Elsa L. nous livre en ce début 2020 son 3ème acte :
Johnny a tué mon padre. (j'aime bien le rythme du titre avec padre dedans)
Petite fiche de lecture perso, en 3 axes. Rapide, hein.
Sur la culture Française je surferai
Elsa L. met en perspective la perte brutale de son père et la mort de Johnny. A l'idée ( !) qu'on s'en fait de loin, l'approche semble casse pipe, délicate. Mon père ce héros contre Johnny le zéro ? Naaaan.
Trop simple.
Toujours est il que l'auteur surfe ici sur un lien qui nous unit, tous :
Johnny Hallyday. (putain ce nom quand même, ça ne s'invente pas. Ou si, trop, justement)
Dès le début du livre, Johnny est là. Mort, et donc d'autant plus présent, en pleine phase de canonisation.
Johnny nous lie, Johnny nous agace, Johnny nous hymne.
De Paris à Bordeaux, de la rue Lepic à la gare St Jean, de la Tour Eiffel à la banlieue anonyme d'une ville moyenne, Johnny est partout.
Comme en vrai. Comme dans le vie, en France, de notre génération, et celle d'avant.
« C'était si bon d'être aussi nombreux à vivre la même chose au même moment »
L'idée fonctionne. Et on suit le cheminement de la narratrice au pas, de l'incompréhension teintée d'un sentiment de supériorité à la contagion populaire. Johnny nous hante.
Adolescente je me définirai
La narratrice, justement.
1ère personne juvénile et en état de choc, elle installe une distance, une pudeur, parfois une froideur, avec le lecteur mais surtout avec les autres personnages.
Ce qui peut surprendre s'explique toujours.
Maman est un peu empêtrée dans ses clichés ? Tonton est un gentil bouffon aux idées courtes ? La marraine ne viendra pas relever le niveau ? Ni personne ?
Normal. Pas de panique. La narratrice est jeune, le deuil est tout frais.
D'où un besoin de mise à distance, de protection, de pudeur instantanée et instinctive. Pudeur qui va un peu s'évaporer au fil des pages, et des moments de solitude, voulus ou non. Elle avance, et vite, et bien.
On note parfois des phrases à la
Romain Gary(day) ou Ajar (Smet) « les femmes sont toutes plus ou moins des pisseuses ou des chieuses, il n'y a qu'à regarder la queue des WC publics (…). Chez les hommes la voie est toujours libre ». Simple, efficace : vrai. Comme une jeune te balance ta vérité sans ménagement.
Dans ta gueule, avec plaisir, de rien.
L'exorcisme je pratiquerai
Et oui. Car il ne s'agit pas seulement ici de bien rire sur le hasard des dates de disparition d'un tel par rapport à tel autre. Ben non, banane. Sinon ça tient pas.
Alors quoi ? Alors on sort le mégalomégadrame (comme malicieusement et faussement annoncé) sur l'histoire personnelle douloureuse de l'auteur ? Et non, t'y es toujours pas.
Non. Car il s'agit d'aller plus loin. Ou de simplement bien lire le titre (la couverture est très réussie à ce sujet).
Elsa L. décrit une naissance. Une naissance qui prend des allures de tabou, de tabou de tribu.
Un truc que chacun (et chacune, donc) a vécu, vit, vivra. Un truc que Johnny place au centre de sa construction personnelle et artistique : le père. Et comment le tuer.
La narratrice nous raconte progressivement, au fur et à mesure des cérémonies et des hommages à l'idole des plus très jeunes en parallèle avec les préparatifs des obsèques du padre, comment ce double acte, ces actes conjugués, vont tuer le père.
C'est là que c'est très fort.
Au début, on écoute du Pink Floyd vaguement rebelle, à la fin, on érige la discipline et la rigueur comme modèle d'éducation. Que s'est il passé, alors entre temps ?
Un apprentissage, pas si sage, un récit initiatique, un vrai.
Louise L. exorcise le père et l'emprise folle que celui-ci impose, quoiqu'il arrive, peu importe qui il est.
Personne ne juge. Personne n'est juge.
Et la boucle est bouclée lorsque Louise ou Elsa L. manie l'ironie sacrée devant le jury silencieux.
Tuer le père. Ok, mais pas sans mon Johnny. Qui l'eut cru ?
Pas Bernard L..
Et c'est bien pour cela que toute la musique qu'elle aime est bonne. Et contagieuse.
A la fin du livre, je tapais du pied. Sur la tête du padre.