le texte et le renvoi aux notes de bas de pages aident le lecteur à se faire très vite une idée de la vie de l'époque : l'importance des coutumes, le fonctionnement patriarcal, la primauté de la communauté, le culte de l'honneur, l'alcool (le rakia n'est jamais loin !), l'importance de la religion.
Le troisième intérêt est la description subtile de ce monde en transition. On sent que l'auteur (dont j'ai appris qu'il était un représentant du réalisme serbe), aime les petites gens, leurs traditions et les oppose à des figures intellectuelles tourmentées, comme le maître d'école dans la nouvelle que je viens de mentionner. Il montre que la société est en train de changer. Cela se fait parfois dans le bon sens : notre « fameux » pope, sur son lit de mort, s'adresse à sa fille et la communauté d'une manière très progressiste :
Ou parfois dans une direction qui n'est pas la bonne : c'est le cas dans la dernière nouvelle, le peuple t'en récompensera, où un fils estropié rentre de la guerre et finira comme mendiant. Les solidarités de la communauté semblent être déjà bien loin…
Voici donc un petit livre très riche qu'il vous faut découvrir.
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