New-York, 1882. La plus grande ville des Etats-Unis est un lieu bouillonnant en cette fin de siècle. Port de commerce, cité industrielle et financière de premier rang, cette ville dynamique en pleine expansion attire une population qui ne cesse de croître, tout comme croissent en même temps les inégalités sociales. A côté des somptueuses demeures victoriennes de Washington Square et de la Cinquième Avenue, les taudis dans les quartiers délabrés et crasseux comme celui du Triangle Noir se multiplient. Dans les premières, les riches familles de la ville vivent dans l'opulence et le luxe. Comme les Stallworth, notables en vue, juge avocat ou pasteur. Dans les seconds, au fond des masures sordides et insalubres qui suintent l'humidité et la misère s'entassent des familles qui crèvent de faim et de maladies. Terreau fertile au développement du vice et de la pègre, c'est là que l'on trouve les tripots illicites, les bordels miteux, les fumeries d'opium où prostituées, voleurs et meurtriers mènent leurs affaires comme les Shanks, famille de criminelles spécialisées dans le recel, l'avortement et l'escroquerie.
Par pure ambition politique et volonté d'ascension et de reconnaissance sociale, le juge républicain James Stellworth voit dans le meurtre d'un respectable avocat dans les ruelles malodorantes et sombres du Triangle Noir le jour de l'an 1882, l'occasion de déstabilisée ses adversaire politiques démocrates de Tammany Hall aux commandes de la mairie en lançant une virulente campagne de presse pour dénoncer l'inaction voire la complaisance des pouvoirs publics vis-à-vis de la criminalité qui menace la sécutité des "braves gens", campagne largement relayée par les sermons moralisateurs de son fils Edward, pasteur, du haut de sa chaire et le Comité des Bonnes Oeuvres présidé par sa fille Marian.
Quand l'enquête journalistique révèle la complicité dans le meurtre de l'avocat d'une demi-mondaine, "métisse de surcroit" maitresse du gendre du juge Stallworth et apparentée aux Shanks, que le vieux patriarche connait bien pour avoir déjà condamné deux membres de la famille, l'un à mort et l'autre à une lourde peine d'emprisonnement, James Stallworth se saisit de l'opportunité qui lui ait donné de montrer une fois encore sa sévérité en condamnant la jeune femme à être pendue et d'affirmer sa volonté inébranlable d'éradiquer une fois pour toutes cette famille gangrénée par le vice et la dépravation. Il ne s'attend pas à ce que Lena Shanks, celle-là même qu'il a envoyée derrière les barreaux et aujourd'hui à la tête de la famille se rebelle et lui rende coup pour coup, oeil pour oeil, dent pour dent et deuil pour deuil, en détruisant méthodiquement tout ce qui faisait sa fierté et son bonheur au sein de sa propre famille.
Je dois bien avouer que l'oeuvre romanesque tout comme le nom même de
Michael McDowell m'étaient jusqu'
à présent inconnus puisque je n'avais pas fait attention au scénariste de Beetlejuice que j'avais pourtant vu et que je n'avais lu aucun de ses romans. Et il semberait au regard du nombre de lecteurs de la saga Blackwater et à l'engouement suscité par cette dernière que cette méconnaissance était fort dommageable.
Après lecture des Aiguilles d'Or, je confirme ! Quel plaisir de découvrir cet auteur prolifique qui met en avant dans ce roman paru en 1980 deux des thèmes majeurs de son oeuvre, à savoir la famille et la vengeance, comme me l'apprend le livret édité par
Monsieur Toussaint Louverture et fourni avec le livre, envoyé par Babelio dans le cadre d'une masse critique privilégiée. Que l'éditeur et mon site littéraire préféré en soient ici grandement remerciés.
Voyons la famille tout d'abord. Dans ce roman, il ne s'agit pas d'une saga familiale comme les Thibault de Roger Martin du Gard ou les Jalna de Mazo de la Roche, non ! L'auteur dresse le portrait de deux familles en parallèle avec à leur tête un patriarche ou une matriarche, et des enfants, des petit-enfant, des pièces rapportées. Deux familles que tout oppose, l'une installée dans la société, riche et respectable, l'autre qui vit en marge de la loi, malhonnête et immorale. Nous pourrions presque y voir simplement la lutte éternelle entre le bien et le mal. Or il n'en est rien. S'il est difficile d'avoir de l'empathie pour les Shanks, la famille Stallworth n'est pas aimable pour autant. Les membres de cette famille, ivres de richesse et de pouvoir, James Stallworth, le juge, Edward, son fils pasteur, Duncan le gendre avocat et infidèle à Marian son épouse, présentent tous des traits de caractères qui ne les rendent pas sympathiques. Imbus d'eux-mêmes, suffisants, manipulateurs, colériques, sans compassion et indifférents aux malheur des pauvres gens, ils sont prêts à tout pour écraser ceux qui se mettent en travers de leur chemin, ne rêvant que d'ascension sociale et de prestige.
Du côté des Shnaks, la cupidité, la ruse, la roublardise, la tromperie, la violence règnent en maitre. Ainsi se retrouvent face à face James et Lena, la receleuse, Edward et Louisa, sourde et muette, l'experte en faux et usage de faux, Marian et Daisy, l'avorteuse, mamans de deux charmants bambins Edwin et Edith et Rob et Ella, deux petites délinquants qui promettent, et enfi Duncan et Maggie, les pièces rapportées, amant et maitresse. Seuls deux membres de la famille Stallworth se distinguent. le premier, Benjamin, le fils du pasteur, sans ambition, feignant, accroc au jeu est la honte de la famille. La seconde Helen, la soeur de Benjamin, jeune fille posée, honnête, gentille, pleine d'empathie sincère pour les miséreux qu'elle souhaite ardemment aider pour les soulager de leurs malheurs, n'est guère encouragée dans ses activités de bienfaisance par sa famille. Inévitablement les deux clans vont s'affronter, les Stallworth voulant purement et simplement éradiquer les Shanks et ces derniers ne songeant plus qu'à se venger.
C'est là que le lecteur bascule et passe du côté des arsouilles, des hors-la-loi et autres forbans, attentif à la formidable mise en scène et à l'imagination sans borne de Lena dont la détermination à faire souffrir les Stallworth est sans doute encore plus forte que celle des Stallworth à se débarrasser des Shanks... Cette vengeance en tant qu'émotion importante nous conduit à constater que les brigands et les malfaiteurs peuvent compter sur une solidarité et une sorte de code de l'honneur qui font défaut aux nantis et autres privilégiés, les pièges élaborés dans lesquels les Stallworth tombent étant le fait d'une cour des miracles sur laquelle Lena , ses enfants et petits enfants peuvent compter.
Roman social à sensations,
les Aiguilles d'Or nous entraîne dans une aventure où il n'y a ni bons ni méchants (à part Helen), simplement des individus que la vie malmène, montrant que rien n'est jamais acquis. Cela me donne envie de découvrir davantage cette écrivain mort à 49 ans et que
Stephen King qualifie comme le meilleur auteur de "paperback originals" aux Etats-Unis.