1885 est l'année où
Victor Hugo, de son propre aveu « désemplit le monde ». C'est aussi cette année qui vit naître deux oeuvres maîtresses de notre littérature, écrites du reste par deux amis : « Germinal » d'
Emile Zola, et « Bel-Ami » de Guy de
Maupassant.
Maupassant est connu pour être un des maîtres de la nouvelle, au niveau mondial : en nombre autant qu'en qualité, il nous a laissé des chefs-d'oeuvre qui font de lui l'égal d'
Anton Tchékhov, de
Henri James, ou de
Luigi Pirandello (pour ne citer que ces trois noms, parmi tant d'autres). Cette réussite dans ce genre particulier a quelque peu fait de l'ombre à son oeuvre de romancier. Bien moins importante en nombre (six romans seulement) elle est toutefois digne d'intérêt, au moins pour les deux premiers romans, incontournables pour l'amateur de romans du XIXème siècle : « Une vie » (1883) et « Bel-Ami » (1885).
Bel-Ami est l'histoire d'une ascension. Non pas une ascension d'alpinisme, côté nord, avec un piolet et beaucoup de courage, non, une ascension côté femmes, avec hypocrisie, séduction, compromissions et lâcheté. Georges Duroy n'est pas un héros, ni même un anti-héros, c'est un personnage qui par son arrivisme cynique ne peut entraîner aucune sympathie. Il arrive que le personnage principal d'un roman ne soit pas pourvu de toutes les qualités physiques et morales, mais souvent il y a un côté de sa personnalité qui peut toucher : Vautrin, avec toute sa noirceur, son pessimisme et son calcul, se laisse parfois prendre en flagrant délit de tendresse pour ses poulains Eugène de Rastignac et Lucien de Rubempré. Tiens, en voilà deux qui ont dû servir de modèle à Bel-Ami. Lucien, au moins, montre qu'il est un être humain par ses aventures amoureuses. Georges Duroy ne fait tout qu'en façade, pour arriver à ses fins, y compris en amour. Don Juan avait un but : la conquête. Pour Bel-Ami, la conquête est un moyen, une marche pour son ascension sociale. L'attachement particulier qu'il semble avoir pour Mme de Marelle est un leurre, c'est peut-être même l'excuse qu'il se donne en se disant « c'est l'exception qui confirme la règle ». Cela dit, il n'est pas le seul personnage négatif : nous sommes dans une société où tout est dans le paraître (ce n'est pas comme aujourd'hui… si ?) et les femmes comme les hommes entrent dans un système où l'apparence tient lieu de morale, et s'il y a des « hommes à femmes », il y a également des « femmes à hommes », et chez des plus vertueuses : ce n'est pas nouveau, on a connu ça chez
Balzac, et avant lui chez les libertins du XVIIIème (
Choderlos de Laclos,
Rétif de la Bretonne, entre autres), mais
Maupassant dresse un tableau extrêmement cynique et désabusé d'une certaine société bourgeoise (one ne voit pas le petit bout du petit doigt du petit pied du petit peuple), mais des gens en salon ou des journalistes (deux milieux que
Maupassant connaît bien).
Il y a du
Maupassant dans Bel-Ami, (pas tout quand même), mais je ne pense pas qu'il faille y voir une tentative d'autobiographie (même prise en dérision). Il a voulu faire le portrait d'un arriviste par les femmes, à travers un roman réaliste (plus que naturaliste) où il y a fort peu de poésie et de véritable amour, et beaucoup de calculs. le talent du conteur est extraordinaire : il décrit ces salons, ou ces salles de journalisme comme si l'on y était, et la psychologie des personnages saute aux yeux, c'est l'effet voulu, puisque tout est dans l'apparence : la vérité des personnages, on ne peut qu'essayer de la deviner.
Un très grand roman donc.
Maupassant est un grand monsieur de la Littérature (avec un grand L) : il nous éblouit avec sa Culture (avec un grand C), son Intelligence (avec un grand I) et son Savoir-faire (avec un grand S), pour nous servir sur un plateau une oeuvre de très grande Qualité (avec une majuscule).