Un roman gothique précurseur du fantastique, envoutant et charmant. Les thèmes du fantastique, ses créatures et ses ingrédients permettent à cette novella (environ 130 pages de récit) d'ouvrir le bal : cimetières, nuit de pleine lune, château, tableau reprentant le portrait d'un membre d'une lignée... et évènements mystérieux. C'est le guide de la SFFF (
Karine Gobled) qui m'a donné envie de le lire, et même si je ne suis pas une grande lectrice d' imaginaire c'est un roman accessible, car c'est un classique, canon du genre. Il est souvent analysé comme transgressif, surtout pour son époque (le dix neuvième siècle, quelques 26 ans avant Dracula), du fait de la romance lesbienne explicite, à la psychologie complexe
sans que ce soit ma préoccupation, je n'ai rien lu d'érotique .
Le roman est narré par Laura, la fille de dix neuf ans habitant un château isolé en Styrie (Autriche). Il s'ouvre sur une écriture pittoresque décrivant ce château, et le style de cet auteur irlandais coule, il se lit tout seul. Ce roman de vampire met en scène un "mal mystérieux", à la frontière du naturel et du surnaturel, du physique et du psychique. La science est à la fois convoquée (mention est faite de Buffon et un personnage secondaire est médecin) et défiée, quand au
droit, à l'enquête, il prendra la forme d'une vengeance vers la fin.
La contradiction, la dualité, voilà la clef du roman. Tantôt superstition dont on rit, faute d'être prise au sérieux, tantôt angoisse transcendant toute certitude et tout dogmatisme, tantôt frayeur, fascination et passion, amour tendre et fou, les contradictions sont au coeur même de la psyché des personnages. La trame est classique, bien menée, assez simple, mais on ne peut reprocher à l'un des fondateurs d'un genre d'être trop classique.
Les personnages ont tous un rôle à jouer, même secondaires, même l'apparition du mendiant qui rend
Carmilla folle de rage. La psychologie est maîtrisée, et la romance lesbienne correspond à la fois au contexte de l'époque (Laura soupçonne très brièvement
Carmilla d'être un jeune homme déguisé, mais ce soupçon dure à peine un paragraphe) et à une chose "naturelle" (dans le sens où le fait qu'il s'agisse de deux femmes n'est pas ce qui étonne le plus, du moins, dans l'écriture la narratrice ne fait pas tout un foin du fait que ce soit une femme. Elle s'attarde davantage sur la mystérieuse origine de son amante ou sur sa santé fragile). Sentiments contradictoires, et croyances contradictoires (l'Eglise ou la nature ?), et
Carmilla n'est pas une horrible créature, elle est élégante, tendre et touchante. Sauf quand elle trouve dissonants les chants chrétiens de deuil, et fait par ailleurs preuve d'un grand mépris envers les pauvres paysans, elle même étant une noble femme d'un très haut rang.
Ce livre, c'est un canon. le fait de me laisser emporter dans ces "arts diaboliques" comme dit un militaire, père en deuil (sa fille fut emportée par cette mystérieuse maladie), d'avoir joué le jeu, de l'avoir lu d'une traite, fait peut être que j'en ressorte happée, il est vrai. Ne lisant pas ce type de romans, je m'émerveille peut être là où un lecteur aguerri se dira : "bon, encore une histoire de vampire". Donc mon avis est à prendre avec des pincettes, il n'émane pas d'une connaisseuse (alors que mes commentaires en "littérature blanches" sont plus fiables, à titre de comparaison). L'édition que j'ai lue en bibli compte une analyse à la fin, que je n'ai pas lue pour ne pas produire de critique biaisée, mais je la lirai dès que j'en aurai l'occasion. Rien que pour me replonger dans cette oeuvre que j'ai adorée.