Avec son style simple, direct, presque désuet, il est certain qu'
Ira Levin n'impressionne pas de prime abord. À lire les premiers mots, les premières lignes, on est frappé par la banalité des personnages et de l'histoire, par la neutralité du ton qui évacue toute mise en relief. Et puis, et puis… Et puis on tourne les pages, mine de rien. On les tourne pourtant, ces pages sans intérêt. Et puis on réalise que la banalité des personnages nous les rend proches, que celle de l'histoire renforce sa crédibilité, et que le style simple et direct sert en fait l'immersion d'une façon redoutablement (ou plutôt diablement !) efficace. Avec sa seule technique littéraire,
Ira Levin aurait pu se contenter de développer une intrigue à peine moins banale que ce qu'en laisse préjuger la situation initiale et réussir néanmoins à embarquer nombre de lecteurs exigeants. Tel n'est évidemment pas le cas, et c'est bien dans une intrigue fantastique à peine vraisemblable que nous emmène l'auteur de Un bébé pour Rosemary. Alors on comprend que la crédibilité, l'immersion, l'identification à des personnages plus vrais que nature, tout cela sert par ailleurs et surtout à créer le conditionnement pour faire passer ce qui va arriver par la suite et rendre la magie opérante.
Ce qui va arriver par la suite, je n'en parlerai pas. La quatrième de couverture en donne un avant-goût amplement suffisant. Ce qu'elle n'indique pas, en revanche, c'est la jouissance qui accompagnera certainement les heureux lecteurs et lectrices sensibles à la magie qu'a su faire l'auteur. Car – je ne tournerai pas plus autour du pot –
Ira Levin est un maître de l'immersion et du sentiment d'oppression.
Ira Levin sait prendre son temps. La première partie du roman entière peut être considérée comme la mise en place de l'intrigue et des relations entre les personnages. Cela pourrait paraître long, mais ça ne l'est pas du tout, car l'auteur sait distiller le mystère. Avec une simplicité confondante qui cache une technique parfaitement maitrisée (mais ne serait-ce plutôt de l'art ?), il sème les graines du Mal – j'ai fourché ! – les graines du malaise qui va s'emparer peu à peu de l'innocente Rosemary. Pour tout dire, c'est tellement bon qu'on a envie que cette lente montée dure indéfiniment (oui, une image évidente se forme à mon esprit, qui n'est pas tout à fait idiote). le sentiment d'oppression monte à son apogée lors de la seconde partie. La progression n'est pas linéaire : elle suit les nombreuses oscillations de jugement qui traversent l'esprit tourmenté de Rosemary (ainsi que nos nerfs). L'auteur exploite ainsi avec une justesse incroyable la paranoïa qui s'installe lentement mais sûrement.
Après quelque dix années, c'est avec une certaine appréhension que j'ai relu ce best-seller de l'auteur. Peur de ne plus retrouver (toutes) la magie, la puissance ressenties la première fois. Finalement tout va bien ! Certes mes souvenirs m'ont privé de la découverte et du choc qui l'a accompagnée. Pour autant, toutes les saillies, les montées en tension m'ont à nouveau scotché, ce qui est remarquable compte tenu du fait que mon esprit était davantage détaché, mon attention étant focalisée sur la technique littéraire.
Monsieur Levin, juste merci !