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Philippe Martin (II) (Autre)
EAN : 9782311101799
319 pages
La Librairie Vuibert (13/03/2018)
4.5/5   1 notes
Résumé :
Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle reposerait-il sur un mythe ? Et si l'homme enterré là n'était pas l'apôtre Jacques, mort en Terre sainte, mais l'hérétique Priscillien ? Charlemagne est-il vraiment venu défendre le tombeau contre l'envahisseur musulman ? Les guides touristiques et les premiers papiers d'identité seraient-ils un héritage des pèlerins du Moyen Âge ?

Tout au long des siècles, les chrétiens ont marché vers Saint-Jacques-de-Co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ne vous fiez pas à son titre tape-à-l'oeil : cet ouvrage, loin de tout ésotérisme de bazar, s'attache plutôt à passer en revue les mythes et autres légendes urbaines du Camino. Non pas pour les démonter ou les ridiculiser, mais plutôt pour les resituer dans leur contexte.

Avec une belle profondeur historico-encyclopédique, le professeur Philippe Martin (Université de Lyon 2) essaie de nous immerger dans le contexte des principales époques qui ont contribué à la légende du Chemin de Saint-Jacques.

Cet essai, qui se lit d'une traite tant il est addictif, commence par passer en revue l'extrême diversité des pèlerins qui veulent rejoindre l'extrême nord-ouest de l'Espagne :

« Les marcheurs ne savent pas se définir, mais se devinent différents... Si la communauté existe vue de l'extérieur, vue de l'intérieur, est-elle homogène ? L'enquêteur est immédiatement marqué par la diversité des figures qu'il rencontre. Un couple de Coréens qui, avant un mariage arrangé par leurs familles, se découvrent sous le regard d'un chaperon qui a tant de mal à marcher. Des convertis de fraîche date qui croisent ces catholiques en quête de paix. Un quinquagénaire soufflant sur son vélo, transpirant avec force, pour remercier le saint de l'avoir guéri d'un cancer. Une horde de jeunes Espagnols repus de joie d'avoir réussi leurs examens. Ce Néerlandais longiligne qui avance de plus de 60 kilomètres par jour. Ces Brésiliens qui enchantent le Camino de leurs légendes et de leurs rires. Et tant d'autres. »

Puis, débute l'esquisse du portait de Saint-Jacques, un exercice de funambulisme historique tant les sources sont nombreuses, souvent contradictoires et étalées dans le temps. Je vous laisse la découvrir par vous-mêmes et en faire votre propre opinion. Philippe Martin nous éclaire toutefois sur l'esprit de cette enquête aux sources d'un vrai phénomène de société : en 2017, ce ne sont pas moins de 278'000 pèlerins qui ont accompli a minima les 100 derniers kilomètres de la « voie des étoiles ».

« Face à cette avalanche de doutes, l'historien doit avoir deux réflexes. le premier est de considérer que nombre de documents originaux ont disparu et que leurs copies doivent être analysées avec la plus grande prudence. le second est de ne pas commettre d'anachronisme. C'en serait un que de faire de nos auteurs des falsificateurs. Cette notion n'existe pas dans leur esprit : selon eux, pour qu'un légendaire survive, il doit s'actualiser, s'enrichir. le passé n'est pas une donnée figée, c'est une construction faite pour satisfaire les contemporains qui écoutent les histoires. Si nous utilisions un vocabulaire commercial, nous pourrions assurer qu'un pèlerinage - Compostelle ou un autre - est un « produit sacré ». À ce titre, on doit assurer sa promotion » !

La marche à pied est l'un des nombreux mythes à s'écrouler sous les coups de boutoir de la recherche historiographique de P. Martin : contrairement à ce qu'on croit aujourd'hui, le chemin préféré des pèlerins pour arriver au but était... la mer ! Les jaquets d'Europe centrale et du nord débarquaient à La Corogne (Galice) d'où il ne leur restait plus que 70 petits kilomètres à parcourir. Quant aux Italiens, Autrichiens et Croates, ils passaient volontiers par le détroit de Gibraltar pour débarquer en territoire lusophone.

Autre légende véhiculée depuis la « redécouverte » du Camino dans le dernier tiers du XXe siècle : la capillarité exercée par les principales et autoproclamées « Voies de Saint-Jacques » sur le flot des peregrinos: voies d'Arles au sud, du Puy pour les Suisses et les Lyonnais, de Vézelay pour les Allemands et les Scandinaves, de Tours pour les Parisiens et les Belges... Contrairement aux marcheurs du XXIe siècle, leurs prédécesseurs entre le Moyen-Âge et le Temps des Lumières prenaient ce qui nous semble aujourd'hui de grandes libertés avec les soi-disant itinéraires « officiels » : très souvent ils faisaient des détours pour visiter le tombeau d'un ou plusieurs saints dont ils voulaient vénérer les reliques. Si Saint-Jacques était la finem ultimum (le but à atteindre), cela n'empêchait nullement « la concurrence sainte » de mériter un crochet.

Idem pour la phrase souvent lue et entendue : « les pèlerins d'autrefois devaient revenir à pied de Galice. Ils parcouraient donc deux fois le chemin. » Selon les récits d'archive épluchés par l'universitaire lyonnais, il n'était pas rare que celui qui était venu plus ou moins à pied (« la triche » avec des tronçons franchis en calèche était courante !) rentrât chez lui en bateau depuis la Galice ou le Portugal !

Alors me direz-vous, pourquoi assistons-nous aujourd'hui à une telle simplification historique ? Eh bien! nous dit l'auteur, « Les instances européennes ont tout intérêt à
ce que le Camino existe : il sert à unifier des nations bien différentes ; il est la trace d'un passé d'échanges et de liens relativisant les guerres qui ont ravagé le continent. Même la figure de Jacques est transformée. Lui qui, pendant des siècles, a attiré des chevaliers participant à la croisade contre les musulmans, est désormais un pauvre qui chemine humblement à la rencontre d'autrui. le Chemin crée un sentiment d'identité, une identité vécue avec ces milliers de marcheurs, de cyclistes ou de cavaliers qui, tous les ans, lui donnent vie. »
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Nous nions la liberté des anciens pèlerins, leur faculté de se perdre en détours, de partir à l’aventure, de musarder et d’avancer à leur rythme ; nous refusons leur capacité à prendre leurs propres routes ; nous oublions leurs récits si différents les uns des autres pour nous réfugier entre les pages du récit unique d’Aimery Picaud, qui nous offre le confort d’une géographie linéaire.
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Quand un pays entre dans l’Union, de nouvelles cartes apparaissent. Aux quatre routes d’Aimery Picaud s’est substitué un écheveau complexe qui part de Pologne ou de Grèce. En actualisant sans cesse le Camino, l’Europe se crée des racines, un moule par lequel tous les peuples seraient passés, une expérience médiévale commune préfigurant l’actuelle construction politique.
Le phénomène, depuis plus de vingt ans, s’autogénère.
Jacques a été si populaire par le passé qu’il est facile de trouver, dans la moindre région du continent, une chapelle, une statue ou le souvenir d’une confrérie.
La tentation est grande de tracer des lignes entre ces points épars. Et voilà le Camino, vous assure-t-on, qui se concrétise ! Si ce n’est que nous sommes victimes d’une reconstruction, voire d’une invention historiographique. Nous confondons le culte de l’apôtre et la dévotion pèlerine ; nous mêlons dans un passé idéalisé et intemporel des éléments qui n’ont jamais existé ensemble et se sont étalés sur plus d’un millénaire...
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Disons-le nettement, Le Chemin, cette route unique qui aurait drainé les foules européennes vers l’apôtre, n’a jamais existé. Si, aujourd’hui, se développe une mystique du chemin, la circulation réelle est plus complexe. Il y a des étapes obligatoires, imposées par la topographie, comme le col de Roncevaux pour traverser les Pyrénées, ou par les capacités d’accueil, à l’image de l’hôpital d’Aubrac.
Entre ces points, chacun tente de trouver la route qui lui convient : parce qu’elle est facile, parce qu’il y trouvera un gîte, parce qu’il souhaite voir une relique, parce qu’il espère trouver un petit travail capable de nourrir son pécule...
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On ne le dira jamais assez : méfions-nous des a priori ! Aujourd’hui, penser au Camino, c’est penser à la marche à pied. L’image est tellement ancrée dans nos imaginaires que nul ne penserait à la remettre en cause. Et pourtant ! Pendant des siècles, la plus sûre route pour Compostelle est la mer. Depuis l’Antiquité, les côtes espagnoles sont fréquentées.
À partir du XIe siècle, avec l’affirmation de royaumes chrétiens dans le Nord de l’Espagne, les ports cantabriques prennent une importance majeure dans les échanges européens : le trafic maritime favorise celui des pèlerins dont le transport devient une activité à part entière. Anglais, Suisses, Français, Flamands ou Allemands se rendent donc en Galice en débarquant si possible à La Corogne ; de là, reste environ 70 kilomètres en terrain assez aisé.
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La joie de la rencontre va-t-elle survivre à la cohabitation ? Aux ronflements la nuit, à ce qui est interprété selon les cultures comme un manque de savoir-vivre, à la brutalité de certains propos, aux rythmes de marche différents ? Va-t-on partager la nourriture transportée ?
Va-t-on attendre celui qui boite ? Vivre avec l’autre est une des principales questions. Chacun développe sa stratégie : un tel dédaigne celui qui a un gros appareil photographique, car il le prend pour un touriste ; un autre fuit celui qui arbore une croix, le jugeant trop catholique ; un autre encore déguerpit devant le porteur d’un piolet, parce qu’il estime que cet esprit sportif n’est pas celui du chemin... En fait, chacun cherche son « semblable », cet inconnu qui saura avoir la même vision du Camino.
Inconsciemment se forge un adage : « Dis-moi comment tu marches, je te dirai si tu es un des miens. » Car le marcheur espère toujours à composer un groupe qui va l’épauler. Tout se construit en fonction de l’opposition pèlerin-touriste, qui cache le dualisme vrai-faux. Chacun se range bien sûr du côté du « véritable pèlerin », mais ceux qu’il méprise n’en pensent pas moins de leur côté. Ainsi se forment des exclusions, alors même que tout concourt à les rapprocher face à ceux qui ne marchent pas.
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