L'homme est médiateur entre la chair et l'esprit. Non pas que la chair et l'esprit existent séparément avant que l'homme ait commencé à agir ni que sa nature soit un effet de leur mélange. Il faut dire au contraire que l'homme se fait lui-même chair ou esprit par une option de sa liberté. Dès que la liberté s'abandonne ou se renonce, le moi retombe sous la loi de l'inertie : il n'est plus que matière. Et cette matière fait de lui un être de chair qui ne connaît d'autre état que la sensation et la passion.
Tout le problème des relations entre les hommes consiste à savoir passer d'un état de sympathie ou d'antipathie naturelles qui règne entre les caractères, à cet état de médiation mutuelle qui permet à chacun d'eux de réaliser par l'intermédiaire d'un autre, d'un indifférent, d'un ami ou d'un ennemi, sa propre vocation spirituelle.
Il est admirable qu'il n'y ait rien de plus en nous qu'une pure virtualité, avant que nous l'ayons incarnée dans le monde visible et que cette incarnation soit en même temps le témoignage par lequel nous rompons notre solitude et entrons en contact avec tous les hommes. Ainsi il semble qu'il faille exister pour autrui afin de pouvoir exister pour soi-même.
Le monde qui nous entoure est un miroir où notre nature se reflète. Il dessine à sa surface l'intérêt même que nous prenons aux choses. Il nous montre des reliefs et des creux qui figurent l'image de nos désirs, la grandeur et les limites de nos différentes puissances.
Il n’y a pas d’autre mal que celui que les hommes se font les uns aux autres. Ce sont les rapports que nous avons avec les autres hommes qui nous rendent heureux ou malheureux. Mais si nous savions que les biens que nous possédons produisent nécessairement la jalousie et la haine, nous accepterions cette jalousie et cette haine sans qu’elles fassent de tache sur notre bonheur…