Terre océane

LE SONGE ET LE SANG
À Pierre Emmanuel.

Je voudrais vivre à l'envers
Parmi les herbes, les haies
Semblable à ce que j'étais
Avant de naître à la terre
Je ne verrais ni les faons
Ni les insectes qui font
Des fêtes dans les feuillages
Je serais comme l'enfant
Qui respire du dedans
L'homme de chair et de sang
Et la femme à son image.

Je voudrais vivre à l'envers
Dans un ciel de sauvegarde
Je dirais : voici la terre !
Je crierais : voici les arbres !
Et les oiseaux coutumiers
Par couples, jusqu'au couchant
Arracheraient à l'été
Des lambeaux de lumière, et
Chaque jour à volonté
Serait simple comme avant.
…
p.43

LA CINQUIÈME SAISON

C'est l'été
C'est l'hiver
C'est la saison de l'âme
Une femme s'allonge et saigne à mon côté
C'est le printemps sur son visage
C'est l'automne
Qui la retourne dans les feux de la feuillée
Elle chante l'amour
Elle s'ouvre à la chair
Elle voudrait mourir de m'aimer elle piège
Une bête boulue qui broute dans les blés.

Femme du premier homme et du premier matin
Tu rêves toute nue sous tes voiles de lin
Et tu te roules dans l'herbe de la rabine
Ton visage, tes yeux
Tes épaules, tes hanches
Et ta peau qui ressemble à la pulpe des branches
Déplient en mille anneaux mes démons légitimes.

Je te donne à la joie tournante de la terre
Ton amour est silence et musique à la fois
Tu souris dans les pleurs et tu règnes déjà
Sous l'arbre où le serpent siffle comme naguère
Dormeuse, tu te meurs sur l'herbe à ta manière
Pour renaître au soleil des mondes qui ont froid.

p.48-49

La mer est royauté, l'océan est empire
Leurs tumultes s'ensourcent aux mêmes profondeurs
Elle tisse dans les limbes une clameur
Il incendie ses feux dans un éclat de rire.

La mer est liberté au-dedans d'elle-même
Sa colère s'apaise en des cieux infinis
Le créé se soumet à sa loi souveraine
L'incréé, l'océan s'en fait une folie.

La mer et l'océan font trembler la matière
Des étoiles surgissent du ventre de la terre
Le chaos du Commencement nous est rendu

Seigneur, reconnaissez à nos âmes futiles
D'avoir peu visité vos jardins suspendus
Mais plané sur les eaux de vos ainsi soit-il.

CHANT ET DÉCHANT
À Xavier Grall.

Dans la forêt un oiseau chante
Ô le bonheur de son déchant !

Dans la rivière de l'enfance
Douce et paisible à coutumance
Le soleil s'amuse du vent.

Dans les landes paillées d'aurore
Je me souviens d'un vieil enfant
Qui parlait aux arbres, aux buissons
Quand les ajoncs s'étoilaient d'or.

Qui sommes-nous pour danser nus
Entre les plous et les paluds ?

La forêt de la souvenance
Pleure ses beaux enfants perdus
Ils avaient fleurs à leurs chapeaux
Ces beaux enfants perdus d'enfance !

p.205

Il y a du nouveau
Chez les hommes de mer
Les casiers sont comptés
Qui prennent des étoiles
Les femmes qui se peignent
Au creux des déferlantes
Laissent aller leurs cheveux
Opulents et soyeux
Comme traîne de reine
Tandis que les morganes
Moitié fées, moitié femmes
Aux grottes océanes
Pour danser font du feu.