J'ai déniché ce petit bijou, lors d'un week-end ensoleillé, entre deux baignades au cap à Montfarville, dans une brocante sur le port de Barfleur.
"Naufragés sous Barfleur" est un ouvrage placé sous l'égide de la S.C.S.N.*, l'ancêtre de la S.N.S.M.
Il a été écrit, par l'abbé Leblond, curé de Gatteville durant les années 60, à la mémoire de Louis Crestey et d'Auguste Sauvé qui périrent en mer lors d'une mission de sauvetage, le 20 décembre 1893 et à celle de tous les sauveteurs de France morts en service.
L'ouvrage est préfacé par le Vice Amiral d'Harcourt qui fût président de la Société Nationale du Sauvetage en Mer.
Le livre s'ouvre sur une petite leçon d'Histoire.
Du drakkar redouté au canot espéré, tant de siècles ont passé.
Et tout semble indiquer que le vieux Barfleur dort aujourd'hui sous les eaux.
Son premier curé fut Romphaire.
Un naufrage jeta sur la côte ce jeune fils d'une illustre famille du NorthUmberland.
Il devint le 6ème évêque de Coutances ...
Barfleur arma à la course dès la guerre de cent ans ...
Au XVIIIème siècle, les jeunes matelots de Barfleur se rendaient à Saint-Vaast, à l'école d'hydrographie du sieur Jean Denis ...
Mais "Naufragés sous Barfleur" est surtout le livre qui a inspiré "canotiers de l'impossible" de Michel Giard.
C'est un livre passionnant, qui fait le récit des tragédies maritimes et humaines survenues sur cette côte granitique et parfois difficile, hérissée de récifs meurtriers.
C'est à Barfleur que fut installée, en 1865, la première station de la S.C.S.N.*
L'Othello, robuste canot à voile, y fit ses premières armes en secourant un trois-mâts américain venu se fracasser sur les roches de l'entrée du port.
Coïncidence ou signe du destin, ce trois mâts avait aussi pour nom l'Othello ...
L'abbé Leblond, qui connaît son "petit monde", émaille son livre de magnifiques descriptions de paysages et de mers en furie.
Il nous parle, aussi, avec justesse des marins de cette terre du Nord-Cotentin.
L'auteur se révèle être un véritable conteur.
Paru en 1960, ce livre n'est pas un banal récit des exploits accomplis par de tranquilles hommes de mer, c'est un véritable "Ex-voto".
Comme ces maquettes, pendues dans le coeur de tous les marins, c'est un rappel, un souvenir auquel l'auteur de ce livre est étroitement mêlé :
celui des hommes disparus qui vivaient de cette mer dont les colères, trop souvent, ont emporté des leurs.
"Naufragés sous Barfleur" est un livre de mer exceptionnel.
*S.C.S.N. Société Centrale de Sauvetage des Naufragés
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Sortir de son lit par une nuit glacée, l'hiver, quand la neige tombe à gros flocons et qu'il gèle à pierre fendre, n'est pas chose agréable. Prendre à minuit les avirons par un ouragan de "Nordé" pour tosser la lame qui vous traverse jusqu'à la moelle des os, n'est pas fait pour agrémenter les choses.
Rien de tout cela ne manquait en cette infernale nuit du 18 au 19 janvier 1881, lorsque "l'Othello" prit la mer par un temps à ne pas mettre un chien sur le pont, fût-il le plus voleur des chiens de toutes les cambuses des bords.
Il avait fallu qu'un trois-mâts anglais de 925 tonneaux eût la malencontreuse idée de serrer trop la côte par ce gros coup de vent de N-E.
Le "Bolivia" avait, en effet, quitté Rouen sur lest et naviguait à destination de l'Amérique. Surpris au large de Barfleur par un gros coup de tabac d'amont, en plein coeur d'une tourmente de neige, aveuglé, désemparé, il était venu au sec sous le moulard de Réville.
Il était 11 heures du soir quand la quille du trois-mâts vint heurter brutalent les hauts-fonds du rivage normand. Il ne fallut pas moins d'une heure à la Douane pour parvenir à Barfleur et donner l'alerte...
(extrait de "Souque, garçons" - nouvelle contenue dans "Naufrages sous Barfleur et phare de Gatteville" publiée aux éditions "Notre Dame - Coutances" en 1970
Un ciel lourd pèse sur le port. Un vent violent de "Nordé" étire les nuages épais filant à une allure vertigineuse. Le sifflement aigu du vent dans les mâtures et dans les cheminées des maisons basses lance ses notes rageuses.
Les gammes chromatiques se succèdent, stridentes et lugubres. Les paquets de mer se heurtent sur les jetées dans un éclaboussement d'écume que le vent étale majestueusement comme un grand voile de mariée à la sortie d'une église.
La croix de pierre, plantée à l'extrémité de la digue, disparaît, à certains moments, sous les embruns montant à l'assaut du Christ impassible. L'eau bouillonnante redescend en cascades laiteuses le long des pierres délavées du quai.
Sur le plan d'eau, les barques montent et descendent, tirant de toutes leurs forces sur le "corps mort", par leur capelage de deux demi-clés traditionnelles sur la tête d'étrave.
Les bateaux piquent dans la houle et se redressent avec la majesté des lutteurs racés.
Au vacarme du vent brutal se mêle le grincement caractéristique des "manoeuvres" au travail sur les réas.
Barfleur étale à la tempête d'amont. La vieille église à tour carrée, solide et trapue semble assise, comme un vieux patron chevronné à l'arrière de sa barque, au corps à corps avec la mer.
Le quai "Chardon" trempé d'embruns est à peu près désert. Ceux qui sont obligés d'y passer marchent courbés en deux, titubant comme des gens ivres....
(extrait de l'avant-propos inséré en début du volume paru aux éditions "Notre Dame- Coutances" en 1970)
Il y a des gens qui vivent parce que d'autres consentent à mourir.