Je n'ai jamais vraiment joué à la poupée petite fille -en revanche, j'adorais les Barbies, mais ça, c'est une autre histoire-, je ne me sentais pas vraiment à l'aise avec elles. J'avais un peu peur de leurs visages figés et de leurs regards fixes. Vides.
Cette crainte, ce malaise qui a sans doute été nourrie plus souvent qu'à son tour par les épisodes de "Fais-moi peur" et certains volumes de la collection "Chair de Poule" (on a les références qu'on a!) m'est restée et ce n'est pas "
La Fabrique de Poupées" qui va marquer une quelconque réconciliation, bien que l'intrigue ne se déroule pas majoritairement au coeur de ladite fabrique...
Quel roman que cette "Fabrique de Poupées"! Une inquiétante gourmandise, un délice singulier dans la plus pure tradition des romans gothiques victoriens. L'ouvrage, romanesque comme j'aime que le soit les histoires quand j'ai besoin d'elles, se dévore à toute vitesse et en tous lieux, même si je suis persuadée qu'il est encore plus délectable à la nuit tombée et à la seule lueur (vacillante) d'une lampe de chevet. Les puristes envisageront la lumière du chandelier, moi ma maladresse m'empêche de m'y risquer.
Londres, 1850.
C'est au coeur de cette métropole capable d'autant de beauté que de noirceur et qui prépare fiévreusement son exposition universelle que nous allons rencontrer les personnages du drame qui va se jouer sous nos yeux et le pavé londonien.
Il y a d'abord
Rose et Iris. Ces deux jumelles ont une opulente chevelure rousse et la beauté des fleurs dont elles portent les noms. Sauf qu'Iris a la clavicule déformée depuis sa naissance et que
Rose -qui des deux était sans conteste la plus jolie- a été défigurée par la variole. Elles sont issues d'une famille modeste qui se voudrait bourgeoise, rigide et puritaine, comme l'étaient toutes les familles comme il faut de l'ère victorienne. Les deux jeunes filles, en attendant de se trouver un époux, travaillent et s'étiolent dans une fabrique de poupées.
Rose, amère (pleine d'épines) coud les robes des créatures de porcelaine tandis qu'Iris, dont le rêve est de devenir peintre, leur dessine un visage.
Il y a ensuite
Louis, peintre préraphaélite qui cherche le modèle parfait pour l'oeuvre qu'il veut soumettre au salon, la toile qui fera de lui un grand parmi les grands.
Il y a Albie -mon personnage préféré- l'orphelin qui bat le pavé londonien, gouailleur et chapardeur, un coeur en or, brisé souvent, toujours battant. Gamin poignant tellement attaché à sa grande soeur qui l'oblige à se cacher sous le lit de leur misérable logis quand elle travaille.
Enfin et pas des moindres, voici Silas, ténébreux taxidermiste, collectionneur solitaire, aussi malheureux qu'inquiétant. C'est sans doute l'un des personnages les mieux écrits du roman.
Dans un ballet oscillant entre la grâce et les ténèbres, une chorégraphie délicate et frémissante sur une musique que pourrait composer Danny Elfman, tous ces personnages -danseurs de papiers- vont se croiser, se rencontrer pour le meilleur et surtout pour le pire dans une intrigue vertigineuse et haletante où les poupées ne sont pas toujours celles qu'on croit.
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La Fabrique de Poupées" est un roman véritablement passionnant, romantico-gothique à souhait. S'il fait sien tous les codes du roman victorien, en en épousant également les combats et les batailles telle que la dénonciation de l'injustice, des inégalités et de la violence qui règnent en maîtresses dans cette Angleterre-là , il leur apporte aussi un nouveau souffle, un rien de modernité, beaucoup de poésie et une réflexion pertinente sur l'art et la création, sur l'inspiration et tous les Pygmalion.
Il y aurait une bonne série à en tirer, de toute cette inquiétante étrangeté, de cette esthétique toute victorienne, de ses ombres et de ses lumières.
La mienne vacille et mon ombre tremble sur le mur. Je frissonne: il y a du bruit sous mon lit.