donc je ne suis qu'un animal, commence à dire avec coquetterie un porc épic, dont l'histoire, puisque c'est lui qui parle , va nous prouver le contraire. Il est en réalité le double d'un homme, il a été choisi pour aider un petit initié depuis son enfance. Être le double d'un homme, c'est en avoir les pouvoirs occultes. Et le porc épic, dont nous n'apprendrons le nom qu'à la fin du conte, lit la Bible comme son maitre, et le traduit à sa sauce : Jésus comme une sorte « d'errant charismatique, revenu du Royaume des morts comme quelqu'un qui se réveillait d'une petite sieste de rien du tout ». Il parle, avec l'humour unique de Mabanckou, comme
Descartes : « si je pensais, c'est que j'existais », comme
Rabelais, en le détournant, « le rire n'est pas le propre de l'homme », et comme
Montaigne « j'étais lui, il était moi ». Il cite
La Fontaine et son rat des villes et son rat des champs.
Nous rions bien sûr de cette fable pétillante d'intelligence, qui se moque des ethnologues, supposés être dans leur pays « des sans abri, ou venant poser des antennes paraboliques afin de surveiller les gens ». Et pourtant, rien de plus près de la culture africaine que ces Mémoires. En Afrique Noire, certains sorciers font le bien, soignent, ont des pouvoirs pour le faire, sauvent des enfants, donnent de l'argent aux paralytiques, aux aveugles et aux mendiants (ironie déguisée de Mabanckou quant à nos valeurs capitalo- altruistes ?) et puis il y en a d'autres qui utilisent leurs pouvoirs en s'associant à un animal, pour faire le mal. Mabanckou le congolais nous dévoile tout une culture africaine où les fantômes existent, où la mort n'est jamais naturelle, où donc il faut toujours chercher l'assassin et venger le mort, où les sorciers nuisibles se regroupent la nuit en assemblée, et doivent « donner » un de leur proches, soeur ou fille, neveu ou frère pour qu'il soit « mangé » c'est-à-dire que son âme disparaisse. Les jumeaux sont aussi investis d'un pouvoir particulier, peut être par leur caractère double.
Donc le porc épic qui interprète la Bible, et donc n'est pas qu'un animal, juge les cousins germains des singes, les hommes, qui préfèrent marcher sur deux pattes juste pour montrer aux animaux qu'ils leur sont supérieurs. Il est d'ailleurs lié à un homme, doit lui obéir et accomplir ses mauvais coups parce qu'il est un double nuisible, l'exécuteur des basses oeuvres d'un sorcier lui même nuisible, devenu nuisible malgré lui. Pourquoi un sorcier tue t il par l'intermédiaire de son double animal? pour des raisons concrètes, la jalousie, la colère, l'envie, l'humiliation, le manque de respect, jamais pour le plaisir du mal dit Mabanckou. Et pourtant, bien que ne pouvant rien faire, le porc épic juge l'assassinat de trop fomenté par son maitre, et ne partage plus ses convictions.
Car il a eu le temps de se cultiver, cet animal, il nous livre sa vision hilarante de la littérature mondiale :
Garcia Marquez,
Cervantes,
Edgar Allan Poe,
Faulkner,
Hemingway, Sepulveda, avec chacun leurs rapports avec des animaux.
C'est drôle, ce livre de mémoires écrites par un porc épic, par les noms donnés au sorcier « Tombé -Essouba, (qui signifie en lingala : qu'il n'y ait plus de doute) au maitre du petit porc épic, Kibandit (en lingala : bandit et qui se comprend aussi en français), par ses sarcasmes vis-à-vis des éléphants, pas les seuls à avoir une bonne mémoire, ni à avoir des cimetières, et puis ils sont affublés de trompes inconfortables, les pauvres.
Le premier chapitre commence par un « donc » en minuscule, et il n'y a aucune autre ponctuation que la virgule dans tout le roman. Avec humour, dans l'annexe, Mabanckou critique cette obstination de l'auteur (!) à n'employer que la virgule comme seul signe de ponctuation, ce qui en a retardé l'édition !
Le porc épic, ayant survécu à la mort de son maitre, alors qu'il aurait dû le suivre dans la mort, songe à rencontrer une bonne femelle, pour faire des enfants, partager le plaisir « et plus si affinités ». Meetic chez les animaux !
Cette fable n'est compréhensible qu'à la condition de ne pas s'arrêter à la représentation matérielle des choses. Car en Afrique Noire le monde occulte, bon ou mauvais, existe au même titre que le réel visible. Et, entre temps, Mabanckou nous offre une pure jubilation sur la différence des cultures et la suprématie très contestable des hommes sur les animaux.