Xiang Mao, lettré renommé dans la Chine du 17ème siècle, fait l'éloge de sa concubine adorée décédée à 27 ans.
Après avoir arraché la Belle Dong Xiaowan à sa vie de courtisane, il n'aura de cesse, avec elle, ainsi qu'avec sa femme et sa mère, de courir le pays, de Nankin à Suzhou, et à bien d'autres villes du pays, ainsi que sur le fleuve Yang-Tsé, souvent dans l'urgence de la fuite. Nous sommes dans les années 1640, les guerriers Mandchous mènent des raids destructeurs pour mettre un terme au pouvoir de la dynastie Ming, et installer leur propre dynastie des Qing.
La Belle, ainsi que le narrateur l'appelle, est une femme exceptionnelle, très éduquée, qu'il pare de toutes les qualités. Outre sa beauté, elle est humble, dévouée, travailleuse incessante, protectrice, patiente, réfléchie...Il y a un grand respect mutuel avec l'épouse et la mère de Xiang. Elle est aussi une experte en cuisine, et élève véritablement la maîtrise des saveurs culinaires en art...
Leur relation durera neuf ans. Elle supportera avec patience les départs de Xiang, qui étudie pour devenir fonctionnaire. On ne trouvera pas ici de confidences d'alcôve. Le récit évoque les occupations et divertissements du couple : les promenades, la calligraphie, la poésie, le thé, les parfums...Les plaisirs sont sensuels et intellectuels, mais peu à peu la vie devient plus aride et dépouillée, au fil de la montée des troubles dans le pays, qui pousse à l'exode.
Le récit est parfois un peu difficile à suivre en raison des noms de villes citées incessamment, et qui ont la particularité d'avoir plusieurs noms chinois différents ! Et puis la progression, qui au début est linéaire, chronologique, se fait ensuite dans le désordre, avec des retours en arrière, comme par mimétisme avec le chaos ambiant dans le pays.
Heureusement un très court récit signé de l'ami de Xiang, Zhang Mingbi, vient en quelque sorte résumer ce que nous venons de lire, ce qui nous permet de remettre les choses dans l'ordre.
Ce texte vaut surtout pour sa qualité d'écriture (il y a de très beaux passages), et sa dimension d'histoire d'amour quasi-mythique, qui lui ont valu de traverser les siècles en Chine.
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Ce livre est un vibrant éloge funèbre rédigé par un lettré chinois du XVIIes qui ne supporte pas la mort de sa concubine. Il précise dès la deuxième page son projet d'écriture : « j'ai composé une élégie de plusieurs milliers de mots pour la pleurer, mais les contraintes prosodiques m'empêchent de donner libre cours à mes sentiments. Ainsi vais-je tenter, simplement, de la dépeindre à grand traits. »
Et c'est ce qu'il fait sur près de 80 pages. Il la met en avant, montre sa ténacité, son courage, mais aussi son raffinement et son dévouement. Pour la valoriser, il n'hésite pas à se dévaloriser, se donnant le mauvais rôle, ce qui semble la norme dans ce type de récit.
Il présente en autobiographie neuf ans de son quotidien avec la Belle, la description tournant essentiellement autour de leurs occupations mettant en avant leur art de vivre. En filigrane de ce récit se dessine une Chine du XVIIes, pas encore unifiée, et connaissant des troubles aux changements de dynasties, ce qui semble être le contexte de ces 9 ans de vie commune.
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Ouvrage instructif sur la vie en Chine au 17e siècle et en particulier au moment de l'invasion mandchou, le tout conté par le lettré Mao Xiang pour ce recit autobiographique.
En revanche je m'attendais à un récit plus romantique, il est très intéressant de comprendre la construction du sentiment amoureux en Chine (très différent par exemple au Japon à la même période).
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Ce fut en un de ces moments que la Belle me dit : "Voilà quatre années révolues que je suis entrée chez vous. J'ai eu tout loisir de voir combien vous êtes généreux et loyal, jamais mesquin ou méchant même pour des vétilles. Je suis la seule à vous avoir compris et excusé chaque fois qu'on vous a reproché un de vos actes. J'éprouve encore plus de respect pour vos qualités de coeur et d'esprit que d'attirance pour votre séduction physique. Les dieux et les démons devraient se tenir à une distance respectueuse. Si le ciel savait, il vous viendrait en aide. Mais la vie humaine, en ce monde, est soumise à de bien cruelles vicissitudes et à moins d'être de métal ou de pierre, il est difficile de traverser ces épreuves sans périr. Si nous avons un jour le bonheur de rentrer vivants chez nous, nous devrions renoncer à ce que nous possédons pour vivre libres et détachés de tout. N'oubliez pas, alors, ce que je vous dis à présent."
Quand vinrent les épreuves et la maladie, elle marcha à travers les écueils comme sur une route lisse, elle consomma l’amertume comme si ce fût du miel.
Des cassolettes xuande brûlaient toute la nuit et donnaient une cendre aux teintes d'or fondu ou de jade couleur miel. Si l'on prelevait un pouce de braise incandescente et que l'on faisait brûler dessus de l'encens posé sur une couche de gravier, il dégageait son parfum jusqu'à minuit sans se carboniser ou fondre et se cristallisait en diffusant une épaisse fumée ; la chambre était remplie d'une senteur à la fois chaude et fraîche comme celle des fleurs de prunier ou de poires musquées, que nous savourions en silence, les narines dilatées.
J'ai composé une élégie de plusieurs milliers de mots pour la pleurer, mais les contraintes prosodiques m’empêchaient de donner libre cours à mes sentiments. Aussi vais-je tenter, simplement, de donner libre cours à mes sentiments.
La belle conservait dans son appartement neuf pieds d'orchidées de printemps et des orchidées du Fujian, ainsi du printemps à l'automne, l'air y était aussi embaumé que dans la région des lacs qui les produit. Elle en parfumait l'eau dont elle baignait ses mains.