Piaffant à l'idée de ce livre qui a été aimé par tant de lecteurs, je n'y suis pas rentrée, à ma grande déception. Il y a pourtant des pages magnifiques sur le pouvoir extraordinaire de la musique, des réflexions percutantes sur la vie en général, une plongée terrifiante dans le maelstrom cinglé de la guerre.
Mais c'est le personnage principal que j'ai trouvé complètement diaphane, désincarné total. Créer un personnage sans nom, sans paroles, sans écriture, dés le départ mal aimé, mal léché, inéduqué, et lui donner du corps, c'était une gageure. Un personnage-chimère, un patchwork à la Frankenstein. Ca m'a fait plus penser à une hypothèse rousseauiste, un mixte du Rémi-
sans-famille d'
Hector Malot et de Victor de l'Aveyron. Mais comment s'attacher à un personnage qui a le profil d' un postulat ou d une métaphore ? Et comment croire que Victor de l'Aveyron passe nickel dans un salon bourgeois, avec une délicatesse exquise ?
Ce qui m'a le plus gênée, c'est sa passivité. Il reste muré dans un sarcophage d'inexpressivité (apparente ?) et d'inertie, assez oppressant, et qui crée surtout un déséquilibre amoureux entre Emma et lui. le récit est saturé des interminables monologues d'Emma, parlés ou écrits, elle fait les questions et les réponses, ce qui sclérose « Félix » dans son rôle de faire-valoir (oui, « Félix », car Emma la Pygmalion a baptisé son valet d'un prénom évocateur de ses trips musicaux, tant qu'à faire). Emma (la bien-nommée ) le bovaryse à fond, on dirait qu'il la distrait de son oisiveté indolente plutôt qu'ils ne vivent une union amoureuse partagée. Assez cruel de faire des jeux littéraires érotiques avec un analphabète, non ? Les scènes de sexe sont tendance barbantes, on dirait une version encanaillée de la Comtesse de Ségur.
Du côté de l'écriture, l'auteur assure, c'est certain. Son style est porté par les classiques, tous ceux avant lui qui ont aimé la langue et en ont fait un art. Mais même s'il le maîtrise, ce style fait un petit effet paternaliste (« il s'en tient les côtes, le bougre »).
Un roman n'a pas besoin d'être crédible pour être envoutant, mais il faut que ses personnages le soient. Et là je ne trouve pas, hormis le génial (et si attachant pour le coup) lutteur de foire néanderthalien qui prend
le garçon sous sa protection, et les habitants du hameau où il est recueilli au départ.
Je suis peut-être injuste avec ce livre mais je dirais que l'auteur a lui-même été injuste envers «
le garçon », en lui donnant si peu de jus, de moyens d'expression, de vie quoi. Juste après, j'ai lu «
Gabacho »d'
Aura Xilonen ;ah là, par contre, c'est tout le contraire, du jus, le lecteur s'en prend plein la poire, plein à craquer de vie, ça réveille sec !