Tête-bêche, complices et réfractaires, deux mini-recueils de poésie motorisée aux facettes coupantes.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/20/note-de-lecture-
mettre-la-gomme-guillaume-dorville-suf-marenda/
Sous le titre «
Mettre la gomme », portant le numéro 21 de la belle petite collection One Shot des éditions Vanloo, publié en juillet 2022, on trouve en réalité, imprimés tête-bêche, deux mini-recueils de poèmes, l'un de Guillaume Dorvillé, à qui l'on devait déjà un « Chrome » chez le même éditeur), l'autre de
Suf Marenda (qui nous avait notamment déjà offert «
Jours de manif à L.A. », également chez le même éditeur).
Nés de la même commande, par la Maison de la Poésie de Rennes, à l'occasion de la résidence de création du poète
Samuel Rochery, ces deux «
Mettre la gomme » ne sont toutefois pas de vrais jumeaux : chacun des deux auteurs y appréhende à sa façon spécifique l'imaginaire motorisé, voire motard (en un sens évidemment très large, voire absorbant), dont les facettes retenues ne sont pas nécessairement les mêmes dans un sens et dans l'autre de l'ouvrage (après que
Suf Marenda, qui avait choisi initialement le skateboard comme sport-témoin demandé par
Samuel Rochery, ait obliqué en direction de son compère d'un soir annulé).
Sylvain Coher et son «
Carénage », comme
Antonin Varenne et son «
Dernier tour lancé », nous rappellent en effet, s'il était nécessaire, que derrière le couple moto / motard ou moto / motarde – pour distinguer cette partie-là du réseau motorisé qui nous hante éventuellement, de vastes espaces sémantiques parfois insoupçonnables s'étendent gaillardement dans nos imaginaires, de pratiquante ou de profane, espaces où tout ne ressort pas totalement du sport ni de la mécanique, loin s'en faut. Si la possibilité de l'accident, du
crash potentiellement fatal, en compétition ou sur la route « ordinaire », hante les moindres interstices laissés vacants par les deux poètes (avec chez l'un d'eux en tout cas, le sexe omniprésent, avec un art consommé du double entendre – le «
Crash » de
J.G. Ballard n'est pas si loin), on trouvera ici aussi bien quelques autoroutes jeudi d'automne dignes de
Hubert-Félix Thiéfaine, des poncifs sexués centenaires qu'il s'agit enfin de tordre discrètement, ou au minimum de dé-binariser, des twins poussifs et des cylindres à trous qui puent (comme dirait Édouard Bracame), des calandres furieusement chromées (en signe de quoi au juste, là est l'une des questions), des voyous toyotistes, des barres de Twix en forme de Raider, des café racers et des commando café makers, des publicités Quick détournées en temps utile par les Nuls, des injecteurs paradoxaux, des calendriers Pirelli et tout ce qu'ils peuvent symboliser, des burns et des roues arrière, une Ford Fiesta, des rappels produit, un blouson d'aviateur en peau de mouton retourné, et même les principaux satellites de Saturne.
Bien sûr, la moto qui domine les textes n'est pas seule, et vaut aussi métonymie, en maintes occasions, de la voiture et de la vitesse en général – celle du capitalisme encore un peu triomphant, hélas, nous dirait
Hartmut Rosa, parmi d'autres (on peut aussi songer à un certain texte dans La moitié du fourbi n°9, intitulé « Esthétique politique du défouraillement »). Dans ce métal qui hurle sous les accélérations, il faut peut-être saisir toute une dimension d'étrange repentir du bitume, qui naviguerait entre le
Sébastien Ménard de «
Soleil gasoil » et celui de «
Quelque chose que je rends à la terre », ou comme une inquiétude et un songe qui rejoindraient ceux du créateur de bandes dessinées Bar2. Et toute cette magie induite en seulement deux fois quarante petites pages.
Lien :
https://charybde2.wordpress...